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— J’ai entendu dire que l’espace, c’était du vide. Qu’il n’y avait rien dedans. C’est faux ?

— Pas entièrement. Il n’y a presque rien dans l’espace. Presque… Mais j’étais un spatio-analyste, comprends-tu ? J’allais dans l’espace pour recueillir les quantités extrêmement faibles d’éléments qui s’y trouvent et je les analysais. C’est-à-dire que je notais : il y a tant d’hydrogène, tant d’hélium et tant d’autres éléments.

— Pour quoi faire ?

— C’est compliqué à expliquer. Les éléments ne sont pas partout répartis de la même façon. Dans certaines régions, il y a un peu plus d’hélium que la dose normale. Ailleurs, un peu plus de sodium, etc. Ces zones particulières serpentent dans l’espace comme des courants. C’est comme cela qu’on les nomme : ce sont les courants de l’espace. Il est important de connaître l’agencement de ces courants car cela peut nous faire comprendre comment l’univers s’est créé et développé.

— Comment arrive-t-on à expliquer tout ça ?

Rik hésita.

— Personne ne le sait exactement.

Il continua rapidement, déconcerté à l’idée que l’immense savoir dont il disposait laissait si facilement place au mystère et à l’inconnu devant les questions de… de… il songea brusquement que, après tout, Valona n’était jamais qu’une paysanne florinienne.

— On détermine la densité – l’épaisseur, si tu préfères – de ces gaz dans toutes les régions de la galaxie. Elle varie selon les lieux et il est nécessaire de la connaître avec précision afin que les astronefs puissent calculer sans erreur les sauts qu’ils doivent faire à travers l’hyperespace. C’est comme…

Il se tut.

Valona se raidit, attendant qu’il poursuive. Mais Rik demeurait muet.

— Rik ? – Dans les ténèbres, sa voix avait des résonances gutturales. – Ou est-ce qu’il y a qui ne va pas ?

Il ne répondit pas. Valona le prit aux épaules et le secoua.

— Rik ! Rik !

Et ce fut alors l’ancien Rik qui parla. D’une voix faible, effrayée. Toute son allégresse, toute son assurance s’étaient évanouies.

— Lona… Nous avons commis une erreur.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’on a fait de mal ?

Rik revoyait avec une parfaite netteté la scène de la mort du Boulanger. Le souvenir était aussi clair que ceux qui remontaient à la surface de son esprit.

— Nous n’aurions pas dû nous enfuir. Nous n’aurions pas dû monter dans ce navire.

Un tremblement incoercible agitait Rik. Tant bien que mal, Valona essaya d’essuyer de sa main amie la sueur dont son front était baigné.

— Pourquoi ? Pourquoi, Rik ?

— Parce que si le Boulanger était disposé à nous faire évader en plein jour, c’est qu’il ne s’attendait pas à avoir des ennuis de la part des patrouilleurs. Est-ce que tu te souviens de celui qui l’a tué ?

— Oui.

— Est-ce que tu te rappelles sa figure ?

— Je n’ai pas osé le regarder en face.

— Moi, je l’ai regardé. Et il y avait quelque chose de bizarre mais je n’y ai pas fait attention. Ce n’était pas un patrouilleur, Lona. C’était le Prud’homme. Le Prud’homme habillé en patrouilleur.

CHAPITRE VIII

LA DEMOISELLE

Samia de Fife mesurait exactement un mètre cinquante cent cinquante centimètres frémissant d’exaspération. Elle pesait quarante-cinq kilos, ce qui représentait pour le moment quarante-cinq mille grammes de fureur noire. Ses cheveux noirs roulés en lourds bandeaux, elle allait et venait d’un pas vif d’un bout à l’autre de la pièce, grandie par ses hauts talons. Son menton étroit, fendu d’une profonde fossette, tremblait.

— Non ! s’exclama-t-elle. Il ne me ferait pas cela ! Il ne peut pas… Capitaine !

Sa voix tranchante était autoritaire. Le capitaine Racety s’inclina, résigné à la tempête.

— Votre Seigneurie ?

Pour n’importe quel Florinien, le capitaine Racety eût évidemment été un « Écuyer ». Cela allait de soi. Aux yeux des Floriniens, tous les Sarkites étaient des Écuyers. Mais, pour les Sarkites, il y avait des Écuyers et les vrais Écuyers. Le Capitaine était un simple Écuyer. Samia de Fife était une vraie Écuyère.

— On ne me donne pas d’ordres, laissa-t-elle tomber. Je n’en ai plus l’âge. Je suis maîtresse de mes actes. Je décide de rester.

— Qu’il plaise à Votre Seigneurie de bien comprendre que l’ordre ne vient pas de moi, répondit le capitaine en pesant soigneusement ses mots. On ne m’a pas demandé mon avis. J’ai reçu des consignes nettes et catégoriques…

Il compulsa sans beaucoup d’enthousiasme une liasse de papiers pour y trouver copie de ces consignes. Il avait déjà essayé à deux reprises de prouver sa bonne foi à Samia de Fife mais elle n’avait pas voulu examiner le document, comme si son refus lui permettait de continuer de ne pas voir où était le devoir de l’officier.

Cette fois encore, elle répondit :

— Vos consignes ne m’intéressent pas.

Ses talons claquèrent. Elle fît demi-tour et s’éloigna de Racety d’un pas vif.

Il la suivit.

— Mes ordres m’enjoignent de vous faire transporter de force, si j’ose me permettre de m’exprimer ainsi, dans le cas où vous ne vous rendriez pas volontairement à mon bord, dit le capitaine avec douceur.

Elle lui fit face.

— Vous n’auriez pas cette audace.

— Eu égard à celui qui m’a donné mes directives, j’aurai toutes les audaces.

Elle se fit enjôleuse.

— Il n’y a pas réellement de danger, capitaine. C’est absolument ridicule ! C’est démentiel ! La Cité est paisible. Tout se borne à ceci : un patrouilleur s’est fait assommer hier dans la bibliothèque. Un point, c’est tout.

— Un autre a été tué ce matin. L’agresseur était également un Florinien.

Samia tressaillit mais son teint bistre devint plus sombre et ses yeux noirs flamboyèrent.

— En quoi cela me concerne-t-il ? Je ne suis pas un patrouilleur.

— On est en train de préparer le navire, Votre Seigneurie. Nous allons appareiller sous peu. Il faut que vous embarquiez.

— Et mon travail ? Mes recherches ? Vous rendez-vous compte… Non, vous ne vous rendez pas compte…

Le capitaine garda le silence. Samia lui tournait le dos, à présent. Sa robe de kyrt couleur cuivre passementée d’argent faisait ressortir l’extraordinaire délicatesse de ses épaules et de ses bras. Le capitaine Racety contemplait la jeune fille avec quelque chose de plus que la plate courtoisie et l’humble objectivité qu’un simple Sarkite devait à une si noble personne. Il se demandait pourquoi une donzelle aussi bien faite s’amusait à perdre son temps à parodier l’activité d’un professeur d’université.

Samia savait bien que les recherches auxquelles elle se consacrait avec ardeur faisaient sourire les gens habitués à considérer que les nobles Dames de Sark avaient pour unique rôle d’être les ornements de la haute société et de servir finalement d’incubateurs à au moins deux (mais jamais plus de deux) futurs Écuyers de Sark. Cela lui était indifférent.

Les femmes venaient la trouver et disaient Est-il vrai que vous écrivez un livre, Samia ? Elles demandaient à le voir et gloussaient bêtement.

Les hommes étaient encore pire avec leur indulgence condescendante, manifestement persuadés qu’il suffirait d’un regard, d’un bras viril passé autour de sa taille pour qu’elle cesse de s’intéresser à ces niaiseries et tourne son esprit vers les choses qui avaient une importance réelle.