— Je vais au rendez-vous des enfants perdus, mais j’ai bien peur de ne pas être à l’heure. Vous pensez ! il faut arriver avant midi, et moi, sur mes petites pattes, je ne fais pas beaucoup de chemin et je suis vite fatigué.
— Et qu’est-ce que tu vas faire à ce rendez-vous des enfants perdus ?
— Je vais vous expliquer. Quand on n’a plus de parents, comme moi, on va au rendez-vous des enfants perdus pour essayer de trouver une famille. Tenez, on me parlait hier d’un jeune chien qui a été adopté par un renard au rendez-vous de l’année dernière. Mais, comme je vous le disais, j’ai bien peur d’être en retard.
Apercevant une libellule, le petit chien blanc se dressa brusquement sur ses pattes, se mit à sauter et à aboyer, fit trois tours sur lui-même, se roula dans l’herbe et finit par se coucher essoufflé et la langue pendante.
— Vous voyez, dit-il après avoir repris son souffle, je viens encore de m’amuser. C’est plus fort que moi, je ne peux pas m’en empêcher. Vous comprenez, je suis petit. Alors, je m’amuse presque à chaque pas, sans même le faire exprès. Ce n’est pas pour m’avancer. Ah ! vraiment, je n’ai pas beaucoup d’espoir d’arriver. Autant dire que je n’y compte pas. Si j’avais de grandes jambes comme les vôtres, bien sûr… le petit chien blanc paraissait tout triste. Delphine et Marinette se regardaient et regardaient aussi la route qui était maintenant très loin derrière elles.
— Petit chien, dit enfin Delphine, si je te portais jusqu’au rendez-vous des enfants perdus, crois-tu que tu arriverais assez tôt ?
— Oh ! oui, dit le petit chien blanc, vous pensez, avec vos grandes jambes !
— Alors, partons tout de suite. En marchant bien, nous serons vite revenues. Et où est-il, ton rendez-vous ?
— Je ne sais pas, je n’y suis jamais allé. Mais vous voyez cette pie qui vole devant nous, là-bas ? C’est elle qui me montre le chemin. Vous pouvez la suivre sans crainte. Elle nous conduira juste à l’endroit.
Delphine et Marinette se mirent en route, chacune à son tour portant le petit chien blanc. La pie volait devant elles, se posant parfois bien en vue au milieu d’un pré ou d’un sentier, et reprenant son vol pour se poser plus loin. Le petit chien blanc s’était endormi dès le départ dans les bras de Delphine. Il ne s’éveilla que deux heures plus tard, comme on arrivait au bord d’un grand étang. La pie vint se poser sur l’épaule de Marinette et dit aux deux petites :
— Mettez-vous là, près des roseaux, et attendez qu’on vienne vous chercher. Allons, bonne chance et adieu.
La pie envolée, les petites regardèrent autour d’elles et virent qu’elles n’étaient pas seules. Sur la rive, des groupes de jeunes animaux étaient assis dans l’herbe et il en arrivait à chaque instant. Il y avait des agneaux, des chevreaux, des marcassins, des chatons, des poussins, des canetons, des coquetons, des lapins et bien d’autres espèces. Fatiguées par leur longue marche, les petites s’étaient assises à leur tour et Delphine commençait à somnoler, lorsque Marinette s’écria :
— Regarde là-bas, les cygnes !
Delphine ouvrit les yeux et vit, à travers les roseaux, deux grands cygnes nager sur l’étang vers une île où abordaient d’autres cygnes et chacun portait sur son dos un lapin. Plus loin, deux autres cygnes tiraient un radeau fait de branches et de roseaux, sur lequel était assis un jeune veau qui poussait des cris de frayeur. Et sur toute la surface de l’étang, c’était un continuel va-et-vient des grands oiseaux blancs. Les petites ne se lassaient pas d’admirer. Tout à coup, auprès du buisson où elles étaient assises, un cygne sortit des roseaux et vint droit sur elles. Il eut un regard sévère et demanda d’une voix sèche :
— Enfants perdus ?
— Oui, répondit Marinette en montrant le petit chien blanc couché sur ses genoux.
Tournant la tête, le cygne fit entendre un long sifflement et presque aussitôt s’avancèrent deux autres cygnes qui tiraient un radeau.
— Montez, commanda celui qui semblait avoir pour mission de surveiller les embarquements.
— Attendez, protesta Delphine, il faut que je vous explique…
— Je n’ai pas d’explications à entendre, coupa le cygne. Vous vous expliquerez dans l’île, si vous voulez. Allons, vite.
— Laissez-moi vous dire…
— Silence !
Le cygne, l’œil méchant, allongeait déjà son grand cou, et son bec menaçait les mollets des petites.
— Allons, dit l’un des cygnes attelés au radeau, soyez raisonnables. Nous n’avons plus de temps à perdre ici.
Effrayées, les petites n’osèrent pas résister davantage et montèrent sur le radeau. Les deux cygnes partirent aussitôt et, gagnant le milieu de l’étang, nagèrent en direction de l’île. La promenade était agréable et les deux enfants ne regrettaient guère le rivage. On rencontra des cygnes qui revenaient de l’île où ils avaient sans doute déposé des passagers. D’autres, légèrement chargés d’un chaton ou d’un marcassin en bas âge, dépassèrent l’attelage et eurent bientôt abordé. Le petit chien blanc était si content de naviguer qu’il faillit plusieurs fois sauter hors des bras de Marinette pour aller jouer avec l’eau.
La traversée dura un peu plus d’un quart d’heure.
Au débarqué, un cygne vint prendre livraison des deux sœurs et du petit chien et les conduisit à l’ombre d’un bouleau d’où il leur défendit de s’éloigner sans sa permission. Delphine et Marinette reconnurent, dans le troupeau des jeunes bêtes qui les entouraient, la chevrette et les deux canetons, sans compter quelques autres aperçues tout à l’heure sur le rivage de l’étang.
Marinette compta une quarantaine d’orphelins, de tout poil et de toute plume, et, à chaque instant, le cygne en amenait de nouveaux. Ils songeaient à la famille qu’ils allaient trouver bientôt et l’émotion les rendait silencieux.
A l’autre bout de l’île était massé un autre troupeau.
Une ligne de buissons empêchait de les bien voir, mais l’on pouvait distinguer qu’il n’y avait là que des animaux d’un âge mûr. Ils semblaient assez bavards et le bruit de leurs voix parvenait aux petites.
Au bout d’un quart d’heure d’attente, Delphine avisa un vieux cygne occupé à faire les cent pas devant les orphelins qu’il était sans doute chargé de surveiller.
Il marchait en dodelinant de la tête avec un air de bonté. Voyant Delphine faire un geste d’appel, il s’avança et dit aimablement :
— Bonjour, mes enfants. Il fait une jolie journée de printemps n’est-ce pas ?… Plaît-il ? Je suis un peu dur d’oreille, vous savez.
— Je voulais vous dire que, ma sœur et moi, nous voulons rentrer chez nous.
— Oui, merci, je me porte assez bien pour mon âge, répondit le vieux cygne qui entendait vraiment mal.
— Nous avons besoin de rentrer chez nous, fit Delphine en haussant la voix.
— En effet, il commence à faire bien chaud.
Alors, Delphine se porta tout contre l’oreille du vieux cygne et cria de tous ses poumons :
— Nous n’avons pas le temps d’attendre ! Il nous faut rentrer à la maison !
Elle n’avait pas fini de crier qu’un cygne, celui-là même qui les avait embarquées sur le radeau, surgissait d’un buisson en vociférant :
— Encore ces gamines ! On n’entend plus qu’elles, ma parole ! Je commence à en avoir assez !
— Ma sœur était en train d’expliquer… commença Marinette.