Ou qui ne chante un duo.
Car l’amour chasse aux bocages,
Et l’amour pêche aux ruisseaux,
Car les belles sont les cages
Dont nos cœurs sont les oiseaux.
De la source, sa cuvette,
La fleur, faisant son miroir,
Dit: «Bonjour», à la fauvette,
Et dit au hibou: «Bonsoir.»
Le toit espère la gerbe,
Pain d’abord et chaume après;
La croupe du bœuf dans l’herbe
Semble un mont dans les forêts.
L’étang rit à la macreuse,
Le pré rit au loriot,
Pendant que l’ornière creuse
Gronde le lourd chariot.
L’or fleurit en giroflée;
L’ancien zéphyr fabuleux
Souffle avec sa joue enflée
Au fond des nuages bleus.
Jersey, sur l’onde docile,
Se drape d’un beau ciel pur,
Et prend des airs de Sicile
Dans un grand haillon d’azur.
Partout l’églogue est écrite;
Même en la froide Albion,
L’air est plein de Théocrite,
Le vent sait par cœur Bion;
Et redit, mélancolique,
La chanson que fredonna
Moschus, grillon bucolique
De la cheminée Etna.
L’hiver tousse, vieux phthisique,
Et s’en va; la brume fond;
Les vagues font la musique
Des vers que les arbres font.
Toute la nature sombre
Verse un mystérieux jour;
L’âme qui rêve a plus d’ombre
Et la fleur a plus d’amour.
L’herbe éclate en pâquerettes;
Les parfums, qu’on croit muets,
Content les peines secrètes
Des liserons aux bleuets.
Les petites ailes blanches
Sur les eaux et les sillons
S’abattent en avalanches;
Il neige des papillons.
Et sur la mer, qui reflète
L’aube au sourire d’émail,
La bruyère violette
Met au vieux mont un camail;
Afin qu’il puisse, à l’abîme
Qu’il contient et qu’il bénit,
Dire sa messe sublime
Sous sa mitre de granit.
Granville, juin 1836.
XV. La coccinelle
Elle me dit: «Quelque chose
Me tourmente.» Et j’aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.
J’aurais dû – mais, sage ou fou,
À seize ans, on est farouche, -
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l’insecte à son cou.
On eût dit un coquillage;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.
Sa bouche fraîche était là:
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle;
Mais le baiser s’envola.
«Fils, apprends comme on me nomme»,
Dit l’insecte du ciel bleu,
«Les bêtes sont au bon Dieu;
Mais la bêtise est à l’homme.»
Paris, mai 1830.
XVI. Vers 1820
Denise, ton mari, notre vieux pédagogue,
Se promène; il s’en va troubler la fraîche églogue
Du bel adolescent Avril dans la forêt;
Tout tremble et tout devient pédant, dès qu’il paraît:
L’âne bougonne un thème au bœuf son camarade;
Le vent fait sa tartine, et l’arbre sa tirade;
L’églantier verdissant, doux garçon qui grandit,
Déclame le récit de Théramène, et dit:
Son front large est armé de cornes menaçantes.
Denise, cependant, tu rêves et tu chantes,
À l’âge où l’innocence ouvre sa vague fleur;
Et, d’un œil ignorant, sans joie et sans douleur,
Sans crainte et sans désir, tu vois, à l’heure où rentre
L’étudiant en classe et le docteur dans l’antre,
Venir à toi, montant ensemble l’escalier,
L’ennui, maître d’école, et l’amour, écolier.
XVII. À M. Froment Meurice
Nous sommes frères: la fleur
Par deux arts peut être faite.
Le poëte est ciseleur;
Le ciseleur est poëte.
Poëtes ou ciseleurs,
Par nous l’esprit se révèle.
Nous rendons les bons meilleurs,
Tu rends la beauté plus belle.
Sur son bras ou sur son cou,
Tu fais de tes rêveries,
Statuaire du bijou,
Des palais de pierreries!
Ne dis pas: «Mon art n’est rien…»
Sors de la route tracée,
Ouvrier magicien,
Et mêle à l’or la pensée!
Tous les penseurs, sans chercher
Qui finit ou qui commence,
Sculptent le même rocher:
Ce rocher, c’est l’art immense.
Michel-Ange, grand vieillard,
En larges blocs qu’il nous jette,
Le fait jaillir au hasard;
Benvenuto nous l’émiette.
Et, devant l’art infini,
Dont jamais la loi ne change,
La miette de Cellini
Vaut le bloc de Michel-Ange
Tout est grand; sombre ou vermeil,
Tout feu qui brille est une âme.
L’étoile vaut le soleil;
L’étincelle vaut la flamme.
Paris, octobre 1841.
XVIII. Les oiseaux
Je rêvais dans un grand cimetière désert;
De mon âme et des morts j’écoutais le concert,
Parmi les fleurs de l’herbe et les croix de la tombe.
Dieu veut que ce qui naît sorte de ce qui tombe.
Et l’ombre m’emplissait.
Autour de moi, nombreux,
Gais, sans avoir souci de mon front ténébreux,
Dans ce champ, lit fatal de la sieste dernière,
Des moineaux francs faisaient l’école buissonnière.
C’était l’éternité que taquine l’instant.
Ils allaient et venaient, chantant, volant, sautant,
Égratignant la mort de leurs griffes pointues,
Lissant leur bec au nez lugubre des statues,
Becquetant les tombeaux, ces grains mystérieux.
Je pris ces tapageurs ailés au sérieux;
Je criai: – Paix aux morts! vous êtes des harpies.
– Nous sommes des moineaux, me dirent ces impies.
– Silence! allez-vous-en! repris-je, peu clément.
Ils s’enfuirent; j’étais le plus fort. Seulement,
Un d’eux resta derrière, et, pour toute musique,
Dressa la queue, et dit: – Quel est ce vieux classique?
Comme ils s’en allaient tous, furieux, maugréant,
Criant, et regardant de travers le géant,
Un houx noir qui songeait près d’une tombe, un sage,
M’arrêta brusquement par la manche au passage,
Et me dit: – Ces oiseaux sont dans leur fonction.
Laisse-les. Nous avons besoin de ce rayon.
Dieu les envoie. Ils font vivre le cimetière.
Homme, ils sont la gaîté de la nature entière;
Ils prennent son murmure au ruisseau, sa clarté
À l’astre, son sourire au matin enchanté;
Partout où rit un sage, ils lui prennent sa joie,
Et nous l’apportent; l’ombre en les voyant flamboie;
Ils emplissent leurs becs des cris des écoliers;
À travers l’homme et l’herbe, et l’onde, et les halliers,
Ils vont pillant la joie en l’univers immense.
Ils ont cette raison qui te semble démence.
Ils ont pitié de nous qui loin d’eux languissons;
Et, lorsqu’ils sont bien pleins de jeux et de chansons,
D’églogues, de baisers, de tous les commérages
Que les nids en avril font sous les verts ombrages,
Ils accourent, joyeux, charmants, légers, bruyants,
Nous jeter tout cela dans nos trous effrayants;
Et viennent, des palais, des bois, de la chaumière,
Vider dans notre nuit toute cette lumière!
Quand mai nous les ramène, ô songeur, nous disons:
«Les voilà!» tout s’émeut, pierres, tertres, gazons;
Le moindre arbrisseau parle, et l’herbe est en extase;
Le saule pleureur chante en achevant sa phrase;
Ils confessent les ifs, devenus babillards;
Ils jasent de la vie avec les corbillards;
Des linceuls trop pompeux ils décrochent l’agrafe;
Ils se moquent du marbre; ils savent l’orthographe;
Et, moi qui suis ici le vieux chardon boudeur,