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De là vient que la nuit en sait plus que l’aurore.

Le monstre se connaît lorsque l’homme s’ignore.

Le monstre est la souffrance, et l’homme est l’action.

L’homme est l’unique point de la création

Où, pour demeurer libre en se faisant meilleure,

L’âme doive oublier sa vie antérieure.

Mystère! au seuil de tout l’esprit rêve ébloui.

*

L’homme ne voit pas Dieu, mais peut aller à lui,

En suivant la clarté du bien, toujours présente;

Le monstre, arbre, rocher ou bête rugissante,

Voit Dieu, c’est là sa peine, et reste enchaîné loin.

L’homme a l’amour pour aile, et pour joug le besoin.

L’ombre est sur ce qu’il voit par lui-même semée;

La nuit sort de son œil ainsi qu’une fumée;

Homme, tu ne sais rien; tu marches, pâlissant!

Parfois le voile obscur qui te couvre, ô passant!

S’envole et flotte au vent soufflant d’une autre sphère,

Gonfle un moment ses plis jusque dans la lumière,

Puis retombe sur toi, spectre, et redevient noir.

Tes sages, tes penseurs ont essayé de voir;

Qu’ont-ils vu? qu’ont-ils fait? qu’ont-ils dit, ces fils Ève?

Rien.

Homme! autour de toi la création rêve.

Mille êtres inconnus t’entourent dans ton mur.

Tu vas, tu viens, tu dors sous leur regard obscur,

Et tu ne les sens pas vivre autour de ta vie:

Toute une légion d’âmes t’est asservie;

Pendant qu’elle te plaint, tu la foules aux pieds.

Tous tes pas vers le jour sont par l’ombre épiés.

Ce que tu nommes chose, objet, nature morte,

Sait, pense, écoute, entend. Le verrou de ta porte

Voit arriver ta faute et voudrait se fermer.

Ta vitre connaît l’aube, et dit: Voir! croire! aimer!

Les rideaux de ton lit frissonnent de tes songes.

Dans les mauvais desseins quand, rêveur, tu te plonges,

La cendre dit au fond de l’âtre sépulcraclass="underline"

Regarde-moi; je suis ce qui reste du mal.

Hélas! l’homme imprudent trahit, torture, opprime.

La bête en son enfer voit les deux bouts du crime;

Un loup pourrait donner des conseils à Néron.

Homme! homme! aigle aveuglé, moindre qu’un moucheron!

Pendant que dans ton Louvre ou bien dans ta chaumière,

Tu vis, sans même avoir épelé la première

Des constellations, sombre alphabet qui luit

Et tremble sur la page immense de la nuit,

Pendant que tu maudis et pendant que tu nies,

Pendant que tu dis: Non! aux astres; aux génies:

Non! à l’idéaclass="underline" Non! à la vertu: Pourquoi?

Pendant que tu te tiens en dehors de la loi,

Copiant les dédains inquiets ou robustes

De ces sages qu’on voit rêver dans les vieux bustes,

Et que tu dis: Que sais-je? amer, froid, mécréant,

Prostituant ta bouche au rire du néant,

À travers le taillis de la nature énorme,

Flairant l’éternité de son museau difforme,

Là, dans l’ombre, à tes pieds, homme, ton chien voit Dieu.

Ah! je t’entends. Tu dis: – Quel deuil! la bête est peu,

L’homme n’est rien. Ô loi misérable! ombre! abîme! -

*

Ô songeur! cette loi misérable est sublime.

Il faut donc tout redire à ton esprit chétif!

À la fatalité, loi du monstre captif,

Succède le devoir, fatalité de l’homme.

Ainsi de toutes parts l’épreuve se consomme,

Dans le monstre passif, dans l’homme intelligent,

La nécessité morne en devoir se changeant,

Et l’âme, remontant à sa beauté première,

Va de l’ombre fatale à la libre lumière.

Or, je te le redis, pour se transfigurer,

Et pour se racheter, l’homme doit ignorer.

Il doit être aveuglé par toutes les poussières.

Sans quoi, comme l’enfant guidé par des lisières,

L’homme vivrait, marchant droit à la vision.

Douter est sa puissance et sa punition.

Il voit la rose, et nie; il voit l’aurore, et doute;

Où serait le mérite à retrouver sa route,

Si l’homme, voyant clair, roi de sa volonté,

Avait la certitude, ayant la liberté?

Non. Il faut qu’il hésite en la vaste nature,

Qu’il traverse du choix l’effrayante aventure,

Et qu’il compare au vice agitant son miroir,

Au crime, aux voluptés, l’œil en pleurs du devoir;

Il faut qu’il doute! Hier croyant demain impie;

Il court du mal au bien; il scrute, sonde, épie,

Va, revient, et, tremblant, agenouillé, debout,

Les bras étendus, triste, il cherche Dieu partout;

Il tâte l’infini jusqu’à ce qu’il l’y sente;

Alors, son âme ailée éclate frémissante;

L’ange éblouissant luit dans l’homme transparent.

Le doute le fait libre, et la liberté, grand.

La captivité sait; la liberté suppose,

Creuse, saisit l’effet, le compare à la cause,

Croit vouloir le bien-être et veut le firmament;

Et, cherchant le caillou, trouve le diamant.

C’est ainsi que du ciel l’âme à pas lents s’empare.

Dans le monstre, elle expie; en l’homme, elle répare.

*

Oui, ton fauve univers est le forçat de Dieu.

Les constellations, sombres lettres de feu,

Sont les marques du bagne à l’épaule du monde.

Dans votre région tant d’épouvante abonde,

Que, pour l’homme, marqué lui-même du fer chaud,

Quand il lève les yeux vers les astres, là-haut,

Le cancer resplendit, le scorpion flamboie,

Et dans l’immensité le chien sinistre aboie!

Ces soleils inconnus se groupent sur son front

Comme l’effroi, le deuil, la menace et l’affront;

De toutes parts s’étend l’ombre incommensurable;

En bas l’obscur, l’impur, le mauvais, l’exécrable,

Le pire, tas hideux, fourmillent; tout au fond,

Ils échangent entre eux dans l’ombre ce qu’ils font;

Typhon donne l’horreur, Satan donne le crime;

Lugubre intimité du mal et de l’abîme!

Amours de l’âme monstre et du monstre univers!

Baiser triste! et l’informe engendré du pervers,

La matière, le bloc, la fange, la géhenne,

L’écume, le chaos, l’hiver, nés de la haine,

Les faces de beauté qu’habitent des démons,

Tous les êtres maudits, mêlés aux vils limons,

Pris par la plante fauve et la bête féroce,

Le grincement de dents, la peur, le rire atroce,

L’orgueil, que l’infini courbe sous son niveau,

Rampent, noirs prisonniers, dans la nuit, noir caveau.

La porte, affreuse et faite avec de l’ombre, est lourde;

Par moments, on entend, dans la profondeur sourde,

Les efforts que les monts, les flots, les ouragans,

Les volcans, les forêts, les animaux brigands,

Et tous les monstres font pour soulever le pêne;

Et sur cet amas d’ombre, et de crime, et de peine,

Ce grand ciel formidable est le scellé de Dieu.

Voilà pourquoi, songeur dont la mort est le vœu,

Tant d’angoisse est empreinte au front des cénobites!

Je viens de te montrer le gouffre. Tu l’habites.

*

Les mondes, dans la nuit que vous nommez l’azur,

Par les brèches que fait la mort blême à leur mur,

Se jettent en fuyant l’un à l’autre des âmes.

Dans votre globe où sont tant de geôles infâmes,

Vous avez des méchants de tous les univers,

Condamnés qui, venus des cieux les plus divers,

Rêvent dans vos rochers, ou dans vos arbres ploient;

Tellement stupéfaits de ce monde qu’ils voient,

Qu’eussent-ils la parole, ils ne pourraient parler.

On en sent quelques-uns frissonner et trembler.

De là les songes vains du bonze et de l’augure.