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Aux grands prés, la journée se passa bien, sauf qu’à plusieurs reprises, la Cornette s’en fut marauder dans un champ de luzerne en bordure de la prairie. Elle y mit tant d’arrogance et d’entêtement qu’à la troisième fois, il fallut une volée de coups de bâton pour la déloger. Comme elle détalait de toute sa vitesse, le chien se suspendit à sa queue et fit ainsi plus de vingt mètres sans toucher terre.

— Ça leur coûtera cher, dit-elle en rejoignant le troupeau.

Vers la fin de l’après-midi, les petites allèrent jusqu’à la rivière pour causer avec les poissons, et le chien, qui eût mieux fait de garder le troupeau, tint à les accompagner. Du reste, la conversation manqua d’intérêt. Elles ne virent d’autre poisson qu’un gros brochet presque idiot qui, à tout ce qu’on lui disait, se contentait de répondre : « Comme je dis souvent, un bon repas et un bon somme par-dessus, il n’y a encore que ça qui compte. » Renonçant à en tirer autre chose, les bergères et leur chien regagnèrent le milieu de la prairie. Le troupeau paissait tranquillement, mais la Cornette avait disparu. Les autres vaches, trop occupées à bien brouter, ne l’avaient pas vue s’éloigner.

Delphine et Marinette ne doutaient pas que la Cornette fût rentrée tout droit à la maison afin d’y être la première et de monter la tête aux parents avec une histoire de sa façon. Dans l’espoir de la rejoindre avant qu’elle eût atteint la ferme, elles quittèrent aussitôt les grands prés et ramenèrent les vaches au pas gymnastique.

Les parents n’étaient pas encore rentrés des champs, mais nulle part il n’y avait trace de la Cornette et personne ne l’avait vue. Les petites perdaient la tête, et le chien, songeant à ce qui l’attendait, n’en menait pas large. Dans la cour, il y avait un canard d’un très beau plumage et qui avait beaucoup de sang-froid.

— Ne nous affolons pas, dit-il. Vous allez d’abord traire les vaches et porter le lait à la laiterie. Après, nous aviserons.

Les petites suivirent le conseil du canard. Elles étaient déjà revenues de la laiterie lorsque les parents arrivèrent à la ferme. Il faisait nuit noire et, dans la cuisine, la lampe était allumée.

— Bonjour, dirent les parents. Tout s’est bien passé ? Rien de nouveau ?

— Ma foi non, répondit le chien. Rien de nouveau.

— Toi, tu parleras quand on t’interrogera. En voilà un animal ! Alors, petites, rien de nouveau ?

— Non, rien, dirent les petites en rougissant et avec des voix toutes chevrotantes. Tout a été à peu près…

— A peu près ? Hum ! Allons voir un peu ce qu’en pensent les bêtes.

Les parents quittèrent la cuisine, mais le chien les avait déjà précédés et rejoignait le canard qui l’attendait à la place de la Cornette, tout au fond de l’étable.

— Bonsoir, les vaches, dirent les parents. La journée a été belle ?

— Une journée superbe, parents. Jamais encore on n’avait mangé d’une aussi bonne herbe.

— Allons, tant mieux. Et autrement, pas d’ennuis ?

— Non, pas d’ennuis.

Dans l’obscurité, à tâtons, les parents s’avancèrent d’un pas vers le fond de l’étable.

— Et toi, brave petite Cornette, tu ne dis rien ?

Le chien, auquel le canard soufflait tous les mots, répondit d’une voix dolente :

— J’ai si bien mangé, voyez-vous, que je tombe de sommeil.

— Ah ! la bonne vache ! Voilà qui fait plaisir à entendre. Aujourd’hui, en somme, tu n’as pas été trop dérangée ?

— Je n’ai à me plaindre de personne.

Le chien marqua un temps d’hésitation, mais pressé par le canard, il ajouta sans beaucoup d’empressement :

— Non, je n’ai pas à me plaindre, sauf que cette sale bête de chien s’est encore pendu à ma queue. Vous direz ce que vous voudrez, parents, mais la queue d’une vache n’est pas faite pour servir de balançoire à un chien.

— Bien sûr que non. Ah ! la vilaine bête ! Mais, sois tranquille, tout à l’heure, il aura son compte de coups de sabot dans les côtes. En ce moment, il ne se doute pas de ce qui l’attend.

— Ne le frappez pas trop fort tout de même. Au fond, vous savez, ce qu’il m’a fait là, c’était bien un peu pour rire.

— Non, non, pas de pitié pour les mauvais bergers, il sera roué de coups comme il le mérite.

Là-dessus, les parents regagnèrent la cuisine. Le chien s’y trouvait déjà, couché sous le fourneau.

— Arrive ici, toi ! lui crièrent ses maîtres.

— Tout de suite, dit le chien. Mais on dirait que vous n’avez pas l’air d’être contents de moi. Vous savez, bien souvent, on se fait des idées…

— Viendras-tu ?

— Je viens, je viens. En tout cas, je fais mon possible. Il faut vous dire que je souffre d’un rhumatisme dans le côté droit…

— Justement, il y a un bon médicament qui t’attend.

Et en disant cela, les parents regardaient le nez de leurs sabots avec un air cruel. Les petites plaidèrent pour le chien et, comme ils croyaient n’avoir rien à leur reprocher, ils voulurent bien se contenter de lui administrer un seul coup de sabot chacun.

Le lendemain matin, en venant traire les vaches, les parents virent que la Cornette n’était pas dans l’étable. A sa place, il y avait un seau plein de lait encore tiède fourni par les autres vaches.

— Tout à l’heure, pendant que vous étiez au grenier, expliqua le canard, la Cornette se plaignait d’avoir mal à la tête. Elle a demandé aux petites de la traire tout de suite et Marinette vient de l’emmener aux grands prés.

— Puisque la Cornette le demandait, les petites ont bien fait, dirent les parents.

Cependant, Marinette s’en allait seule vers les grands prés. La fermière qui n’avait qu’une dent était dans la cour de sa ferme. Elle s’étonna de voir la bergère sans son chien et sans son troupeau.

— Ah ! si vous saviez ce qui nous est arrivé, dit Marinette. Hier après-midi, on a perdu une vache.

La fermière déclara n’avoir pas vu la Cornette. Elle ajouta en montrant, de l’autre côté de la route, les romanichels qui prenaient leur petit déjeuner du matin devant la roulotte :

— En ce moment, il ne fait pas bon laisser traîner des bêtes ou quoi que ce soit. Ce n’est pas perdu pour tout le monde.

En s’éloignant, Marinette risqua un coup d’œil vers la roulotte, mais n’osa pas interroger les bohémiens.

Du reste, elle ne croyait pas qu’ils eussent volé la Cornette. Où l’auraient-ils mise ? La porte de la roulotte était trop étroite pour qu’une vache y pût passer. Pendant qu’elle était seule aux grands prés, elle alla jusqu’à la rivière s’informer auprès des poissons si une vache n’avait pas péri la veille en s’aventurant dans quelque trou d’eau. Mais aucun des poissons qu’elle interrogea n’avait rien appris de pareil.

— On le saurait déjà, fit observer une carpe. Dans la rivière, les nouvelles vont vite. D’ailleurs, mon fils en aurait été averti dès hier soir. Vous pensez, il est toujours par creux et par gués.

Rassurée, Marinette rejoignit le troupeau qui arrivait sur les grands prés. Delphine s’inquiéta de la conversation qu’avait eue sa sœur avec la fermière.

Celle-ci n’allait pas manquer, si elle rencontrait les parents, de leur parler de la Cornette.