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— Avez-vous un enregistrement de cette conversation ? avait demandé le Dr Junz.

— Oui.

L’agent avait fouillé dans ses documents et avait fini par en extraire une bobine. Le Dr Junz l’avait introduite dans le lecteur. Il avait froncé les sourcils.

— C’est une copie, n’est-ce pas ?

— J’ai expédié l’original au Bureau des Communications Interplanétaires de Sark, pensant que le mieux serait que les autorités l’attendent à l’arrivée avec une ambulance. Il est probablement bien atteint.

Le Dr Junz inclinait à partager l’avis de son interlocuteur.

Quand les analystes envoyés en mission solitaire dans les profondeurs de l’espace craquaient, il y avait de fortes chances pour que leur névrose fût d’une extrême violence. Néanmoins, il avait dit :

— Attendez ! Vous parlez comme s’il ne s’était pas encore posé.

L’autre avait paru étonné.

— Je suppose que si, mais personne ne m’a averti.

— Eh bien, appelez les Communications et informez-vous. Qu’il soit ou non psychopathe, cela doit figurer dans nos archives.

Le lendemain, le Dr Junz était revenu pour une vérification de dernière minute avant son départ. D’autres tâches l’appelaient ailleurs et il était relativement pressé. Au moment de quitter le bureau, il avait demandé :

— A propos, qu’est devenu cet enquêteur ?

— Oh, je voudrais vous en parler. Les Communications sont sans nouvelles de lui. Je leur ai adressé le module d’identification de ses moteurs hyper-atomiques ; on m’a répondu que son navire ne se trouve nulle part dans l’espace proche. Il a sans doute changé d’avis et renoncé à se poser sur Sark.

Le Dr Junz avait alors décidé de différer son départ de vingt-quatre heures. Le jour suivant, il s’était rendu au Bureau des Communications Interplanétaires de la cité de Sark, capitale de la planète du même nom. Ç’avait été sa première expérience de la bureaucratie florinienne. Les fonctionnaires avaient secoué la tête. Effectivement, un analyste du B.I.A.S. avait demandé l’autorisation de se poser. Toutefois, son navire n’avait pas atterri.

Le Dr Junz avait insisté. C’était une affaire importante. Le technicien en question était très malade. N’avait-on pas reçu copie de l’enregistrement de sa conversation avec le représentant local du B.I.A.S. ? Les fonctionnaires avaient ouvert de grands yeux. Une copie ? Personne ne se rappelait avoir reçu un tel document. Il était navrant que cet homme fût malade mais aucun navire du B.I.A.S. n’avait atterri et il ne s’en trouvait aucun dans l’espace proche.

De retour dans sa chambre d’hôtel, le Dr Junz avait longuement réfléchi. La date limite qu’il s’était fixée pour son départ était dépassée. Il avait appelé la réception et avait demandé qu’on lui donnât un appartement convenant mieux à un séjour prolongé. Puis il avait pris rendez-vous avec Ludigan Abel, l’ambassadeur trantorien.

Il avait passé la journée du lendemain à consulter des ouvrages traitant de l’histoire de Sark. Quand l’heure était venue de se rendre à l’audience qu’Abel lui avait accordée, la colère lui gonflait la poitrine. Une chose était sûre : on aurait-du mal à lui faire renoncer à ses projets !

Le vieil ambassadeur l’avait reçu comme s’il lui rendait une visite de courtoisie. Il lui avait serré la main avec chaleur, avait fait venir le barman robot et s’était refusé à discuter de choses sérieuses pendant que son hôte et lui-même dégustaient leurs deux premiers verres. Junz en avait profité pour bavarder à bâtons rompus ; il avait interrogé le diplomate sur les fonctionnaires floriniens et c’était alors qu’Abel lui avait fait un exposé sur la politique de génétique appliquée des Sarkites. Junz avait senti croître son indignation.

Il se rappelait toujours cet entretien. Les yeux à demi fermés sous des sourcils d’une étonnante blancheur, son nez aquilin plongeant par intermittence dans le gobelet de vin, se suçotant les joues, ce qui accusait la maigreur de son visage, battant lentement la mesure de son doigt noueux au rythme d’une musique intérieure, Abel avait écouté avec attention et sans l’interrompre son récit fait sur un ton flegmatique et concis.

Quand Junz avait eu terminé, l’ambassadeur s’était délicatement essuyé les lèvres.

— Voyons, avait-il dit. Connaissiez-vous cet homme avant qu’il eût disparu ?

— Non.

— Vous ne l’avez jamais rencontré ?

— Les enquêteurs ne sont pas des gens qu’il est facile de rencontrer.

— Avait-il antérieurement manifesté des symptômes de délire ?

— C’est la première fois – pour autant qu’il s’agisse de délire – d’après les dossiers du siège central du B.I.A.S.

L’ambassadeur avait haussé les sourcils mais il n’avait pas fait de commentaire sur la réserve ainsi exprimée par son hôte. Il avait poursuivi :

— Et pourquoi êtes-vous venu me voir ?

— Pour vous prier de m’aider.

— J’entends bien, mais de quelle façon ? Comment puis-je vous être utile ?

— Permettez-moi de m’expliquer. Le Bureau sarkite des Communications Interplanétaires a cherché à identifier les caractéristiques énergétiques des moteurs du navire en question dans l’espace proche. Il n’en a pas trouvé trace. Les Sarkites ne mentiraient pas sur ce point. Je ne dis pas qu’ils répugneraient à mentir mais il est certain qu’ils ne mentiraient pas inutilement. Ils doivent savoir que je peux faire contrôler leurs dires en deux ou trois heures.

— C’est juste. Et alors ?

— Il y a deux cas où l’on perd la trace d’une empreinte énergétique. D’abord, quand le bâtiment n’est pas dans l’espace proche parce qu’il fait-un saut dans l’hyperespace pour gagner une autre région de la galaxie. Ensuite, quand il n’est plus dans l’espace pour la bonne raison qu’il s’est posé sur une planète, Je ne crois pas que notre homme soit passé en hyperespace. Si des déclarations selon lesquelles un danger menacerait Florina, un danger qui aurait une incidence à l’échelle galactique, étaient l’expression d’un délire mégalomane, rien n’aurait pu l’empêcher de rallier Sark pour faire son rapport. Il n’aurait pas changé d’avis, il ne serait pas reparti. J’ai une expérience de quinze années en la matière. Si, d’aventure, il avait toute sa raison, ce serait trop grave pour qu’il eût changé d’avis et eût quitté l’espace proche.

Le vieux Trantorien avait levé le doigt.

— Votre conclusion est donc qu’il se trouve sur Sark ?

— Exactement. Là encore, nous sommes devant une alternative dont la première branche est qu’il serait effectivement victime d’une psychose. En ce cas, il peut s’être posé n’importe où en dehors de spatiodromes officielles. Peut-être erre-t-il sur Sark, malade et à moitié amnésique. Ce genre de chose est très rare, même chez les enquêteurs, mais cela s’est déjà vu. En général la crise est de courte durée. Le malade recouvre d’abord la mémoire de ses activités professionnelles. Les souvenirs de sa vie personnelle ne reviennent que plus tard. Après tout, le travail d’un spatio-analyste, c’est sa vie. Ceux-là se font très souvent repérer parce qu’ils se rendent dans une bibliothèque publique pour compulser des manuels d’analyse spatiale.

— Je vois. Vous voulez donc que je vous aide à obtenir de la Guilde des Bibliothécaires que, si une telle situation se présente, vous soyez alerté ?

— Non. Je ne pense pas qu’on me fera des difficultés de ce côté. Ce que je désire, c’est qu’un certain nombre d’ouvrages de référence soient placés en réserve et que toute personne qui demandera ces ouvrages et ne pourra pas faire preuve qu’elle est de nationalité sarkite soit retenue aux fins d’interrogatoire. Il n’y aura pas d’objections parce que les Sarkites ou certaines hautes personnalités sarkites sauront que cela ne mènera à rien.