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Dans la cuisine, Delphine et Marinette cousaient sous la lampe. Le couvert était mis et le feu allumé. En entrant, les parents dirent bonjours d’une petite voix qu’elles ne reconnaissaient pas. Ils avaient les yeux humides et, ce qui ne leur était jamais arrivé, n’en finissaient pas de regarder au plafond.

— Quel dommage, dirent-ils aux petites. Quel dommage que vous n’ayez pas traversé la route tout à l’heure. Un cygne a chanté sur les prés.

Le petit coq noir

Sur le chemin de l’école en traversant les prés, Delphine et Marinette virent un petit coq noir qui allait d’un pas pressé dans l’herbe haute.

— Où vas-tu, coq ? demanda Marinette.

— Je vais, dit le coq sans tourner la tête, et je n’ai pas le temps de bavarder.

On voyait bien qu’il n’était pas disposé aux confidences, car il marchait en tapant du bec sur les plumes de son jabot, et une petite flamme de colère luisait dans son œil doré. Marinette était peinée qu’il eût fait une réponse de cette façon-là.

— Qu’est-ce qu’il se croit donc ? murmura-t-elle à l’oreille de sa sœur. Pour un petit coq de rien du tout…

— Il a toujours été un peu fier, dit Delphine, mais je ne le crois pas mal élevé. Il aura appris, bien sûr, que tu as eu hier après-midi deux mauvais points à l’école, et c’est pourquoi il ne veut pas te répondre.

— Puisqu’il sait tout, il doit savoir aussi que je ne les ai pas mérités.

Pendant qu’elles se disputaient, le coq avait déjà fait du chemin ; on n’apercevait plus que sa crête qui faisait une petite tache rouge dans l’herbe drue.

Delphine courut derrière lui, le dépassa, et fit une révérence.

— Coq, ma sœur est curieuse, mais elle voudrait savoir où tu vas, les plumes si belles et la crête si fraîche ?

Le petit coq noir s’arrêta. Il était content, à cause des plumes et de la crête. Il se redressa, une patte raide, l’autre repliée, et renfla son jabot.

— Ah ! je viens de loin, petites, et je vais plus loin encore. Tel que vous me voyez, j’ai déjà passé la rivière sur un pont !

Marinette, qui se tenait derrière lui, haussa les épaules, et regarda sa sœur comme pour lui faire entendre : « Il a passé la rivière, hein…, dirait-on pas… mais moi, je la passe tous les jours, la rivière. »

Parce qu’elle était polie, elle ne dit rien pourtant, et ce fut encore Delphine qui parla.

— Et pourquoi donc ce grand voyage, coq ?

— C’est toute une histoire, petites, toute une histoire (et il renflait son jabot encore bien plus). Quand j’y pense… Ah ! je suis en colère, vous savez ! Figurez-vous que cette nuit, le renard est venu rôder autour du poulailler pour la troisième fois depuis quinze jours. Il sait que j’ai le sommeil un peu lourd et il en profite, mais soyez tranquilles, je ne lui laisserai pas toujours la partie aussi belle. Il peut se flatter d’avoir eu de la chance que je ne me sois pas réveillé…

Marinette eut bien du mal à ne pas éclater de rire.

Elle s’écria :

— Mais, coq, le renard t’aurait mangé ! tu es tout petit !

Alors, le coq se retourna tout d’un saut, la crête frémissante.

— Tout petit ? par exemple ! nous allons bien voir… Il n’y a qu’une chose qui vaille, c’est le courage, et je n’en manque pas, Dieu merci. Le renard m’a encore échappé cette nuit, mais sachez-le, j’ai quitté le poulailler à l’aube, et je me suis mis en route pour gagner la forêt. Je saurai bien découvrir le renard où il se cache, et je vous le corrigerai d’importance !

Il s’était mis à marcher en rond, d’un pas fier qui lui jetait la tête en arrière, et comme il avait une assez belle voix, son éloquence fit grande impression sur les petites. Marinette n’avait plus envie de rire, et il se radoucit.

— Si vous voulez, reprit-il, vous pouvez me rendre un service. Je ne suis plus très sûr de mon chemin, et l’herbe est si haute par ici que je n’arrive pas à voir par dessus.

Delphine le prit dans ses mains et le percha sur son épaule pour qu’il découvrît toute la plaine. Marinette, qui avait encore un peu de rancune, ne put se tenir de lui faire observer :

— Tu diras ce que tu voudras, coq, mais c’est tout de même bien commode, d’être grand.

— Cela peut servir quelquefois, dit le coq, mais il faut convenir que ce n’est pas beau.

Les petites firent l’école buissonnière sans y penser.

Elles ne l’auraient sûrement pas faite si elles avaient réfléchi aux suites de leur escapade, mais le coq marchait en avant, et il leur disait :

— Vous allez voir la tête du renard quand il me verra arriver, vous allez voir. Je m’en vais vous l’arranger d’une manière qui le rendra prudent pour longtemps. Tenez, regardez un peu comment je m’y prendrai…

Alors, il tombait en arrêt devant un bouton d’or, le plus gros qu’il pût trouver. Battant l’air de ses courtes ailes, toutes les plumes dressées et l’œil en feu, il sautait sur la fleur, la déchirait à coups de bec, et en piétinait les débris.

— Tout de même, murmurait Delphine à sa sœur, je ne voudrais pas être à la place du renard.

— C’est-à-dire que je ne voudrais pas être à la place du bouton d’or, répondait Marinette.

Cependant, à mesure que l’on approchait du bois, le coq se montrait moins pressé d’arriver. Il s’arrêtait presque à chaque pas pour faire admirer sa vigueur et sa bravoure.

— Tenez, les marguerites, eh bien, c’est pareil que les boutons d’or… et pareil aussi, les bleuets.

— Oui, disait Marinette, mais les renards ?

Enfin, comme les petites le pressaient de poursuivre son chemin, il essaya de se dérober.

— Il faut que je vous le dise, mais j’ai un grand remords de vous avoir fait manquer l’école. L’instruction est une chose si précieuse qu’on n’a vraiment pas le droit d’en rien perdre. C’est à moi d’être le plus raisonnable, et ma foi, tant pis pour le renard, je le corrigerai un autre jour, mais je veux d’abord vous conduire à l’école.

— Ah ! non, protesta Marinette, à présent il est trop tard pour aller en classe. Il fallait t’en aviser plus tôt, et puis, tu sais, on n’a pas besoin de toi pour trouver le chemin de l’école. Allons, au bois tout de suite, ou je croirai que tu as peur.

Le coq était bien ennuyé, mais il s’était trop engagé pour reculer, et il avait beau chercher un prétexte dans sa tête d’épingle, il n’en trouvait point d’honnête pour justifier une retraite soudaine.

— Bon, bon, n’en parlons plus. Moi, je vous donne de bons conseils, vous en faites ce qu’il vous plaît.

Mais en arrivant à la lisière du bois, il s’arrêta, bien décidé à n’aller pas plus avant.

— Vous comprenez, dit-il, pour peu que le renard soit averti de mon arrivée, il m’aura tendu un piège de sa façon. Je ne suis pas si bête d’aller me fourrer dans ses pattes sans avoir pris toutes mes dispositions de combat. Voilà un acacia qui fera un excellent observatoire. Pendant que je surveillerai la lisière du bois pour m’assurer que le renard ne cherche pas à m’échapper, vous partirez aux renseignements dans les fourrés ; et si par malchance, l’occasion nous échappe ce matin, ce sera pour une autre fois.

Avec l’aide de Delphine, il grimpa sur son arbre, et les petites entrèrent dans la forêt. Elles n’avaient pas marché cinq minutes qu’elles furent arrêtées par de beaux fraisiers qui portaient de petites fraises rouges et fondantes. Les deux sœurs étaient si occupées de leur cueillette que le renard s’approcha sans être entendu.