Aussitôt, le cochon se trouva pourvu d’une paire d’ailes solidement fixées, et c’était comme s’il les eût apportées en naissant. A vrai dire, tout n’alla pas du premier coup. Delphine et Marinette étaient si émues que l’une des ailes fut plantée sur l’échine et l’autre sur le ventre.
— Ça ne fait rien, dit le bœuf blanc, qui était décidément de bonne humeur, nous allons réparer l’erreur.
Il récita son latin à l’envers, fit tourner sa queue de droite à gauche, et les ailes tombèrent. Il n’eut qu’à recommencer la première opération, en veillant cette fois à la symétrie. Le cochon était si heureux qu’il ne savait comment le remercier.
— Tu es le meilleur des bœufs. Toute ma vie, je te serai, reconnaissant de ce que tu viens de faire pour moi.
— Mais non, dit le bœuf. Il y a bien de quoi ! c’est tout naturel. Si même un jour, tu avais besoin d’une paire de nageoires, ne te gêne pas. C’est à ton service.
C’était tout de même gentil de sa part. Pour le récompenser, Delphine lui donna un petit livre qu’elle avait trouvé dans la maison, et auquel personne ne comprenait rien. Le bœuf se mit aussitôt à le dévorer et n’entendit même pas qu’on lui disait au revoir.
Le lendemain matin, il faisait un beau soleil qui mit sur pied bêtes et gens de bonne heure. Les parents aiguisèrent un grand couteau et préparèrent d’autres instruments presque aussi affreux. La petite poule blanche picorait dans la cour, le chat était couché sur la margelle du puits, et l’âne broutait une herbe de printemps à côté de la maison. Et quand ils eurent tout préparé, les parents dirent aux deux petites :
— Allez donc lâcher ce pauvre cochon et qu’on en finisse rapidement.
Quand on lui eut ouvert sa porte, le cochon fit un signe d’amitié aux petites et fila jusqu’à la haie du jardin, comme il faisait d’habitude. Il sembla aux parents qu’il avait quelque chose de changé, mais ils n’y firent pas attention autrement. Cachant leur grand coutelas derrière le dos, ils l’appelèrent d’une voix engageante.
— Viens, mon beau cochon, disaient-ils. Viens dire bonjour à tes maîtres, et tu auras une belle récompense.
Mais le cochon ne bougeait pas et tous les appels, toutes les promesses, ne lui faisaient même pas lever la tête.
— Viendras-tu, à la fin ! crièrent les parents d’une voix furieuse, où nous faudra-t-il aller te chercher par l’oreille ?
Il ne parut pas entendre, et ils durent se décider à l’aller chercher comme ils l’avaient dit. Alors, le cochon fit trois pas à leur rencontre, et déployant ses belles ailes neuves, s’éleva gracieusement dans les airs.
On ne peut pas dire combien les parents étaient étonnés. Les yeux ronds et la bouche ouverte, ils regardaient leur cochon qui volait en rond au-dessus de la cour, tantôt les ailes battantes, s’élevant plus haut que les cheminées de la maison, tantôt planant et descendant jusqu’à effleurer les cheveux blonds des deux petites. Un moment, il se percha sur le toit, et les parents eurent encore l’espoir qu’il leur reviendrait.
— Voyons, ce n’est pas sérieux, il s’agit d’une plaisanterie et nous sommes tout prêts à pardonner. Tu sais combien nous tenons à toi.
— Serviteur, dit le cochon. Est-ce que vous croyez qu’en volant au-dessus de la cour, je n’ai pas vu le grand coutelas que vous cachez derrière votre dos ? J’aime mieux quitter la maison que d’y finir au saloir. Adieu, et apprenez à être moins cruels.
Après un sourire à ses amis, le cochon s’enfuit à tire-d’aile jusqu’au profond de la forêt. Il y vécut très heureux et ne regretta jamais le saloir. Pourtant, il n’oubliait pas ses anciens compagnons et profitait de l’absence des parents pour venir à la ferme. Il contait ses aventures de la forêt aux deux petites, à l’âne, au chat, à la petite poule blanche, et ne manquait jamais de les remercier, disant qu’il leur devait la vie.
Plusieurs fois, il prit Delphine et Marinette sur son dos et leur fit faire de belles promenades dans les nuages.