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Un matin, les parents vinrent dans la chambre des petites pour les réveiller. Le chat, qui avait passé une partie de la nuit à bavarder avec elles, était resté endormi sur le lit de Marinette. En entendant ouvrir la porte, il n’eut que le temps de se glisser sous la courtepointe.

— Il est l’heure, dirent les parents, réveillez-vous. Le soleil est déjà chaud et ce n’est pas encore aujourd’hui qu’il pleuvra… Ah ! çà, mais…

Ils s’étaient interrompus et, le cou tendu, les yeux ronds, regardaient le lit de Marinette. Alphonse, qui se croyait bien caché, n’avait pas pensé que sa queue passait hors de la courtepointe. Delphine et Marinette, encore ensommeillées, s’enfonçaient jusqu’aux cheveux sous les couvertures. S’avançant à pas de loup, les parents, de leurs quatre mains, empoignèrent la queue du chat qui se trouva soudain suspendu.

— Ah ! çà, mais c’est Alphonse !

— Oui, c’est moi, mais lâchez-moi, vous me faites mal. On vous expliquera.

Les parents posèrent le chat sur le lit. Delphine et Marinette furent bien obligées d’avouer ce qui s’était passé le jour de la noyade.

— C’était pour votre bien, affirma Delphine, pour vous éviter de faire mourir un pauvre chat qui ne le méritait pas.

— Vous nous avez désobéi, grondèrent les parents. Ce qui est promis est promis. Vous allez filer chez tante Mélina.

— Ah ! c’est comme ça ? s’écria le chat en sautant sur le rebord de la fenêtre. Eh bien ! moi aussi, je vais chez la tante Mélina, et je pars le premier.

Comprenant qu’ils venaient d’être maladroits, les parents prièrent Alphonse de vouloir bien rester à la ferme, car il y allait de l’avenir des récoltes. Mais le chat ne voulait plus rien entendre. Enfin, après s’être laissé longtemps supplier et avoir reçu la promesse que les petites ne quitteraient pas la ferme, il consentit à rester.

Le soir de ce même jour — le plus chaud qu’on eût jamais vu — Delphine, Marinette, les parents et toutes les bêtes de la ferme formèrent un grand cercle dans la cour. Au milieu du cercle, Alphonse était assis sur un tabouret. Sans se presser, il fit d’abord sa toilette et, le moment venu, passa plus de cinquante fois sa patte derrière l’oreille. Le lendemain matin, après vingt-cinq jours de sécheresse, il tombait une bonne pluie, rafraîchissant bêtes et gens. Dans le jardin, dans les champs et dans les près, tout se mit à pousser et à reverdir. La semaine suivante, il y eut encore un heureux événement. Ayant eu l’idée de raser sa barbe, la tante Mélina avait trouvé sans peine à se marier et s’en allait habiter avec son nouvel époux à mille kilomètres de chez les petites.

Les vaches

Delphine et Marinette firent sortir les vaches de l’étable pour les mener paître aux grands prés du bord de la rivière, de l’autre côté du village. Comme elles ne devaient rentrer que le soir, elles emportaient dans un panier leur déjeuner de midi, celui du chien et deux tartines de confiture de groseilles pour leur quatre heures.

— Allez, dirent les parents, et surtout, veillez bien à ce que les bêtes n’aillent pas se gonfler dans les trèfles ou croquer des pommes aux arbres des chemins. Pensez tout de même que vous n’êtes plus des enfants. A vous deux, vous avez presque vingt ans.

Les parents s’adressèrent ensuite au chien qui flairait avec amitié le panier du déjeuner.

— Et toi, feignant, tâche de faire attention aussi.

— Toujours des compliments, murmura le chien. Ça ne change pas.

— Vous, les vaches, pensez qu’on vous emmène brouter une herbe qui ne coûte rien. N’en perdez pas une bouchée.

— Soyez tranquilles, parents, dirent les vaches. Pour manger, on mangera.

L’une d’elles ajouta d’une voix aigre :

— On mangerait mieux si on n’était pas toujours dérangées.

Celle qui venait de parler ainsi était une petite vache grise qu’on appelait la Cornette. Elle avait réussi à gagner la confiance des parents, ne manquant jamais de leur rapporter ce que faisaient les petites et même ce qu’elles ne faisaient pas, car elle prenait un méchant plaisir a les faire gronder et mettre au pain sec.

— Dérangées ? demanda Delphine. Et qui donc te dérange ?

— Je dis ce que je dis, fit la Cornette en s’éloignant.

Derrière elle, le troupeau gagna la route, et les parents restèrent seuls, plantés au milieu de la cour de la ferme et grondant entre les dents :

— Hum ! voilà encore une chose qu’il faudra tirer au clair. C’est toujours pareil, quoi. Ces gammes sont deux vraies têtes folles. Ah ! heureusement ! Heureusement qu’il y a la Cornette, si raisonnable et si dévouée, surtout.

Ils se regardèrent, la tête penchée du côté droit, et ajoutèrent en essuyant une larme d’attendrissement :

— Bonne petite Cornette, va.

Là-dessus, ils rentrèrent chez eux en grommelant contre l’insouciance de leurs filles.

Le troupeau n’était pas à deux cents mètres de la ferme lorsqu’il rencontra sur le bord du chemin une branche de pommier, que l’orage de la nuit avait sans doute arrachée à l’arbre. Au risque de s’étrangler, les vaches se mirent à croquer des pommes. La Cornette, qui allait en avant était passée à côté de l’aubaine sans y prendre garde. Lorsqu’elle s’en avisa, elle revint sur ses pas, mais trop tard. Il ne restait plus une pomme.

— C’est ça, dit-elle en ricanant. On vous laisse encore manger des pommes. Tant pis si vous en crevez, hein ?

— Oui, dit Marinette, tu rages parce que tu n’en as pas eu.

Les petites se mirent à rire et les vaches et le chien aussi. La Cornette était si en colère qu’elle tremblait des quatre pattes. Elle déclara d’une voix rageuse :

— Je vais le dire.

Déjà elle se dirigeait vers la ferme, mais le chien se mit devant elle et l’avertit :

— Si tu fais encore un pas, je te mange le mufle.

Il montrait les dents, et son poil se hérissait sur son dos. On voyait bien qu’il était prêt à faire comme il disait et la Cornette en jugea ainsi, car elle rebroussa chemin aussitôt.

— C’est bon, dit-elle, tout ça se retrouvera. Mon tour de rire ne tardera pas longtemps.

Le troupeau se remit en marche et la Cornette, sans s’arrêter à brouter au long des chemins comme faisaient les autres vaches, prit une bonne avance.

En arrivant en vue des grands prés, elle fit une halte assez longue devant une ferme isolée et tint conversation avec la fermière qui étendait du linge sur la haie de son jardin. De l’autre côté de la route, à cent mètres de la ferme, des romanichels avaient dételé le cheval de leur roulotte et, assis au bord du fossé, travaillaient à tresser des paniers. Lorsque le reste du troupeau eut rejoint la Cornette, la fermière arrêta les deux petites et leur dit en montrant la roulotte :

— Faites attention à ces gens-là. C’est du monde qui ne vaut pas cher et qui est capable de tout. Si quelqu’un d’entre eux vient à vous parler, passez votre chemin et ne répondez pas.

Delphine et Marinette remercièrent poliment, mais sans beaucoup de chaleur. La fermière ne leur plaisait pas. Elles lui trouvaient un air rusé et sournois qui la faisait ressembler à la Cornette, et la seule dent, longue et jaune, qu’elle eût au milieu de la bouche, leur faisait un peu peur. Et le fermier qui, sur le pas de sa porte, les regardait du coin de l’œil, ne leur plaisait pas non plus. Jusqu’alors, l’un et l’autre ne leur avaient jamais adressé la parole que pour leur reprocher de ne pas surveiller leurs vaches et pour les menacer d’aller se plaindre aux parents. Toutefois, en passant devant la roulotte, elles pressèrent le pas, osant à peine jeter un regard de côté. Les romanichels, qui travaillaient en riant et en chantant, n’eurent pas l’air de faire attention à elles.