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Ces derniers mots, prononcés avec colère, s’adressaient à Rik qui commençait à geindre.

Après une nouvelle pause la bibliothécaire reprit :

— Si vous voulez bien passer au bureau, vous pourrez avoir accès à ces livres. Ils sont sur une liste réservée et il faut remplir une demande spéciale pour les avoir en lecture.

Terens fit signe à Rik.

— Venez !

— Nous avons peut-être enfreint le règlement, chevrota l’amnésique.

— C’est stupide. Partons.

— Nous ne ferons pas la demande ?

— Non. Nous reviendrons un autre jour.

Terens prit la direction de la sortie, obligeant Rik à presser le pas. Ils atteignirent le hall et la bibliothécaire leva les yeux.

— Eh, vous ! s’écria-t-elle en quittant sa chaise et en contournant son bureau. Attendez ! Un instant !

Ils ne s’arrêtèrent pas.

Ou, plus exactement, ils ne s’arrêtèrent qu’au moment où ils se trouvèrent face à face avec un patrouilleur.

La bibliothécaire les rejoignit, quelque peu essoufflée.

— Vous êtes le 242, n’est-ce pas ?

— Pourquoi nous empêchez-vous de passer ? s’écria Terens.

— Vous avez demandé certains livres. Nous serions ravis de les mettre à votre disposition.

— Il est trop tard. Ce sera pour une autre fois. Je vous ai dit et redit que je ne veux pas ces ouvrages. Je reviendrai demain.

— La règle de cet établissement est de donner constamment satisfaction à l’usager, répliqua la bibliothécaire d’un ton compassé. Les livres en question vont vous être apportés sur-le-champ.

Ses pommettes étaient rouges. Elle fît demi-tour et s’engouffra en hâte dans une petite porte qui s’était ouverte à son approche.

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, chef… commença Terens.

Mais le patrouilleur leva sa cravache neuronique. Moyennement longue et lestée, celle-ci faisait une excellente matraque ; à distance, ses effets étaient paralysants.

— Allons, mon gars, fit-il, asseyez-vous donc gentiment en attendant que la dame revienne. Faut être poli…

Le patrouilleur n’était plus jeune et il avait perdu sa sveltesse. Il ne devait pas être loin de l’âge de la retraite et il finissait probablement son temps en père peinard comme gardien à la bibliothèque. Mais il était armé et il y avait dans sa jovialité quelque chose qui sonnait faux.

Terens avait le front moite et il sentait la sueur ruisseler le long de son échine. Il avait sous-estimé les risques. Il avait eu trop confiance dans son analyse de la situation. Maintenant, il était coincé. Il n’aurait pas dû agir de façon aussi téméraire. Tout cela parce qu’il avait eu envie de pénétrer dans la Cité Haute, de déambuler dans les couloirs de la bibliothèque comme un vrai Sarkite.

Acculé au désespoir, il songea à se jeter sur le patrouilleur. Mais il n’eut pas à le faire.

Quelque chose bougea soudain à la vitesse de l’éclair. Le patrouilleur se retourna une fraction de seconde trop tard. L’âge le trahit, et ses réactions furent trop lentes. La cravache neuronique lui fut arrachée des mains et, avant qu’il ait eu le temps d’achever son cri, l’arme entra en contact avec sa tempe. Il s’écroula.

Rik poussa un hurlement de joie tandis que Terens s’exclamait :

— Valona ! Par tous les diables de Sark, Valona !

CHAPITRE IV

LE REBELLE

Terens recouvra presque immédiatement son sang-froid.

— Dehors ! Vite ! lança-t-il.

Et il se mit en marche.

Un moment, il avait songé à tirer le patrouilleur inconscient jusqu’à la zone d’ombre derrière les colonnes bordant le hall, mais il était évident qu’il n’y aurait pas eu assez de temps. Le trio s’engagea le long de la rampe. Sous le soleil, le décor avait un éclat lumineux et chaud. Les couleurs de la Cité Haute avaient viré à l’orangé.

— Dépêchons-nous, fit Valona d’une voix inquiète.

Mais Terens la prit par le bras.

— Ne courez pas, ordonna-t-il.  – Il souriait mais parlait à voix basse et son timbre était dur.  – Marchez normalement et suivez-moi. Surveillez Rik. Ne le laissez pas courir.

Il fit quelques pas. Il avait l’impression que le sol lui collait aux pieds. N’entendait-il pas des bruits venant de la bibliothèque ? Ou était-ce son imagination qui le travaillait ? Terens n’osa pas se retourner.

— Par ici, murmura-t-il.

L’enseigne qu’il désignait brasillait mais elle ne pouvait rivaliser en éclat avec le soleil florinien. Entrée des ambulances, annonçait-elle.

Ils passèrent par une porte de côté et s’engagèrent dans un couloir aux murs d’une incroyable blancheur. Dans ces corridors étincelants d’une netteté aseptique, Terens et ses compagnons étaient des taches insolites.

Une femme en uniforme eut une hésitation à leur vue ; elle fronça les sourcils et fit mine de s’avancer à leur rencontre. Terens ne l’attendit pas. Il s’engouffra dans une galerie latérale, tourna un peu plus loin dans une autre. Les fugitifs croisèrent encore des gens en uniforme. Le Prud’homme imaginait aisément l’émoi que suscitait leur apparition. C’était la première fois que des indigènes se promenaient sans escorte au niveau supérieur d’un hôpital. Que faire ?

Terens était sûr et certain qu’on finirait par les arrêter.

Aussi son cœur se mit-il à battre plus vite quand il remarqua la porte discrète sur laquelle était apposé un panneau : Niveaux réservés aux indigènes. L’ascenseur était à l’étage. Il poussa Rik et Valona à l’intérieur et le léger à-coup de la cabine quand elle commença de descendre lui apporta sa plus grande joie de la journée.

Les bâtiments de la Cité étaient de trois sortes. La plupart étaient les édifices inférieurs, entièrement construits à ras de terre : maisons à l’intention des travailleurs (certaines atteignaient trois étages), fabriques, boulangeries, usines de traitement des ordures. Il y avait ensuite les bâtiments supérieurs : résidences des Sarkites, théâtres, la bibliothèque, les stades.

Mais il existait également quelques édifices mixtes communiquant aussi bien avec les niveaux supérieurs qu’avec les niveaux inférieurs : les postes de la Patrouille, par exemple, et les hôpitaux.

On pouvait ainsi utiliser ces derniers Pour gagner la Cité Basse en évitant les gros monte-charge de liaison, lents et manœuvrés par des employés trop zélés. Emprunter cette voie était formellement interdit aux indigènes mais ce crime n’était plus qu’une peccadille pour qui s’était déjà rendu coupable d’agression contre un patrouilleur.

L’ascenseur s’immobilisa au niveau inférieur. Les murs possédaient toujours la même hygiénique blancheur mais ils avaient un quelque chose d’un peu négligé. Comme s’ils étaient moins souvent astiqués. On ne voyait plus de bancs rembourrés dans les couloirs. Un murmure de voix inquiètes venait d’une salle d’attente où une unique infirmière essayait sans beaucoup de succès de mettre un peu d’ordre dans la cohue des consultants hommes méfiants et femmes apeurées.

Pour le moment, elle interrogeait d’une voix âpre un vieillard aux joues hirsutes qui chiffonnait et lissait tour à tour les genoux de son pantalon effiloché en répondant à ses questions sur un ton monocorde, avec l’air de s’excuser.

— De quoi vous plaignez-vous exactement ?… Depuis combien de temps avez-vous ces douleurs ?… Avez-vous déjà été hospitalisé ?… Vous ne pensez tout de même pas que nous allons nous laisser déranger pour le moindre bobo ? Asseyez-vous. Le docteur vous examinera et vous donnera d’autres remèdes. Au suivant ! glapit-elle.