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— On me l’a dit parce que c’est la vérité, j’imagine, et afin de m’empêcher une fois pour toutes de formuler d’autres exigences qui ne pourraient qu’envenimer les rapports sarko-trantoriens.

— La vérité est une denrée quelque peu discréditée chez les diplomates. En outre, quel intérêt les Sarkites auraient-ils eu à nous mettre la puce à l’oreille en nous laissant savoir à quel point ils sont renseignés sur notre compte ? Ils nous permettent ainsi de réparer notre filet endommagé quand il en est encore temps.

— Alors, répondez vous-même à votre question.

— S’ils vous ont révélé la véritable identité de Khorov, c’était à mon avis un geste de triomphe. Cela ne pouvait plus ni les aider ni leur nuire puisque je sais depuis douze heures qu’ils étaient au courant du rôle de Khorov.

— Comment cela ?

— Grâce à un détail qui ne laisse pas la moindre place au doute. Écoutez-moi : il y a douze heures, Matt Khorov, agent de Trantor, a été abattu par un membre de la Patrouille florinienne. Les deux Floriniens auxquels il donnait asile à ce moment-là, une femme et l’homme qui, selon toute probabilité, est votre enquêteur, se sont volatilisés. Je présume qu’ils se trouvent maintenant aux mains des Écuyers.

Junz poussa un juron et sauta sur ses pieds.

Calmement, Abel porta un verre à ses lèvres et ajouta :

— Je ne puis rien faire officiellement. La victime était florinienne, et le couple qui a disparu était lui aussi florinien : il nous est impossible de prouver le contraire. Comme vous voyez, nous sommes battus à plates coutures. Et on se moque de nous par-dessus le marché.

CHAPITRE VII

LE PATROUILLEUR

Rik vit le Boulanger mourir. Il le vit s’écrouler sans une plainte, la poitrine carbonisée d’un silencieux coup de fulgurant. Ce spectacle effaça de son esprit le souvenir de presque tout ce qui avait précédé et de presque tout ce qui suivit.

Il se rappelait vaguement l’arrivée du patrouilleur, le geste calme mais terriblement résolu avec lequel il avait sorti son arme. Le Boulanger avait levé la tête, il avait ouvert la bouche pour une dernière parole qu’il n’avait pas eu le temps de prononcer. Après le meurtre, Rik ne se rappelait plus rien sinon le martèlement du sang contre ses tempes et les hurlements affolés de la foule qui s’enfuyait dans tous les sens comme un fleuve qui déborde.

L’événement avait provisoirement annulé les progrès qu’avait fait son esprit pendant son sommeil. Le patrouilleur s’était précipité dans sa direction, fendant la masse humaine vociférant, semblable à une mer visqueuse, à une coulée de boue à travers laquelle il lui fallait se frayer un chemin. Rik et Lona furent roulés, emportés par le flot. Il y eut des remous, des lames de fond, des ressacs quand les voitures des patrouilleurs commencèrent de survoler la foule. Valona entraîna Rik au loin, au-delà même des limites de la Cité. Il avait cessé d’être celui qui s’était réveillé presque adulte pour redevenir l’enfant terrifié de la veille.

Ce matin, quand il avait émergé du sommeil, il s’était retrouvé dans une pièce sans fenêtre où ne pénétrait pas la lumière grise de l’aube. Il était resté longtemps immobile à fouiller son esprit. Pendant la nuit, quelque chose s’était cicatrisé, réparé. Recousu. Le processus de cette régénération s’était engagé deux jours plus tôt quand Rik avait commencé à se « souvenir » et il s’était accéléré au cours de la journée précédente. Le voyage à la Cité Haute, la visite de la bibliothèque, l’agression contre le patrouilleur et la fuite qui s’était ensuivie – tout cela avait agi à la manière d’un ferment. Les fibres recroquevillées de son esprit depuis si longtemps assoupi s’étaient tendues et raidies, elles avaient été forcées de fonctionner, de sortir laborieusement de leur engourdissement et, maintenant que Rik avait dormi, quelque chose d’impalpable y palpitait, frémissant.

Rik songeait à l’espace et aux étoiles, à des étendues désolées et infinies, à d’immenses silences.

Enfin, il tourna la tête et appela :

— Lona !

Valona se réveilla en sursaut.

— Oui, Rik ? fit-elle, appuyée sur un coude, le couvant des yeux.

— Je suis là, Lona.

— Tu vas bien ?

— Oh ! oui. – Impossible de calmer son excitation. – Merveilleusement ! Écoute ! D’autres souvenirs me sont revenus. J’étais sur un navire et je sais exactement…

Mais elle ne l’écoutait pas. Elle enfilait sa robe. Tournant le dos à Rik, elle passa sa main sur le devant du vêtement pour le fermer et s’escrima fébrilement avec sa ceinture.

Quand elle fut prête, elle s’approcha de lui sur la pointe des pieds.

— J’ai peu dormi, Rik. J’ai essayé de rester éveillée.

La nervosité de Valona était contagieuse.

— Y a-t-il quelque chose qui ne va pas ?

— Chut ! Ne parle pas si fort. Tout va bien.

— Où est le Prud’homme ?

— Il n’est pas là. Il,… il a dû s’absenter. Tu devrais te rendormir, Rik.

Il repoussa son bras.

— Je suis en pleine forme et je ne veux plus dormir. J’aurais voulu parler de ce navire au Prud’homme.

Seulement, le Prud’homme n’était pas là, et Lona ne l’écouterait pas. Il se résigna mais, pour la première fois, il se sentit irrité contre Valona. Elle le traitait comme un enfant alors qu’il commençait à redevenir un homme.

Un flot de lumière envahit tout à coup la pièce et le Boulanger fit son apparition. Rik le regarda en clignant des yeux, intimidé maintenant, et ne repoussa pas le bras de Valona quand elle le prit par les épaules d’un geste maternel.

Un sourire étira les lèvres épaisses du Boulanger.

— On se réveille tôt !

Ni Valona ni Rik ne répondirent.

Le Boulanger poursuivit :

— C’est aussi bien comme ça. Vous allez déménager.

— Vous ne nous livrerez pas aux patrouilleurs ?

Valona avait la gorge sèche. Elle se rappelait la manière dont le gros homme avait contemplé Rik après le départ du Prud’homme. Cette fois encore, c’était Rik qu’il regardait. Rien que lui.

— Non, je ne vous livrerai pas aux patrouilleurs. J’ai prévenu qui de droit et vous ne risquez rien.

Le Boulanger s’éloigna. Son absence fut de courte durée. Quand il revint, il apportait de la nourriture, des vêtements et deux cuvettes remplies d’eau. Les vêtements étaient neufs et d’une coupe insolite.

Tandis que Rik et Valona se restauraient, le Boulanger prit la parole :

— Je vais vous donner des noms et un passé nouveaux. Soyez attentifs : il ne faut pas que vous oubliiez. Vous n’êtes pas floriniens, comprenez-vous ? Vous êtes le frère et la sœur, et vous êtes nés sur la planète Wotex. Vous êtes venus sur Florina en touristes…

Et le Boulanger continua, précisant les détails, posant des questions.

Rik était content d’être capable de démontrer que sa mémoire fonctionnait et qu’il apprenait sans difficulté mais le regard de Valona était sombre et soucieux.

Le Boulanger ne s’y trompa point.

— Si vous me causez le moindre ennui, fit-il en la regardant dans les yeux, il partira seul et vous resterez là.

Les grosses mains de Valona se crispèrent convulsivement.

— Je ne vous causerai pas d’ennuis.

La matinée était bien avancée quand le Boulanger se leva.

— Allons-y ! lança-t-il.

Avant de partir, il glissa dans la poche de Valona et de Rik une chose qui ressemblait à un étui de cuir. C’était noir, et avait un aspect cartonné.

Une fois dehors, Rik s’examina avec stupéfaction. Il ne s’était jamais douté qu’un costume pût être aussi compliqué. Le Boulanger l’avait aidé à l’endosser mais qui l’aiderait à l’ôter ? Valona n’avait absolument pas l’air d’une paysanne. Ses jambes elles-mêmes étaient protégées par un tissu léger et ses souliers étaient munis de hauts talons qui l’obligeaient à marcher avec précaution pour garder l’équilibre.