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Le courant d’air les gifla de plein fouet quand ils eurent franchi l’opercule et Valona dut retenir des deux mains sa robe qui s’envolait.

C’est toujours comme ça ? demanda-t-elle.

Elle n’était jamais montée à bord d’un navire et n’avait jamais rêvé que cela pût lui arriver. Ses lèvres étaient crispées et son cœur battait fort.

— Non, répondit Rik. Cela ne dure que pendant la ventilation.

Il parcourut joyeusement les coursives aux solides parois de métallite, examinant avec intérêt les compartiments vides.

— Ah ! voilà !

Il était entré dans la cambuse.

— Il n’y a pas tellement de vivres, dit-il d’une voix rapide. On pourra tenir un bon moment sans manger. Mais-il faut de l’eau.

Il fouilla les ustensiles et fit main basse sur un vaste récipient muni d’un bouchon. Il chercha un robinet en faisant des vœux silencieux pour que l’équipage n’ait pas négligé de remplir les réservoirs. Il eut un sourire de soulagement en entendant le martèlement feutré des pompes. L’eau se mit à couler.

— On va juste prendre quelques litres.

— Pas trop, pour que personne ne s’en aperçoive.

Il se creusait désespérément la tête pour trouver un moyen de ne pas se faire repérer. A nouveau, il tâtonnait pour mettre le doigt sur quelque chose qui lui échappait. Il arrivait encore a sa pensée de trébucher et il se rétractait alors lâchement, niant l’existence de ces trous de mémoire.

Il ouvrit la porte d’une petite chambre servant à entreposer le matériel de lutte contre l’incendie, la pharmacie de secours, les instruments de chirurgie et l’équipement de soudure.

— Personne ne viendra ici, sauf en cas d’urgence, fit-il avec une confiance mitigée. Tu as peur, Lona ?

— Avec toi, je n’aurai pas peur, Rik, répondit-elle humblement.

Deux jours, non, douze heures plus tôt, elle eût tenu un tout autre langage. Mais à bord du navire, par la suite d’une sorte de transfert de personnalité qu’elle acceptait sans poser de questions, c’était Rik qui était l’adulte et elle l’enfant.

Il ne faudra pas allumer car ils remarqueraient la perte d’énergie, reprit Rik. On utilisera les toilettes seulement pendant les Périodes de repos en faisant attention à ne pas tomber sur le personnel de garde.

La soufflerie s’arrêta brutalement. Ils ne sentirent plus la caresse froide de l’air sur leur visage et cessèrent d’entendre le bourdonnement lointain et régulier. Ce fut soudain le silence.

— Ils ne vont pas tarder à embarquer, murmura Rik. On va bientôt être dans l’espace.

Jamais Valona ne lui avait vu une expression aussi heureuse. C’était un amant allant à la rencontre de sa bien-aimée.

Si, au réveil, Rik s’était senti un homme, il était maintenant un géant dont les bras étreignaient la galaxie entière. Les étoiles étaient ses billes, les nébuleuses des toiles d’araignée à épousseter.

Il était à bord d’un astronef ! Un raz de marée de souvenirs jaillissait dans sa mémoire, effaçant tout pour faire place nette. Rik oubliait les champs de kyrt, la filature, Valona qui lui fredonnait des chansons, la nuit venue. Ce n’étaient là que des accrocs fugaces dans une étoffe qui, lentement, retrouvait son intégrité.

Tout cela à cause de ce navire !

S’il était monté plus tôt à bord d’un astronef, il n’aurait pas eu à attendre si longtemps que ses cellules cérébrales brûlées se restaurent d’elles-mêmes.

Sa voix s’éleva doucement dans l’obscurité.

— Ne t’inquiète pas, Lona. Il va y avoir une vibration et du bruit. Ce seront seulement les moteurs. Et puis, tu auras l’impression qu’un poids s’abattra sur toi. Ce sera l’accélération.

Il n’y avait pas de mot florinien simple pour exprimer ce concept et il avait employé un terme qui s’était présenté spontanément à son esprit. Valona ne comprit pas.

— Est-ce que cela fera mal ? demanda-t-elle.

— Ce sera très désagréable parce que nous n’avons pas de dispositif anti-accélération pour compenser la pression mais cela ne durera pas. Appuie-toi contre la paroi et relâche tes muscles. Tiens ! Ça commence, tu vois ?

Il s’était collé contre la cloison de droite. Le grondement des générateurs hyper-atomiques s’enfla, le champ de gravité apparent bascula et la cloison cessa d’être verticale pour faire un angle de plus en plus accusé.

Valona poussa un gémissement et l’on n’entendit plus que sa respiration rauque. Leur souffle à tous deux était grinçant car leur cage thoracique que rien ne protégeait, ni courroies de maintien ni amortisseur hydraulique, peinait pour faire pénétrer un minimum d’air dans leurs poumons oppressés.

Rik s’efforça de proférer quelques mots haletants, n’importe lesquels, afin que Valona sût qu’il était là, afin d’atténuer la peur terrible de l’inconnu qui, il le savait, devait l’habiter. Ce n’était qu’un navire, un merveilleux navire mais jamais elle n’avait mis les pieds sur le pont d’un navire.

— Il va y avoir le saut, évidemment, quand nous allons plonger dans l’hyperespace et franchir d’un seul coup la plus grande partie de la distance séparant les étoiles. Tu ne sentiras rien du tout. Tu ne t’en rendras même pas compte. Ce n’est rien comparé à ce que tu éprouves pour le moment. Juste une petite secousse à l’intérieur et ce sera fini.

Tout cela dit d’une voix hachée, syllabe par syllabe. Il lui fallut longtemps.

Progressivement, le poids qui leur comprimait la poitrine s’allégea et la chaîne invisible qui les liait à la cloison se distendit avant de se briser. Ils s’écroulèrent, un râle à la bouche.

— Tu es blessé, Rik ? demanda enfin Valona.

— Moi ? Blessé ?

Il réussit à éclater de rire. Il n’avait pas encore retrouvé sa respiration mais l’idée qu’il pût lui arriver malheur sur un navire était par trop cocasse.

— J’ai passé des années de ma vie sur des astronefs. Il m’arrivait de rester des mois entiers dans l’espace.

— Pourquoi ? fit Valona.

Elle s’était traînée vers lui et elle lui toucha la joue pour s’assurer qu’il était bien là. Il passa son bras autour de l’épaule de la Florinienne et celle-ci ne bougea plus, acceptant le renversement de situation.

— Pourquoi ? répéta-t-elle.

Rik était incapable de répondre à cette question. Il fuyait les planètes. S’y poser lui répugnait. Rester dans l’espace avait été une nécessité pour lui mais il ne se rappelait pas la raison pour laquelle il en allait ainsi. Cette fois encore, il contourna la faille qui s’ouvrait devant lui.

— J’avais une tâche à accomplir.

— Oui. Tu analysais le Vide.

— C’est ça ! – Il était satisfait. – Exactement ! C’était ce que je faisais. Sais-tu ce que cela signifie ?

— Non.

Il n’espérait pas qu’elle comprendrait mais il fallait qu’il parle. Il fallait qu’il se délecte à évoquer ses souvenirs, qu’il savoure l’ivresse de voir le passé accourir docilement à son appel.

— L’univers, vois-tu, Lona, est composé de centaines de substances différentes. On les appelle les éléments. Le fer, le cuivre sont des éléments.

— Je croyais que c’étaient des métaux.

— Oui, ce sont des métaux mais ce sont aussi des éléments. De même que l’oxygène, l’azote, le carbone et le palladium. Les plus importants de tous sont l’hydrogène et l’hélium qui sont les plus simples et les plus répandus.

Je n’en ai jamais entendu parler, murmura pensivement Valona.

— Quatre-vingt-quinze pour cent de l’univers sont formés d’hydrogène et presque tout le reste est de l’hélium. Même l’espace.