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— J’en avais besoin, reconnut la panthère. Que voulez-vous, quand on ne sait pas la géographie…

— Et notre pays, comment le trouvez-vous ? demanda Marinette.

— Il est bien agréable, dit la panthère, je suis sûre que je m’y plairai. Ah ! j’étais pressée d’arriver, après tout ce que m’avait dit le canard des deux petites et de toutes les bêtes de la ferme… Et à propos, comment se porte notre bon vieux cheval ?

A cette question, les deux petites se mirent à renifler et Delphine raconta en pleurant :

— Nos parents n’ont même pas attendu la foire de septembre. A midi, ils ont décidé de le vendre, et demain matin, on vient le chercher pour la boucherie…

— Par exemple ! gronda la panthère.

— Marinette a pris la défense du cheval, moi aussi, mais rien n’y fait. Ils nous ont grondées et privées de dessert pour une semaine.

— C’est trop fort ! Et où sont-ils, vos parents ?

— Dans la cuisine.

— Eh bien ! ils vont voir… mais surtout, n’ayez pas peur, petites.

La panthère allongea le cou et, la tête haute, la gueule grande ouverte, fit entendre un terrible miaulement. Le canard en était tout fier, et en regardant les petites, il ne pouvait pas s’empêcher de se rengorger.

Cependant, les parents étaient sortis de la cuisine en toute hâte, mais ils n’eurent pas le temps de s’enquérir d’où venait le bruit. D’un seul bond, la panthère avait traversé la cour et retombait devant eux sur ses quatre pattes.

— Si vous bougez, dit-elle, je vous mets en pièces.

On peut croire que les parents n’en menaient pas large. Ils tremblaient de tous leurs membres et n’osaient pas seulement tourner la tête. Les yeux d’or de la panthère avaient un éclat féroce, ses babines retroussées laissaient voir de grands crocs pointus.

— Qu’est-ce qu’on vient de me dire ? gronda-t-elle. Que vous allez vendre votre vieux cheval à la boucherie ? Vous n’avez pas honte ? Une pauvre bête qui a passé toute sa vie à travailler pour vous ! Le voilà bien récompensé de ses peines ! Vraiment, je ne sais pas ce qui me retient de vous manger… au moins, on ne pourrait pas dire que vous avez travaillé pour moi…

Les parents claquaient des dents et commençaient à se demander si cette idée de sacrifier le vieux cheval n’était pas bien cruelle.

— C’est comme les deux petites, reprit la panthère. On m’apprend que vous les avez privées de dessert pour huit jours parce qu’elles ont pris la défense du cheval. Vous êtes donc des monstres ? Mais je vous préviens qu’avec moi, les choses vont changer et qu’il va falloir mener la maison d’un autre train. Pour commencer, je lève la punition des petites. Ma parole, il me semble que vous ronchonnez ? Vous n’êtes pas contents, peut-être ?

— Oh ! si… au contraire…

— Allons, tant mieux. Pour le vieux cheval, il n’est naturellement plus question de la boucherie. J’entends qu’on soit avec lui aux petits soins et qu’il finisse ses jours en paix.

La panthère parla encore des autres bêtes de la ferme et des moyens de leur rendre la vie plus douce.

Le ton de ses paroles devenait moins sévère, comme si elle voulait faire oublier la mauvaise impression qu’avait pu laisser sa vivacité du premier moment. Les parents commençaient à reprendre un peu d’assurance, si bien qu’ils en vinrent à lui dire :

— En somme, vous vous installez à la maison. C’est très bien, mais avez-vous pensé à ce que sera notre existence s’il nous faut craindre à chaque instant d’être mangés ? Sans compter que nos bêtes seront bien exposées aussi. Vous comprenez, c’est bien joli d’empêcher les maîtres de tuer le cochon ou de saigner les volailles, mais on n’a jamais entendu dire que les panthères se nourrissaient de légumes…

— Je comprends que vous soyez inquiets, dit la panthère. Il est certain qu’au temps où je ne savais pas la géographie, tout ce qui tombait sous ma patte, homme ou bête, m’était bon à manger. Mais depuis ma rencontre avec le canard, il est là pour le dire, mon régime est celui des chats. Je ne mange plus que des souris, des rats, des mulots, et autres mauvaises espèces. Oh ! je ne dis pas que de temps en temps, je n’irai pas faire un tour dans la forêt, bien sûr. En tout cas, les bêtes de la ferme n’ont rien à redouter de moi.

Les parents s’habituèrent très vite à la présence de la panthère. Pourvu qu’ils ne punissent pas les petites trop fort et qu’ils ne fissent point de mal aux bêtes, elle se montrait toujours aimable avec eux. Même, certain dimanche où l’oncle Alfred vint à la maison, elle ferma les yeux sur la cuisson d’un poulet qu’on accommoda en sauce blanche. Il faut dire que ce poulet était une nature ingrate, n’ayant point d’autre souci que de tourmenter ses compagnons et de leur jouer quelque mauvais tour. Il ne fut regretté de personne.

D’autre part, la panthère rendait des services. Par exemple, on pouvait dormir sur ses deux oreilles, la maison était bien gardée. On en eut bientôt la preuve une nuit que le loup s’avisa de venir rôder autour de l’écurie. Le malheureux loup avait déjà réussi à entrebâiller la porte et se pourléchait à l’idée du bon repas qu’il allait faire, lorsqu’il se trouva lui-même mangé sans avoir eu le temps d’y rien comprendre, et il n’en resta que les pattes de devant, une touffe de poils, et la pointe d’une oreille.

Elle était bien utile aussi pour les commissions. Avait-on besoin de sucre, de poivre, de clous de girofle, l’une des petites sautait sur le dos de la panthère qui l’emmenait à l’épicerie d’un galop rapide.

Parfois même, on l’envoyait seule et il n’aurait pas fait bon pour l’épicier de se tromper à son avantage en rendant la monnaie.

Depuis qu’elle s’était installée au foyer, la vie avait changé et personne ne s’en plaignait. Sans parler du vieux cheval qui ne s’était jamais vu à pareille fête, chacun se sentait plus heureux. Les bêtes vivaient en sécurité et les gens ne traînaient plus comme autrefois le remords de les manger. Les parents avaient perdu l’habitude de crier et de menacer, et le travail était devenu pour tout le monde un plaisir. Et puis, la panthère aimait beaucoup jouer, toujours prête à une partie de saute-mouton ou de chat perché. Les partenaires ne lui manquaient pas, car elle obligeait à jouer non seulement les animaux, mais aussi bien les parents. Les premières fois, ceux-ci s’exécutaient en ronchonnant.

— A-t-on idée, disaient-ils, à nos âges ! Qu’est-ce que penserait l’oncle Alfred, s’il nous voyait ?

Mais leur mauvaise humeur ne dura pas plus de trois jours et ils prirent tant de plaisir à jouer qu’ils en vinrent à ne plus pouvoir s’en passer. Dès qu’ils avaient un moment de loisir, ils criaient dans la cour : « Qui est-ce qui veut jouer à la courotte malade ? »

Ôtant leurs sabots pour être plus vifs, ils se mettaient à poursuivre la vache et le cochon, ou la panthère, et on les entendait rire depuis les premières maisons du village. C’est à peine si Delphine et Marinette trouvaient le temps d’apprendre leurs leçons et de faire leurs devoirs.

— Venez jouer, disaient les parents. Vous ferez vos devoirs une autre fois !

Tous les soirs, après dîner, il y avait dans la cour de grandes parties de barres. Les parents, les petites, la panthère, le canard, et toutes les bêtes de la basse-cour et de l’écurie, étaient divisées en deux camps. Jamais on n’avait tant ri à la ferme. Le cheval, trop vieux pour prendre part au jeu, se contentait d’y assister et ce n’était pas lui qui s’amusait le moins. En cas de dispute, il avait la charge de mettre d’accord les adversaires. Une fois, entre autres, le cochon accusa l’un des parents d’avoir triché et le cheval dut lui donner tort. Ce cochon n’était pas une mauvaise bête, au contraire, mais susceptible et, quand il avait perdu, facilement rageur. Il y eut à cause de lui plusieurs disputes très vives qui mirent la panthère de mauvaise humeur. Mais ces mauvais moments étaient en somme assez rares et vite oubliés. Pour peu qu’il y eût clair de lune, les parties de barres se prolongeaient tard dans la nuit, personne n’étant pressé d’en finir.