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— Est-ce que vos parents vous ont grondées, petites ? leur demanda-t-il.

— Non, dit Marinette, ils ne se sont pas encore aperçus que la balle était perdue.

— Eh bien, soyez tranquilles, petites. Je puis vous assurer que demain soir, elle vous sera rendue.

Il n’y avait pas cinq minutes que les petites étaient parties quand il vit arriver le jars marchant en tête de sa tribu. L’âne salua toute la famille et demanda à la mère l’oie où ils allaient de si bonne heure.

— Nous allons à l’étang pour la baignade du matin, répondit-elle.

— Ma chère bonne oie, dit l’âne, j’en suis bien fâché, mais j’ai décidé que vous ne prendriez pas de bain ce matin.

Le jars se mit à rire et dit avec un air de pitié :

— Et tu as cru qu’il te suffisait de décider pour que j’obéisse ?

— Je ne sais pas quelles sont tes dispositions, mais il faudra bien m’obéir, car j’ai fait boucher l’étang pendant la nuit, et je ne le déboucherai pas avant que tu n’aies rendu la balle des petites.

Le jars pensa que l’âne avait perdu la tête et dit à ses oisons :

— Allons, en route pour le bain. Je ne vois pas pourquoi je consens à écouter les discours de cette bourrique.

Lorsqu’ils furent en vue de l’étang, les oisons poussèrent des cris de joie en disant que la surface de l’eau n’avait jamais été aussi polie et aussi brillante. Le jars n’avait jamais vu de glace et n’en avait même pas entendu parler, car l’hiver précédent avait été si tiède qu’il n’avait gelé nulle part. Il lui sembla aussi que l’eau était plus belle qu’à l’ordinaire, et cela le mit de bonne humeur.

— Voilà qui nous promet un bain agréable, dit-il.

Comme toujours, il descendit le premier dans l’étang et poussa un cri d’étonnement. Au lieu de s’enfoncer dans l’eau, il continuait à marcher sur la surface dure comme de la pierre. Derrière lui, la mère et les oisons étaient muets de stupéfaction.

— Est-ce qu’il aurait vraiment bouché l’étang ? grommelait le jars. Mais non, ce n’est pas possible… nous allons trouver l’eau un peu plus loin.

Ils traversèrent l’étang plusieurs fois, et partout, ils trouvèrent sous leurs pieds cette même surface de métal froid.

— C’est pourtant vrai qu’il a bouché notre étang, convint le jars.

— Quel ennui ! dit la mère l’oie. Une journée sans bain est une triste journée, surtout pour les enfants. Tu devrais bien rendre la balle…

— Laisse-moi tranquille, je sais ce que j’ai à faire. Et surtout, silence sur cette aventure… qu’on n’aille pas apprendre que je suis tombé sous la coupe d’une bourrique.

La tribu rentra à la basse-cour se cacher dans un coin. Pour passer devant la clôture, elle fit un large détour, mais l’âne cria :

— Est-ce que tu rends la balle ? Est-ce que je dois déboucher l’étang ?

Le jars ne répondit pas, trop orgueilleux pour céder du premier coup. Toute la matinée, il fut d’une humeur massacrante et ne toucha pas à sa pâtée. Vers le commencement de l’après-midi, il se demanda s’il était possible-que l’âne eût bouché l’étang et s’il n’avait pas rêvé. Après bien des hésitations, il se décida à y aller voir. Il lui fallut constater qu’il n’avait pas rêvé.

L’étang était solidement bouché. A l’aller et au retour, l’âne lui demanda encore s’il était prêt à rendre la balle.

— Prends garde qu’il ne soit trop tard quand tu t’y décideras !

Mais le jars passa la tête haute. Enfin, le lendemain matin, ne voulant pas engager lui-même les pourparlers, il envoya la mère l’oie auprès de l’âne. Delphine et Marinette se trouvaient justement là. Il faisait moins froid que la veille et la glace fondait déjà sur l’étang.

— Ma chère bonne oie, déclara l’âne (et il faisait semblant d’être en colère), je ne veux rien entendre avant d’avoir la balle. Vous pouvez aller le dire à votre époux. J’en suis ennuyé pour vous qui êtes bonne personne, mais ce jars est un entêté qui fait le malheur de sa famille.

La mère l’oie repartit à grands pas, et les petites, qui avaient eu de la peine à cacher leur envie de rire, purent s’amuser à leur aise.

— Pourvu que le jars n’aille pas faire un tour à l’étang avant de se décider, dit Delphine. Il verrait bien que le couvercle est en train de fondre.

— Ne craignez rien, dit l’âne, vous allez le voir arriver avec la balle.

En effet, le jars ne tarda pas à arriver à la tête de son troupeau. Il tenait la balle dans son bec et la jeta d’un geste rageur de l’autre côté de la clôture. Marinette la ramassa, et le jars se disposait à gagner l’étang, mais l’âne le rappela d’un ton sec.

— Ce n’est pas tout, lui dit-il. Maintenant, il s’agit de faire des excuses à ces deux petites que tu as mordues l’autre jour.

— Oh ! mais non, ce n’est pas la peine, protestèrent les petites.

— Si, j’exige des excuses. Je ne déboucherai pas avant qu’il ne vous ait demandé pardon.

— Moi, faire des excuses ? s’écria le jars. Ah ! jamais ! j’aimerais mieux me passer de bains toute ma vie !

Il rebroussa chemin aussitôt avec toute sa famille et regagna la cour de la ferme où il essaya d’oublier l’étang en pataugeant dans une flaque d’eau boueuse.

Il tint bon pendant toute une semaine, et lorsqu’il se résigna aux excuses, il y avait six jours que la glace était fondue sur l’étang ; il faisait si chaud qu’on se serait cru au printemps.

— Je vous demande pardon de vous avoir, mordu les jambes, prononça le jars que la colère faisait bégayer. Je fais le serment de ne pas recommencer.

— Voilà qui est bien, dit l’âne, je débouche l’étang. Allez vous baigner.

Ce jour-là, le jars fit durer la baignade longtemps. Lorsqu’il fut de retour à la ferme, le bruit de sa mésaventure commençait à se répandre et il lui fallut subir les railleries de toutes les bêtes. Chacun s’émerveillait que le jars pût être aussi sot et l’âne aussi malin.

Aussi n’est-il plus question, depuis ce jour-là, de la bêtise de l’âne ; et l’on dit, au contraire, d’un homme à qui l’on veut faire compliment de son intelligence qu’il est fin comme un âne.

L’âne et le cheval

Delphine et Marinette se couchèrent chacune dans son lit, mais comme il faisait un grand clair de lune qui entrait jusque dans leur chambre, elles ne s’endormirent pas tout de suite.

— Tu ne sais pas ce que je voudrais être ? dit Marinette qui était un peu plus blonde que sa sœur. Un cheval. Oui, j’aimerais bien être un cheval. J’aurais quatre bons sabots, une crinière, une queue en crin, et je courrais plus fort que personne. Naturellement, je serais un cheval blanc.

— Moi, dit Delphine, je n’en demande pas tant. Je me contenterais d’être un âne gris avec une tache blanche sur la tête. J’aurais quatre sabots aussi, j’aurais deux grandes oreilles que je ferais bouger pour m’amuser et surtout, j’aurais des yeux doux.

Elles causèrent encore un moment et le sommeil les surprit comme elles exprimaient une dernière fois le désir, Marinette d’être un cheval, Delphine un âne gris avec une tache blanche sur la tête. La lune se coucha environ une heure plus tard. Suivit une nuit noire et épaisse comme jamais pareille. Plusieurs personnes du village dirent le lendemain qu’elles avaient entendu dans ces ténèbres un bruit de chaînes, en même temps qu’une petite musique de poche et aussi le sifflement de la tempête, quoique le vent ne se fût levé à aucun moment. Le chat de la maison, qui était sans doute averti de bien des choses, passa plusieurs fois sous les fenêtres des petites et les appela du plus fort qu’il put, mais leur sommeil était si profond qu’elles ne l’entendirent pas. Il envoya le chien qui ne réussit pas mieux.