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Il brise à l’hiver les feuillages,

L’éclair aux cimes, l’onde aux plages,

À la tempête le rayon;

Car c’est l’ouragan qui gouverne

Toute cette étrange caverne

Que nous nommons Création.

L’ouragan, qui broie et torture,

S’alimente, monstre croissant,

De tout ce que l’âpre nature

A d’horrible et de menaçant;

La lave en feu le désaltère;

Il va de Quito, blanc cratère

Qu’entoure un éternel glaçon,

Jusqu’à l’Hékla, mont, gouffre et geôle,

Bout de la mamelle du pôle

Que tette ce noir nourrisson!

L’ouragan est la force aveugle,

L’agitateur du grand linceul;

Il rugit, hurle, siffle, beugle,

Étant toute l’hydre à lui seul;

Il flétrit ce qui veut éclore;

Il dit au printemps, à l’aurore,

À la paix, à l’amour: Va-t’en!

Il est rage et foudre; il se nomme

Barbarie et crime pour l’homme,

Nuit pour les cieux, pour Dieu Satan.

C’est le souffle de la matière,

De toute la nature craint;

L’Esprit, ouragan de lumière,

Le poursuit, le saisit, l’étreint;

L’Esprit terrasse, abat, dissipe

Le principe par le principe;

Il combat, en criant: Allons!

Les chaos par les harmonies,

Les éléments par les génies,

Par les aigles les aquilons!

Ils sont là, hauts de cent coudées,

Christ en tête, Homère au milieu,

Tous les combattants des idées,

Tous les gladiateurs de Dieu;

Chaque fois qu’agitant le glaive,

Une forme du mal se lève

Comme un forçat dans son préau,

Dieu, dans leur phalange complète,

Désigne quelque grand athlète

De la stature du fléau.

Surgis, Volta! dompte en ton aire

Les Fluides, noir phlégéton!

Viens, Franklin! voici le Tonnerre.

Le Flot gronde; parais, Fulton!

Rousseau! prends corps à corps la Haine.

L’Esclavage agite sa chaîne;

Ô Voltaire! aide au paria!

La Grève rit, Tyburn flamboie,

L’affreux chien Montfaucon aboie,

On meurt… – Debout, Beccaria!

Il n’est rien que l’homme ne tente.

La foudre craint cet oiseleur.

Dans la blessure palpitante

Il dit: Silence! à la douleur.

Sa vergue peut-être est une aile;

Partout où parvient sa prunelle,

L’âme emporte ses pieds de plomb;

L’étoile, dans sa solitude,

Regarde avec inquiétude

Blanchir la voile de Colomb.

Près de la science l’art flotte,

Les yeux sur le double horizon;

La poésie est un pilote;

Orphée accompagne Jason.

Un jour, une barque perdue

Vit à la fois dans l’étendue

Un oiseau dans l’air spacieux,

Un rameau dans l’eau solitaire;

Alors, Gama cria: La terre!

Et Camoëns cria: Les cieux!

Ainsi s’entassent les conquêtes.

Les songeurs sont les inventeurs.

Parlez, dites ce que vous êtes,

Forces, ondes, aimants, moteurs!

Tout est stupéfait dans l’abîme,

L’ombre, de nous voir sur la cime,

Les monstres, qu’on les ait bravés

Dans les cavernes étonnées,

Les perles, d’être devinées,

Et les mondes d’être trouvés!

Dans l’ombre immense du Caucase,

Depuis des siècles, en rêvant,

Conduit par les hommes d’extase,

Le genre humain marche en avant;

Il marche sur la terre; il passe,

Il va, dans la nuit, dans l’espace,

Dans l’infini, dans le borné,

Dans l’azur, dans l’onde irritée,

À la lueur de Prométhée,

Le libérateur enchaîné!

XI

Oh! vous êtes les seuls pontifes,

Penseurs, lutteurs des grands espoirs,

Dompteurs des fauves hippogriffes,

Cavaliers des pégases noirs!

Âmes devant Dieu toutes nues,

Voyants des choses inconnues,

Vous savez la religion!

Quand votre esprit veut fuir dans l’ombre,

La nuée aux croupes sans nombre

Lui dit: Me voici, Légion!

Et, quand vous sortez du problème,

Célébrateurs, révélateurs!

Quand, rentrant dans la foule blême,

Vous redescendez des hauteurs,

Hommes que le jour divin gagne,

Ayant mêlé sur la montagne

Où montent vos chants et nos vœux,

Votre front au front de l’aurore,

Ô géants! vous avez encore

De ses rayons dans les cheveux!

Allez tous à la découverte!

Entrez au nuage grondant!

Et rapportez à l’herbe verte,

Et rapportez au sable ardent,

Rapportez, quel que soit l’abîme,

À l’Enfer, que Satan opprime,

Au Tartare, où saigne Ixion,

Aux cœurs bons, à l’âme méchante,

À tout ce qui rit, mord ou chante,

La grande bénédiction!

Oh! tous à la fois, aigles, âmes,

Esprits, oiseaux, essors, raisons,

Pour prendre en vos serres les flammes,

Pour connaître les horizons,

À travers l’ombre et les tempêtes,

Ayant au-dessus de vos têtes

Mondes et soleils, au-dessous

Inde, Égypte, Grèce et Judée,

De la montagne et de l’idée,

Envolez-vous! envolez-vous!

N’est-ce pas que c’est ineffable

De se sentir immensité,

D’éclairer ce qu’on croyait fable

À ce qu’on trouve vérité,

De voir le fond du grand cratère,

De sentir en soi du mystère

Entrer tout le frisson obscur,

D’aller aux astres, étincelle,

Et de se dire: Je suis l’aile!

Et de se dire: J’ai l’azur!

Allez, prêtres! allez, génies!

Cherchez la note humaine, allez,

Dans les suprêmes symphonies

Des grands abîmes étoilés!

En attendant l’heure dorée,

L’extase de la mort sacrée,

Loin de nous, troupeaux soucieux,

Loin des lois que nous établîmes,

Allez goûter, vivants sublimes,

L’évanouissement des cieux!

Janvier 1856.

XXIV. En frappant à une porte

J’ai perdu mon père et ma mère,

Mon premier né, bien jeune, hélas!

Et pour moi la nature entière

Sonne le glas.

Je dormais entre mes deux frères;

Enfants, nous étions trois oiseaux;

Hélas! le sort change en deux bières

Leurs deux berceaux.

Je t’ai perdue, ô fille chère,

Toi qui remplis, ô mon orgueil,

Tout mon destin de la lumière

De ton cercueil!

J’ai su monter, j’ai su descendre.

J’ai vu l’aube et l’ombre en mes cieux.

J’ai connu la pourpre, et la cendre

Qui me va mieux.

J’ai connu les ardeurs profondes,

J’ai connu les sombres amours;

J’ai vu fuir les ailes, les ondes,

Les vents, les jours.

J’ai sur ma tête des orfraies;

J’ai sur tous mes travaux l’affront,

Aux pieds la poudre, au cœur des plaies,

L’épine au front.

J’ai des pleurs mon œil qui pense,

Des trous à ma robe en lambeau;

Je n’ai rien à la conscience;

Ouvre, tombeau.

Marine-Terrace, 4 septembre 1855.

XXV. Nomen, numen, lumen

Quand il eut terminé, quand les soleils épars,

Éblouis, du chaos montant de toutes parts,

Se furent tous rangés à leur place profonde,

Il sentit le besoin de se nommer au monde;

Et l’être formidable et serein se leva;

Il se dressa sur l’ombre et cria: JÉHOVAH!

Et dans l’immensité ces sept lettres tombèrent;

Et ce sont, dans les cieux que nos yeux réverbèrent,

Au-dessus de nos fronts tremblants sous leur rayon,

Les sept astres géants du noir septentrion.

Minuit, au dolmen du Faldouet, mars 1855.

XXVI. Ce que dit la bouche d’ombre

L’homme en songeant descend au gouffre universel.