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Je ne puis plus aller où j’allais; je ne puis,

Pareil à la laveuse assise au bord du puits,

Que m’accouder au mur de l’éternel abîme;

Paris m’est éclipsé par l’énorme Solime;

La haute Notre-Dame à présent, qui me luit,

C’est l’ombre ayant deux tours, le silence et la nuit,

Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles;

Et je vois sur mon front un panthéon d’étoiles;

Si j’appelle Rouen, Villequier, Caudebec,

Toute l’ombre me crie: Horeb, Cédron, Balbeck!

Et, si je pars, m’arrête à la première lieue,

Et me dit: Tourne-toi vers l’immensité bleue!

Et me dit: Les chemins où tu marchais sont clos.

Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots!

À quoi penses-tu donc? que fais-tu, solitaire?

Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre?

Où vas-tu de la sorte et machinalement?

Ô songeur! penche-toi sur l’être et l’élément!

Écoute la rumeur des âmes dans les ondes!

Contemple, s’il te faut de la cendre, les mondes;

Cherche au moins la poussière immense, si tu veux

Mêler de la poussière à tes sombres cheveux,

Et regarde, en dehors de ton propre martyre,

Le grand néant, si c’est le néant qui t’attire!

Sois tout à ces soleils où tu remonteras!

Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras,

Ô proscrit de l’azur, vers les astres patries!

Revois-y refleurir tes aurores flétries;

Deviens le grand œil fixe ouvert sur le grand tout.

Penche-toi sur l’énigme où l’être se dissout,

Sur tout ce qui naît, vit, marche, s’éteint, succombe,

Sur tout le genre humain et sur toute la tombe!

Mais mon cœur toujours saigne et du même côté.

C’est en vain que les cieux, les nuits, l’éternité,

Veulent distraire une âme et calmer un atome.

Tout l’éblouissement des lumières du dôme

M’ôte-t-il une larme? Ah! l’étendue a beau

Me parler, me montrer l’universel tombeau,

Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie;

J’écoute, et je reviens à la douce endormie.

VII

Des fleurs! oh! si j’avais des fleurs! si je pouvais

Aller semer des lys sur ces deux froids chevets!

Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle!

Les fleurs sont l’or, l’azur, l’émeraude, l’opale!

Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher;

Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher

Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes!

Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes,

Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir,

Puisqu’il nous fait lâcher ce qu’on croyait tenir,

Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde,

Sur la première porte en scelle une seconde,

Et, sur le père triste et sur l’enfant qui dort,

Ferme l’exil après avoir fermé la mort,

Puisqu’il est impossible à présent que je jette

Même un brin de bruyère à sa fosse muette,

C’est bien le moins qu’elle ait mon âme, n’est-ce pas?

Ô vent noir dont j’entends sur mon plafond le pas!

Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle!

Mers, nuits! et je l’ai mise en ce livre pour elle!

Prends ce livre; et dis-toi: Ceci vient du vivant

Que nous avons laissé derrière nous, rêvant.

Prends. Et quoique de loin, reconnais ma voix, âme!

Oh! ta cendre est le lit de mon reste de flamme;

Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi;

Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi.

Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume!

Qu’entre tes vagues mains il devienne fantôme!

Qu’il blanchisse, pareil à l’aube qui pâlit,

À mesure que l’œil de mon ange le lit,

Et qu’il s’évanouisse, et flotte, et disparaisse,

Ainsi qu’un âtre obscur qu’un souffle errant caresse,

Ainsi qu’une lueur qu’on voit passer le soir,

Ainsi qu’un tourbillon de feu de l’encensoir,

Et que, sous ton regard éblouissant et sombre,

Chaque page s’en aille en étoiles dans l’ombre!

VIII

Oh! quoi que nous fassions et quoi que nous disions,

Soit que notre âme plane au vent des visions,

Soit qu’elle se cramponne à l’argile natale,

Toujours nous arrivons à ta grotte fatale,

Gethsémani, qu’éclaire une vague lueur!

Ô rocher de l’étrange et funèbre sueur!

Cave où l’esprit combat le destin! ouverture

Sur les profonds effrois de la sombre nature!

Antre d’où le lion sort rêveur, en voyant

Quelqu’un de plus sinistre et de plus effrayant,

La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée!

Ô chute! asile! ô seuil de la trouble vallée

D’où nous apercevons nos ans fuyants et courts,

Nos propres pas marqués dans la fange des jours,

L’échelle où le mal pèse et monte, spectre louche,

L’âpre frémissement de la palme farouche,

Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés,

Et les frissons aux fronts des anges effarés!

Toujours nous arrivons à cette solitude,

Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude!

Paix à l’Ombre! Dormez! dormez! dormez! dormez!

Êtres, groupes confus lentement transformés!

Dormez, les champs! dormez, les fleurs! dormez, les tombes!

Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes,

Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids,

Dormez! dormez, brins d’herbe, et dormez, infinis!

Calmez-vous, forêts, chêne, érable frêne, yeuse!

Silence sur la grande horreur religieuse,

Sur l’Océan qui lutte et qui ronge son mors,

Et sur l’apaisement insondable des morts!

Paix à l’obscurité muette et redoutée!

Paix au doute effrayant, à l’immense ombre athée,

À toi, nature, cercle et centre, âme et milieu,

Fourmillement de tout, solitude de Dieu!

Ô générations aux brumeuses haleines,

Reposez-vous! pas noirs qui marchez dans les plaines!

Dormez, vous qui saignez; dormez, vous qui pleurez!

Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés!

Tout est religion et rien n’est imposture.

Que sur toute existence et toute créature,

Vivant du souffle humain ou du souffle animal,

Debout au seuil du bien, croulante au bord du mal,

Tendre ou farouche, immonde ou splendide, humble ou grande,

La vaste paix des cieux de toutes parts descende!

Que les enfers dormants rêvent les paradis!

Assoupissez-vous, flots, mers, vents, âmes, tandis

Qu’assis sur la montagne en présence de Être,

Précipice où l’on voit pêle-mêle apparaître

Les créations, l’astre et l’homme, les essieux

De ces chars de soleils que nous nommons les cieux,

Les globes, fruits vermeils des divines ramées,

Les comètes d’argent dans un champ noir semées,

Larmes blanches du drap mortuaire des nuits,

Les chaos, les hivers, ces lugubres ennuis,

Pâle, ivre d’ignorance, ébloui de ténèbres,

Voyant dans l’infini s’écrire des algèbres,

Le contemplateur, triste et meurtri, mais serein,

Mesure le problème aux murailles d’airain,

Cherche à distinguer l’aube à travers les prodiges,

Se penche, frémissant, au puits des grands vertiges,

Suit de l’œil des blancheurs qui passent, alcyons,

Et regarde, pensif, s’étoiler de rayons,

De clartés, de lueurs, vaguement enflammées,

Le gouffre monstrueux plein d’énormes fumées.

Guernesey, 2 novembre 1855, jour des morts.

(1856)

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