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— Qu’avez-vous, Rik ?

— Je ne sais pas. Je me sens très excité.

— Etes-vous déjà entré dans une bibliothèque ?

— Je ne sais pas.

Terens appuya le pouce sur le rond d’aluminium qui, quelques instants plus tôt, avait été sensibilisé à son empreinte digitale. La porte transparente s’ouvrit. Quand les deux hommes furent entrés, elle se referma silencieusement et devint opaque. On eût dit que, derrière, quelqu’un avait tiré un rideau.

Ils se trouvaient dans une pièce carrée de deux mètres de côté, sans fenêtre, ni ornements, baignée d’une lumière diffuse émanant du plafond. L’aération était assurée par une ventilation d’air forcée. Le mobilier se limitait à un bureau courant d’un mur à l’autre et à un banc capitonné. Trois « lecteurs » étaient posés sur ce bureau, leur écran laiteux incliné selon un angle de trente degrés. Une série de boutons complétait ce dispositif.

— Savez-vous ce que c’est ?

Terens s’assit et posa sa main lisse et dodue sur l’un des lecteurs.

Rik s’assit à son tour.

— Des livres ? demanda-t-il avec curiosité.

Terens fit la moue.

— Comme nous sommes dans une bibliothèque, c’était facile à deviner et cela ne nous avance guère. Savez-vous comment fonctionne un lecteur ?

— Non… Je ne crois pas, Prud’homme.

— Vous êtes sûr ? Réfléchissez un peu.

Rik essaya vaillamment.

Non, Prud’homme. Je regrette…

— Eh bien, je vais vous montrer. Regardez ! D’abord, vous avez là un bouton portant le mot « catalogue » où sont inscrites les lettres de l’alphabet. Comme nous voulons d’abord consulter l’encyclopédie, nous allons placer le cran sur la lettre E, et abaisser le levier.

Il joignit le geste à la parole. Plusieurs choses se produisirent alors. Des caractères se formèrent sur le voyant, noirs sur fond jaune, tandis que la lumière qui tombait du plafond s’estompait. Un panneau jaillit comme une langue devant chacun des lecteurs ; le centre en était matérialisé par un faisceau ponctuel. Terens manœuvra une manette et ces panneaux rentrèrent tous les trois dans leur logement.

— Nous ne prendrons pas de notes, dit le Prud’homme. Maintenant, poursuivit-il, nous pouvons explorer la liste des E grâce à cet autre bouton.

Une série de fiches classées par ordre alphabétique portant le titre des ouvrages, le nom de l’auteur et un numéro d’ordre se déroula pour s’immobiliser à l’article « Encyclopédie ». Il y avait un grand nombre de tomes.

— On forme la combinaison de chiffres et de lettres correspondant au livre désiré au moyen de ces petites touches et le volume apparaît sur l’écran, dit tout à coup Rik.

Terens le dévisagea.

— Comment le savez-vous ? Vous vous le rappelez ?

— Peut-être. Je n’en suis pas certain. Cela me semble être ce qu’il faut faire.

— Déduction judicieuse.

Terens forma la combinaison. Le voyant s’obscurcit un instant. Quand son éclairage eut repris son intensité normale, il portait cette indication :

« Encyclopédie de Sark, Volume 54

Matière traitée : Sol. »

— Ecoutez-moi, Rik, fit alors le Prud’homme. Je ne veux pas que vous ayez d’idées préconçues. Aussi, je ne vous dirai pas ce que j’ai en tête. Vous allez simplement parcourir ce livre. Si quelque chose vous semble familier, vous vous arrêterez. Vous m’avez compris ?

— Oui.

— Bien. Allons-y. Prenez tout votre temps.

Les minutes succédèrent aux minutes. Soudain, Rik émit une sorte de hoquet et il tourna le bouton en arrière.

Quand sa main se fut immobilisée, Terens jeta un coup d’œil sur le titre retenu et il eut un air satisfait.

— Vous vous rappelez, maintenant ? Ce n’est pas une supposition ? Vous vous rappelez ?

Rik hocha énergiquement la tête.

— Cela m’est revenu, Prud’homme. D’un seul coup.

C’était l’article relatif à l’analyse spatiale.

— Je sais ce qu’il y a là-dedans, continua Rik. Vous allez voir… vous allez voir.

Il haletait et Terens était presque aussi excité que lui.

— Tenez, ça, c’est le couplet inévitable.

Il se mit à lire à haute voix sur un débit haché mais avec trop de facilité pour que cela puisse s’expliquer par les leçons de lecture embryonnaires de Valona :

« Il n’est pas surprenant que le spatio-analyste soit un individu introverti et, assez souvent, inadapté. Consacrer la majeure partie de sa vie d’adulte à explorer dans la solitude le vide terrifiant qui s’étend entre les étoiles, c’est plus qu’on ne saurait demander à un individu entièrement normal. Peut-être est-ce un peu pour cela que l’Institut d’Analyse Spatiale a adopté comme slogan officiel cette formule qui ne laisse pas d’être paradoxale « Nous Analysons le Vide. »

Ce fut presque sur un cri que Rik termina.

— Comprenez-vous ce que vous avez lu ? s’enquit Terens.

Une lueur ardente dansait dans les yeux de son compagnon.

Ils disent : « Nous analysons le Vide. » C’est ce que je me suis rappelé. C’était mon travail.

— Vous étiez spatio-analyste ?

— Oui, dit Rik, un ton plus bas. J’ai mal à la tête.

— Parce que vous vous rappelez ?

— Je suppose.  – Il leva les yeux, le front plissé. Il faut que je me rappelle mieux. Il y a un danger. Un danger épouvantable ! Mais je ne sais pas quoi faire.

— La bibliothèque est à notre disposition, Rik. Terens l’observait avec attention. Il pesait ses mots.  – Feuilletez vous-même le catalogue et examinez quelques articles sur l’analyse spatiale. Nous verrons où cela vous mènera.

Rik se pencha sur le lecteur. Il tremblait visiblement. Terens se poussa pour lui faire de la place.

— Que pensez-vous du Traité de Pratique Spatial-analytique de Wrijt, Prud’homme ? Cela vous paraît-il intéressant ?

— Faites votre choix vous-même.

Rik forma la combinaison. Une phrase apparut sur le voyant « Veuillez consulter la préposée pour l’ouvrage en référence. »

Terens se hâta d’annuler la demande.

— Mieux vaut essayer avec un autre livre, Rik.

— Mais…

L’amnésique hésita, puis obéit. Cette fois, il sélectionna La Composition de l’Espace d’Enning.

A nouveau, il fut prié de s’adresser au bureau. Terens poussa un juron et éteignit l’écran.

— Que se passe-t-il, Prud’homme ?

— Rien, rien ! Ne vous affolez pas, Rik. Mais je ne comprends pas très bien…

A côté du lecteur se trouvait un petit haut-parleur dissimulé derrière une grille. La voix sèche de la bibliothécaire en sortit, et les deux hommes se pétrifièrent :

— Cabine 242 ? Y a-t-il quelqu’un dans la cabine 242 ?

— Que voulez-vous ? demanda Terens, la gorge sèche.

— Quel est l’ouvrage que vous désirez ?

— Nous ne voulons rien, merci. Nous essayons simplement le lecteur.

Il y eut un silence comme si quelqu’un d’invisible commentait la réponse, puis la voix retentit à nouveau, plus sèche encore :

— Selon l’enregistrement, vous avez demandé communication du Traité de Pratique Spatio-Analytique de Wrijt et de La Composition de l’Espace d’Enning. Est-ce exact ?

— Nous avons formé des combinaisons prises au hasard dans le catalogue, expliqua Terens.

Mais, inexorable la voix insista :

— Puis-je savoir la raison pour laquelle vous voulez voir ces ouvrages ?

— Je vous répète que nous ne voulons pas… Vous, restez tranquille !