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Les passants se rassemblèrent ; bouche bée, les yeux écarquillés, ils s’interpellaient. Il y avait surtout des enfants, des femmes qui se rendaient au marché et des vagabonds déguenillés. Le Boulanger semblait ne pas s’apercevoir de leur présence. Il tenait un lourd bâton qui se mettait parfois, comme par inadvertance, dans les jambes de ceux qui s’approchaient d’un peu trop près.

Le trio n’avait guère fait plus d’une centaine de pas quand une soudaine agitation parcourut les rangs des curieux. Rik distingua l’uniforme noir et argent d’un patrouilleur.

Ce fut alors que la chose se produisit. L’arme dégainée, l’éclair, puis la fuite éperdue… Y avait-il jamais eu un moment où la peur n’eût pas desserré son étreinte, où l’ombre du patrouilleur n’eût pas suivi Rik ?

Ils avaient atteint un sordide quartier de la périphérie. Valona était haletante. Des cernes de transpiration maculaient sa robe neuve.

— Je ne peux plus courir, hoqueta Rik.

— Il faut continuer.

— Pas comme ça. Ecoute… – Il se débattit violemment pour libérer son poignet de l’étreinte de Valona. – Ecoute-moi.

La peur refluait, la panique s’éloignait.

— Pourquoi ne pas aller là – le Boulanger voulait que nous allions et ne pas faire ce qu’il voulait que nous fassions ?

— Comment veux-tu savoir ce qu’il voulait que nous fassions ? répondit Valona.

Elle était inquiète et désirait poursuivre son chemin.

— Nous devions prétendre que nous venions d’une autre planète. Et il nous a donné ceci.

Rik sortit avec excitation le petit rectangle que Khorov avait fourré dans sa poche et l’examina dans tous les sens, essayant de l’ouvrir comme s’il se fût agi d’un livret.

Il n’y parvint pas. C’était une simple feuille recto verso. Comme il en explorait la tranche, ses doigts se posèrent sur le coin et il entendit – ou, plutôt, il sentit – quelque chose qui cédait. Mystérieusement, la surface de l’objet devint d’un blanc opalin et un texte aux lignes serrées y apparut. Rik déchiffra avec peine les premières syllabes.

— C’est un passeport, annonça-t-il enfin.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Quelque chose qui nous permet de partir.

Il en était certain. La réponse avait brusquement jailli dans sa tête. Un seul mot : « passeport ».

— Tu ne vois pas ? Le Boulanger devait nous faire quitter Florina. Sur un navire. Il n’y a qu’à suivre ses instructions.

— Non, Rik. Ils l’ont empêché de faire ce qu’il voulait faire. Ils l’ont tué. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible.

Mais Rik insista avec tant de véhémence qu’il en bégayait presque.

— C’est la meilleure solution, voyons ! Ils ne s’attendent pas que nous filions. Et puis, nous ne prendrons pas le navire sur lequel le Boulanger voulait que nous embarquions. Il doit être surveillé. Nous en prendrons un autre. N’importe lequel.

Un navire. N’importe quel navire… Ses propres paroles résonnaient dans son crâne. Que l’idée fût bonne ou mauvaise, cela n’avait aucune importance. Son seul désir était d’être à bord d’un navire. D’être dans l’espace.

— Je t’en supplie, Lona !

— Si tu le crois vraiment… soit ! Je sais où se trouve le port spatial. Quand j’étais petite, on y allait quelquefois les jours de congé pour regarder de loin les navires qui décollaient. Ils repartirent. Seul un vague malaise remuait en vain dans l’inconscient de Rik. Le souvenir d’un passé proche, très proche. Quelque chose qu’il devrait se rappeler mais qui lui échappait. Quelque chose…

Puis ses pensées se concentrèrent sur le navire qui les attendait.

Le Florinien de garde à l’entrée du port spatial allait avoir une journée agitée. Mais ce serait pour plus tard. Il courait des rumeurs fantaisistes : des patrouilleurs avaient été attaqués la veille au soir. On parlait d’évasion audacieuse. Ce matin, ces bruits n’avaient fait que croître et embellir. On murmurait que des patrouilleurs avaient été tués.

Le garde n’osait pas quitter son poste mais il tordait le cou pour voir passer les véhicules volants de la Patrouille. Les patrouilleurs s’en allaient, le visage sombre. Le contingent affecté au spatiodrome fondait à vue d’œil.

On les regroupe dans la Cité, se disait le garde, à la fois effrayé et grisé à cette idée. Pourquoi se réjouissait-il à la pensée que l’on tuait les patrouilleurs ? Ils ne l’avaient jamais embêté. Pas beaucoup, en tout cas. Il avait une bonne place. Ce n’était pas comme s’il avait été un abruti de paysan.

Mais il était content.

Il ne perdit pas de temps avec le couple qui se présentait. Des étrangers, cela se voyait immédiatement. Gênés, transpirant dans leurs vêtements bizarres. La femme lui tendit un passeport à travers la fente du guichet.

Un coup d’œil sur elle, un autre sur le passeport, un troisième sur la liste des réservations. Il appuya sur le bouton approprié et deux rubans translucides jaillirent sous le nez des voyageurs.

— Alors, qu’est-ce que vous attendez ? grogna le garde avec impatience. Attachez-vous ça au poignet et avancez !

— Quel est notre navire ? s’enquit la femme.

Elle parlait à voix basse et son ton était poli.

Cela plut au préposé. Les étrangers étaient rares, sur Florina.

Depuis quelques années, on en voyait de moins en moins souvent. Mais ce n’étaient ni des patrouilleurs ni des Écuyers. Ils n’avaient pas l’air de se rendre compte que vous n’étiez qu’un Florinien et ils s’adressaient à vous avec courtoisie.

Le garde avait l’impression d’avoir grandi de deux pouces.

— Il est en partance au poste 17, madame. Je vous souhaite bon voyage, fit-il, grandiloquent.

Puis il retourna à ses occupations qui consistaient à appeler ses amis, mine de rien, pour avoir des détails sur ce qui se passait dans la Cité et à essayer, de façon encore plus discrète, d’écouter les conversations sur les lignes privées de la Cité Haute.

Bien plus tard, seulement, il s’apercevrait de la monstrueuse bévue qu’il avait commise.

— Lona !

Rik tira Valona par la manche, leva un instant le bras et chuchota :

— Celui-ci.

Elle considéra avec méfiance l’astronef qu’il désignait. Il était beaucoup plus petit que celui du poste 17 pour lequel étaient délivrés leurs billets. Les quatre sas étaient ouverts et le maître sabord béait ; une rampe inclinée en sortait comme si le navire leur tirait la langue ; elle allait jusqu’au sol.

Ils aèrent. On ventile généralement les bâtiments de plaisance pour les débarrasser de l’odeur de l’oxygène de recyclage qui s’accumule.

Valona le dévisagea.

— Comment sais-tu ça ?

Rik éprouva un chatouillement de vanité.

— Je le sais, c’est tout. Il ne devrait y avoir personne à bord pour le moment. C’est désagréable avec la soufflerie en marche.

Il jeta un regard circulaire autour de lui et ajouta, le front plissé :

— Quand même, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de monde dans les environs. C’était comme cela quand tu y venais voir les navires s’envoler ?

Valona en doutait mais ses souvenirs d’enfance étaient flous.

C’était si lointain !…

Les jambes tremblantes, ils escaladèrent l’échelle de coupée. Il n’y avait Pas de patrouilleurs en vue. On n’apercevait que des employés civils affairés que la distance faisait paraître tout petits.