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Aimez-vous! aimez-vous! car c’est la chaleur sainte,

C’est le feu du vrai jour.

Le sombre univers, froid, glacé, pesant, réclame

La sublimation de l’être par la flamme,

De l’homme par l’amour!

Déjà, dans l’océan d’ombre que Dieu domine,

L’archipel ténébreux des bagnes s’illumine;

Dieu, c’est le grand aimant;

Et les globes, ouvrant leur sinistre prunelle,

Vers les immensités de l’aurore éternelle

Se tournent lentement!

Oh! comme vont chanter toutes les harmonies,

Comme rayonneront dans les sphères bénies

Les faces de clarté,

Comme les firmaments se fondront en délires,

Comme tressailleront toutes les grandes lyres

De la sérénité,

Quand, du monstre matière ouvrant toutes les serres,

Faisant évanouir en splendeurs les misères,

Changeant l’absinthe en miel,

Inondant de beauté la nuit diminuée,

Ainsi que le soleil tire à lui la nuée

Et l’emplit d’arcs-en-ciel,

Dieu, de son regard fixe attirant les ténèbres,

Voyant vers lui, du fond des cloaques funèbres

Où le mal le pria,

Monter l’énormité, bégayant des louanges,

Fera rentrer, parmi les univers archanges,

L’univers paria!

On verra palpiter les fanges éclairées,

Et briller les laideurs les plus désespérées

Au faîte le plus haut,

L’araignée éclatante au seuil des bleus pilastres,

Luire, et se redresser, portant des épis d’astres,

La paille du cachot!

La clarté montera dans tout comme une sève;

On verra rayonner au front du bœuf qui rêve

Le céleste croissant;

Le charnier chantera dans l’horreur qui l’encombre,

Et sur tous les fumiers apparaîtra dans l’ombre

Un Job resplendissant!

Ô disparition de l’antique anathème!

La profondeur disant à la hauteur: Je t’aime!

Ô retour du banni!

Quel éblouissement au fond des cieux sublimes!

Quel surcroît de clarté que l’ombre des abîmes

S’écriant: Sois béni!

On verra le troupeau des hydres formidables

Sortir, monter du fond des brumes insondables

Et se transfigurer;

Des étoiles éclore aux trous noirs de leurs crânes,

Dieu juste! et, par degrés devenant diaphanes,

Les monstres s’azurer!

Ils viendront, sans pouvoir ni parler ni répondre,

Éperdus! on verra des auréoles fondre

Les cornes de leur front;

Ils tiendront dans leur griffe, au milieu des cieux calmes,

Des rayons frissonnants semblables à des palmes;

Les gueules baiseront!

Ils viendront! ils viendront, tremblants, brisés d’extase,

Chacun d’eux débordant de sanglots comme un vase,

Mais pourtant sans effroi;

On leur tendra les bras de la haute demeure,

Et Jésus, se penchant sur Bélial qui pleure,

Lui dira: C’est donc toi!

Et vers Dieu par la main il conduira ce frère!

Et, quand ils seront près des degrés de lumière

Par nous seuls aperçus,

Tous deux seront si beaux, que Dieu dont l’œil flamboie

Ne pourra distinguer, père ébloui de joie,

Bélial de Jésus!

Tout sera dit. Le mal expirera, les larmes

Tariront; plus de fers, plus de deuils, plus d’alarmes;

L’affreux gouffre inclément

Cessera d’être sourd, et bégaiera: Qu’entends-je?

Les douleurs finiront dans toute l’ombre: un ange

Criera: Commencement!

Jersey, 1855.

À celle qui est restée en France

I

Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange

Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d’ange,

Ouvre tes mains, et prends ce livre: il est à toi.

Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi,

Ce livre qui contient le spectre de ma vie,

Mes angoisses, mon aube, hélas! de pleurs suivie,

L’ombre et son ouragan, la rose et son pistil,

Ce livre azuré, triste, orageux, d’où sort-il?

D’où sort le blême éclair qui déchire la brume?

Depuis quatre ans, j’habite un tourbillon d’écume;

Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j’écrivais;

Car je suis paille au vent: Va! dit l’esprit. Je vais.

Et, quand j’eus terminé ces pages, quand ce livre

Se mit à palpiter, à respirer, à vivre,

Une église des champs que le lierre verdit,

Dont la tour sonne l’heure à mon néant, m’a dit:

Ton cantique est fini; donne-le-moi, poëte.

Je le réclame, a dit la forêt inquiète;

Et le doux pré fleuri m’a dit: Donne-le-moi.

La mer, en le voyant frémir, m’a dit: Pourquoi

Ne pas me le jeter, puisque c’est une voile!

C’est à moi qu’appartient cet hymne, a dit l’étoile.

Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents.

Et les oiseaux m’ont dit: Vas-tu pas aux vivants

Offrir ce livre, éclos si loin de leurs querelles?

Laisse-nous l’emporter dans nos nids sur nos ailes!

Mais le vent n’aura point mon livre, ô cieux profonds!

Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,

Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches;

Ni la verte forêt qu’emplit un bruit de ruches,

Ni l’église où le temps fait tourner son compas;

Le pré ne l’aura pas, l’astre ne l’aura pas,

L’oiseau ne l’aura pas, qu’il soit aigle ou colombe,

Les nids ne l’auront pas; je le donne à la tombe.

II

Autrefois, quand septembre en larmes revenait,

Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,

Je m’évadais; Paris s’effaçait; rien, personne!

J’allais, je n’étais plus qu’une ombre qui frissonne,

Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,

Sachant bien que j’irais où je devais aller;

Hélas! je n’aurais pu même dire: Je souffre!

Et, comme subissant l’attraction d’un gouffre,

Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,

J’ignorais, je marchais devant moi, j’arrivais.

Ô souvenirs! ô forme horrible des collines!

Et, pendant que la mère et la sœur, orphelines,

Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir

Avec l’avidité morne du désespoir;

Puis j’allais au champ triste à côté de l’église;

Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,

L’œil aux cieux, j’approchais; l’accablement soutient;

Les arbres murmuraient: C’est le père qui vient!

Les ronces écartaient leurs branches desséchées;

Je marchais à travers les humbles croix penchées,

Disant je ne sais quels doux et funèbres mots;

Et je m’agenouillais au milieu des rameaux

Sur la pierre qu’on voit blanche dans la verdure.

Pourquoi donc dormais-tu d’une façon si dure,

Que tu n’entendais pas lorsque je t’appelais?

Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets,

Et disaient: Qu’est-ce donc que cet homme qui songe?

Et le jour, et le soir, et l’ombre qui s’allonge,

Et Vénus, qui pour moi jadis étincela,

Tout avait disparu que j’étais encor là.

J’étais là, suppliant celui qui nous exauce;

J’adorais, je laissais tomber sur cette fosse,

Hélas! où j’avais vu s’évanouir mes cieux,

Tout mon cœur goutte à goutte en pleurs silencieux;

J’effeuillais de la sauge et de la clématite;

Je me la rappelais quand elle était petite,

Quand elle m’apportait des lys et des jasmins,

Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains,

Gaie, et riant d’avoir de l’encre à ses doigts roses;

Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses,

Je fixais mon regard sur ces froids gazon verts,

Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers