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Ils sortirent dans la cour et ils virent que le chat n’avait pas menti.

— Comment avez-vous trouvé ce chien ? demanda le père d’une voix irritée, et pourquoi l’avez-vous amené ici ?

— C’est un pauvre chien aveugle, dirent les petites. Il butait de la tête contre tous les arbres du chemin, et il paraissait malheureux…

— N’importe. Je vous ai défendu d’adresser la parole à des étrangers.

Alors, le chien fit un pas en avant, salua d’un coup de tête et dit aux parents :

— Je vois bien qu’il n’y a pas de place dans votre maison pour un chien aveugle, et sans m’attarder davantage, je vais reprendre mon chemin. Mais avant de partir, laissez-moi vous complimenter d’avoir des enfants si sages et si obéissantes. Tout à l’heure, j’errais sur la route sans voir les petites, et j’ai reniflé une bonne odeur de fraise de veau. Comme j’étais à jeun depuis la veille, j’avais bien envie de la manger, mais elles m’ont défendu de toucher à leur panier. Pourtant, je devais avoir l’air méchant. Et savez-vous ce qu’elles m’ont dit ? « La fraise de veau est pour nos parents, et ce qui appartient à nos parents n’est pas pour les chiens. » Voilà ce qu’elles m’ont dit. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand je rencontre deux fillettes aussi raisonnables, aussi obéissantes que les vôtres, je ne pense plus à ma faim et je me dis que leurs parents ont bien de la chance…

La mère souriait déjà aux deux petites et le père était tout fier des compliments du chien.

— Je n’ai pas à m’en plaindre, dit-il, ce sont de bonnes petites filles. Je ne les grondais tout à l’heure que pour les mettre en garde contre les mauvaises rencontres, et je suis même assez content qu’elles vous aient conduit jusqu’à la maison. Vous allez avoir une bonne soupe et vous pourrez vous reposer cette nuit. Mais comment se fait-il que vous soyez aveugle et que vous alliez ainsi seul par les chemin ?

Alors le chien conta encore une fois son aventure et comment, après avoir pris le mal de son maître, il avait été abandonné. Les parents l’écoutaient avec intérêt, et ne dissimulaient pas leur émotion.

— Vous êtes le meilleur des chiens, dit le père, et je ne puis que vous reprocher d’avoir été trop bon. Vous vous êtes montré si charitable que je veux faire quelque chose pour vous. Demeurez donc à la maison aussi longtemps qu’il vous plaira. Je vous construirai une belle niche et vous aurez chaque jour votre soupe, sans compter les os. Comme vous avez beaucoup voyagé, vous nous parlerez des pays que vous avez traversés et ce sera pour nous l’occasion de nous instruire un peu.

Les petites étaient rouges de plaisir, et chacun se félicitait de la décision du père. Le chat lui-même était tout attendri, et au lieu d’ébouriffer son poil et de grincer dans sa moustache, il regardait le chien avec amitié.

— Je suis bien heureux, soupira le chien. Je ne m’attendais pas à trouver une maison de si bon accueil, après avoir été abandonné…

— Vous avez eu un mauvais maître, dit le père. Un méchant homme, un égoïste et un ingrat. Mais qu’il ne s’avise pas de passer jamais par ici, car je saurais lui faire honte de sa conduite et je le punirais comme il le mérite.

Le chien secoua la tête et dit en soupirant :

— Mon maître doit déjà se trouver bien puni à l’heure qu’il est. Je ne dis pas qu’il ait des remords de m’avoir abandonné, mais je connais son goût pour la paresse. Maintenant qu’il n’est plus aveugle et qu’il lui faut travailler pour gagner sa vie, je suis sûr qu’il regrette les beaux jours où il n’avait rien à faire que de se laisser guider par les chemins et d’attendre son pain et la charité des passants. Je vous avouerai même que je suis bien inquiet sur son sort, car je ne crois pas qu’il y ait au monde un homme plus paresseux.

Alors, le chat se mit à rire dans sa moustache. Il trouvait que le chien était bien bête de se faire tant de souci pour un maître qui l’avait abandonné. Les parents pensaient comme le chat et ne se gênaient pas pour le dire.

— Vraiment, son malheur ne l’aura pas instruit et il sera toujours le même !

Le chien était honteux et les écoutait en baissant l’oreille. Mais les petites le prirent par le cou et Marinette dit au chat en le regardant bien dans les yeux :

— C’est parce qu’il est bon ! et toi, chat, au lieu de rire dans ta moustache, tu ferais mieux d’être bon aussi.

— Et quand on joue avec toi, ajouta Delphine, de ne plus nous griffer pour nous faire mettre au coin par nos parents !

— Comme tu as fait encore hier soir !

Le chat était bien ennuyé, et maintenant, c’était lui qui avait honte. Il tourna le dos aux petites et s’en alla vers la maison en se dandinant d’un air maussade. Il grommelait qu’on n’était pas juste avec lui, qu’il griffait pour s’amuser ou encore sans le faire exprès, mais qu’en réalité, il était aussi bon que le chien et peut-être meilleur encore.

Les petites trouvaient que la compagnie d’un chien est une chose bien agréable. Quand elles allaient en commission, elles lui disaient :

— Tu viens avec nous en commission, chien ?

— Oh oui ! répondait le chien, mettez-moi vite mon collier.

Delphine lui mettait son collier. Marinette le prenait par la ficelle (ou bien le contraire) et ils s’en allaient tous les trois en commission.

Sur la route, les petites lui disaient qu’il passait un troupeau de vaches dans la prairie, ou un nuage au ciel, et lui qui ne pouvait pas voir, il était content de savoir qu’il passait un troupeau ou un nuage. Mais elles ne savaient pas toujours lui dire ce qu’elles voyaient, et il leur posait des questions.

— Voyons, dites-moi de quelle couleur sont ces oiseaux et la forme de leur bec, au moins.

— Eh bien, voilà : le plus gros a des plumes jaunes sur le dos, et ses ailes sont noires, et sa queue est noire et jaune…

— Alors, c’est un loriot. Vous allez l’entendre chanter…

Le loriot n’était pas toujours prêt à chanter et le chien, pour instruire les petites, essayait d’imiter sa chanson, mais il ne faisait rien qu’aboyer, et il était si drôle qu’on était obligé de s’arrêter pour en rire à son aise. D’autres fois, c’était un lièvre ou un renard qui passait à la lisière du bois ; alors, c’était le chien qui avertissait les petites. Il posait son nez par terre et disait en reniflant :

— Je sens un lièvre… regardez par là-bas…

Ils riaient presque tout le long du chemin. Ils jouaient à qui des trois irait le plus vite en marchant à cloche-pied, et c’était toujours le chien qui gagnait, parce qu’il lui restait tout de même trois pattes.

— Ce n’est pas juste, disaient les petites, nous, on va sur une patte.

— Pardi ! répondait le chien, avec des grands pieds comme les vôtres, ce n’est pas difficile !

Le chat était toujours un peu peiné de voir le chien s’en aller en commission avec les petites. Il avait tant d’amitié pour lui qu’il aurait voulu pouvoir ronronner entre ses pattes du matin au soir. Pendant que Delphine et Marinette étaient à l’école, ils ne se quittaient presque pas. Les jours de pluie, ils passaient leur temps dans la niche du chien, à bavarder ou à dormir l’un contre l’autre. Mais quand il faisait beau, le chien était toujours prêt à courir par les champs, et il disait à son ami :

— Gros paresseux de chat, lève-toi et viens te promener.

— Ronron, ronron, faisait le chat.

— Allons, viens. Tu me montreras le chemin.

— Ronron, ronron, faisait le chat (et c’était pour jouer).

— Tu voudrais me faire croire que tu dors, mais moi, je sais bien que tu ne dors pas. Oh ! je vois ce que tu veux… tiens !

Le chien se baissait, le chat s’asseyait sur son dos où il tenait à l’aise, puis ils partaient en promenade.