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Donc, représente-toi cette sombre figure:

Ce gouffre, c’est l’égout du mal universel.

Ici vient aboutir de tous les points du ciel

La chute des punis, ténébreuse traînée.

Dans cette profondeur, morne, âpre, infortunée,

De chaque globe il tombe un flot vertigineux

D’âmes, d’esprits malsains et d’êtres vénéneux,

Flot que l’éternité voit sans fin se répandre.

Chaque étoile au front d’or qui brille, laisse pendre

Sa chevelure d’ombre en ce puits effrayant.

Âme immortelle, vois, et frémis en voyant:

Voilà le précipice exécrable où tu sombres.

*

Oh! qui que vous soyez, qui passez dans ces ombres,

Versez votre pitié sur ces douleurs sans fond!

Dans ce gouffre, où l’abîme en l’abîme se fond,

Se tordent les forfaits, transformés en supplices,

L’effroi, le deuil, le mal, les ténèbres complices,

Les pleurs sous la toison, le soupir expiré

Dans la fleur, et le cri dans la pierre muré!

Oh! qui que vous soyez, pleurez sur ces misères!

Pour Dieu seul, qui sait tout, elles sont nécessaires;

Mais vous pouvez pleurer sur l’énorme cachot

Sans déranger le sombre équilibre d’en haut!

Hélas! hélas! hélas! tout est vivant! tout pense!

La mémoire est la peine, étant la récompense.

Oh! comme ici l’on souffre et comme on se souvient!

Torture de l’esprit que la matière tient!

La brute et le granit, quel chevalet pour l’âme!

Ce mulet fut sultan, ce cloporte était femme.

L’arbre est un exilé, la roche est un proscrit.

Est-ce que, quelque part, par hasard, quelqu’un rit

Quand ces réalités sont là, remplissant l’ombre?

La ruine, la mort, l’ossement, le décombre,

Sont vivants. Un remords songe dans un débris.

Pour l’œil profond qui voit, les antres sont des cris:

Hélas! le cygne est noir, le lys songe à ses crimes;

La perle est nuit; la neige est la fange des cimes;

Le même gouffre, horrible et fauve, et sans abri,

S’ouvre dans la chouette et dans le colibri;

La mouche, âme, s’envole et se brûle à la flamme;

Et la flamme, esprit, brûle avec angoisse une âme;

L’horreur fait frissonner les plumes de l’oiseau;

Tout est douleur.

Les fleurs souffrent sous le ciseau,

Et se ferment ainsi que des paupières closes:

Toutes les femmes sont teintes du sang des roses;

La vierge au bal, qui danse, ange aux fraîches couleurs,

Et qui porte en sa main une touffe de fleurs,

Respire en souriant un bouquet d’agonies.

Pleurez sur les laideurs et les ignominies,

Pleurez sur l’araignée immonde, sur le ver,

Sur la limace au dos mouillé comme l’hiver,

Sur le vil puceron qu’on voit aux feuilles pendre,

Sur le crabe hideux, sur l’affreux scolopendre,

Sur l’effrayant crapaud, pauvre monstre aux doux yeux,

Qui regarde toujours le ciel mystérieux!

Plaignez l’oiseau de crime et la bête de proie.

Ce que Domitien, César, fit avec joie,

Tigre, il le continue avec horreur. Verrès,

Qui fut loup sous la pourpre, est loup dans les forêts;

Il descend, réveillé, l’autre côté du rêve:

Son rire, au fond des bois, en hurlement s’achève;

Pleurez sur ce qui hurle et pleurez sur Verrès.

Sur ces tombeaux vivants, marqués d’obscurs arrêts,

Penchez-vous attendri! versez votre prière!

La pitié fait sortir des rayons de la pierre.

Plaignez le louveteau, plaignez le lionceau.

La matière, affreux bloc, n’est que le lourd monceau

Des effets monstrueux, sortis des sombres causes.

Ayez pitié! voyez des âmes dans les choses.

Hélas! le cabanon subit aussi l’écrou;

Plaignez le prisonnier, mais plaignez le verrou;

Plaignez la chaîne au fond des bagnes insalubres;

La hache et le billot sont deux êtres lugubres;

La hache souffre autant que le corps, le billot

Souffre autant que la tête; ô mystères d’en haut!

Ils se livrent une âpre et hideuse bataille;

Il ébrèche la hache et la hache l’entaille;

Ils se disent tout bas l’un à l’autre: Assassin!

Et la hache maudit les hommes, sombre essaim,

Quand, le soir, sur le dos du bourreau, son ministre,

Elle revient dans l’ombre, et luit, miroir sinistre,

Ruisselante de sang et reflétant les cieux;

Et, la nuit, dans l’étal morne et silencieux,

Le cadavre au cou rouge, effrayant, glacé, blême,

Seul, sait ce que lui dit le billot, tronc lui-même.

Oh! que la terre est froide et que les rocs sont durs!

Quelle muette horreur dans les halliers obscurs!

Les pleurs noirs de la nuit sur la colombe blanche

Tombent; le vent met nue et torture la branche;

Quel monologue affreux dans l’arbre aux rameaux verts!

Quel frisson dans l’herbe! Oh! quels yeux fixes ouverts

Dans les cailloux profonds, oubliettes des âmes!

C’est une âme que l’eau scie en ses froides lames;

C’est une âme que fait ruisseler le pressoir.

Ténèbres! l’univers est hagard. Chaque soir,

Le noir horizon monte et la nuit noire tombe;

Tous deux, à l’occident, d’un mouvement de tombe,

Ils vont se rapprochant, et, dans le firmament,

Ô terreur! sur le jour, écrasé lentement,

La tenaille de l’ombre effroyable se ferme.

Oh! les berceaux font peur. Un bagne est dans un germe.

Ayez pitié, vous tous et qui que vous soyez!

Les hideux châtiments, l’un sur l’autre broyés,

Roulent, submergeant tout, excepté les mémoires.

Parfois on voit passer dans ces profondeurs noires

Comme un rayon lointain de l’éternel amour;

Alors, l’hyène Atrée et le chacal Timour,

Et l’épine Caïphe et le roseau Pilate,

Le volcan Alaric à la gueule écarlate,

L’ours Henri Huit, pour qui Morus en vain pria,

Le sanglier Selim et le porc Borgia,

Poussent des cris vers Être adorable; et les bêtes

Qui portèrent jadis des mitres sur leurs têtes,

Les grains de sable rois, les brins d’herbe empereurs,

Tous les hideux orgueils et toutes les fureurs,

Se brisent; la douceur saisit le plus farouche;

Le chat lèche l’oiseau, l’oiseau baise la mouche;

Le vautour dit dans l’ombre au passereau: Pardon!

Une caresse sort du houx et du chardon;

Tous les rugissements se fondent en prières;

On entend s’accuser de leurs forfaits les pierres;

Tous ces sombres cachots qu’on appelle les fleurs

Tressaillent; le rocher se met à fondre en pleurs;

Des bras se lèvent hors de la tombe dormante;

Le vent gémit, la nuit se plaint, l’eau se lamente,

Et, sous l’œil attendri qui regarde d’en haut,

Tout l’abîme n’est plus qu’un immense sanglot.

*

Espérez! espérez! espérez, misérables!

Pas de deuil infini, pas de maux incurables,

Pas d’enfer éternel!

Les douleurs vont à Dieu, comme la flèche aux cibles;

Les bonnes actions sont les gonds invisibles

De la porte du ciel.

Le deuil est la vertu, le remords est le pôle

Des monstres garrottés dont le gouffre est la geôle;

Quand, devant Jéhovah,

Un vivant reste pur dans les ombres charnelles,

La mort, ange attendri, rapporte ses deux ailes

À l’homme qui s’en va.

Les enfers se refont édens; c’est là leur tâche.

Tout globe est un oiseau que le mal tient et lâche.

Vivants, je vous le dis,

Les vertus, parmi vous, font ce labeur auguste

D’augmenter sur vos fronts le ciel; quiconque est juste

Travaille au paradis.

L’heure approche. Espérez. Rallumez l’âme éteinte!