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Elle avait toujours été comme cela, songeait-elle, parce qu’elle avait toujours été amoureuse du kyrt alors que, pour la plupart des gens, le kyrt n’était qu’un produit banal. Le kyrt ! Le roi, l’empereur, le dieu des textiles. La métaphore était en dessous de la vérité.

Chimiquement parlant, le kyrt n’était rien de plus qu’une variété de cellulose. Les chimistes le juraient. Pourtant, malgré tous leurs instruments et toutes leurs théories, ils n’avaient encore jamais expliqué pourquoi Florina était la seule planète de la galaxie où la cellulose devenait kyrt. C’est une question d’état physique, disaient-ils. Mais si on leur demandait en quoi l’état physique du kyrt différait de celui de la cellulose commune, ils étaient muets.

Ç’avait d’abord été chez sa nourrice que Samia avait rencontré cette ignorance :

— Pourquoi c’est qu’il brille, nounou ?

— Parce que c’est le kyrt, Miakins.

— Pourquoi les autres choses brillent pas pareil ?

— Les autres choses ne sont pas le kyrt, petite Mia.

Et il n’y avait plus qu’à tirer un trait. Une monographie en deux volumes, traitant du kyrt, était sortie trois ans auparavant. Samia l’avait lue avec attention : tout revenait à l’explication de la nounou. Le kyrt était le kyrt parce que c’était le kyrt. Les choses qui n’étaient pas le kyrt n’étaient pas le kyrt parce qu’elles n’étaient pas le kyrt.

Certes, le kyrt ne brillait pas vraiment par lui-même mais, filé comme il convenait, il miroitait au soleil de reflets métalliques, il chatoyait de mille et une couleurs. Un autre procédé lui conférait l’éclat du diamant. Un traitement qui ne coutait guère d’efforts lui permettait de supporter une température de 600 degrés et le rendait inerte à l’action de presque toutes les substances chimiques. Ses fibres donnaient un fil d’un diamètre inférieur à celui des textiles synthétiques les plus fins et elles avaient une résistance à la tension que l’on ne trouvait dans aucun alliage d’acier existant.

Aucun matériau connu ne se prêtait à autant d’applications que le kyrt. S’il n’avait pas été aussi onéreux, on aurait pu s’en servir pour remplacer le verre, le métal et les matières plastiques dans toutes leurs utilisations industrielles. C’était à lui seul que l’on avait recours pour collimater les instruments d’optique, pour confectionner les moules de fusion des hydrochrons des moteurs hyper-atomiques et pour fabriquer des grilles ultra légères et robustes quand on ne pouvait employer le métal à cause de sa fragilité ou de son poids – ou des deux.

Mais, répétons-le, l’usage du kyrt était limité en raison de son coût prohibitif. En fait, la production florinienne de kyrt étai achetée par des fabriques de textiles qui la transformaient en tissus – les tissus les plus fabuleux de toute l’histoire de la galaxie. Florina habillait l’aristocratie d’un million de planète et la distribution se faisait au compte-gouttes. Une vingtaine de femmes sur un monde donné pouvaient avoir un trousseau en kyrt ; deux mille, une jaquette fantaisie ou une paire de gants en kyrt. Vingt millions d’autres regardaient ces heureuses de loin et soupiraient.

Dans toute la galaxie, il y avait une expression pour désignai les snobs, la seule formule que tout le monde comprenait partout On croirait qu’elle se mouche dans le kyrt !

Un jour, quand elle était petite, Samia avait demandé à son père :

— Qu’est-ce que le kyrt, papa ?

— Ta tartine beurrée, Mia.

— La mienne ?

— Pas seulement la tienne, Mia. C’est la tartine beurrée de Sark.

Dame ! Elle avait aisément compris pourquoi il en était ainsi. Toutes les planètes de la galaxie sans exception avaient essayé de faire pousser le kyrt sur leur sol. Au début, Sark avait décrété la peine de mort pour tout individu, indigène ou étranger, coupable de faire sortir des graines de kyrt en fraude. Cela n’avait pas empêché la contrebande de fleurir. Au cours des siècles, la vérité était apparue ; la loi fut abolie et Sark se fit un plaisir de vendre à tout un chacun les semences… au tarif du produit fini, bien entendu.

Sark pouvait se le permettre car, ailleurs que sur Florina, le kyrt devenait de la banale cellulose. Une matière blanche, terne, sans résistance et bonne à rien. Qui ne valait même pas l’honnête coton.

Les propriétés du kyrt tenaient-elles au sol de Florina ? A certaines radiations caractéristiques émises par son soleil ? A sa faune et à sa flore bactériennes spécifiques ? On avait tout essayé. On avait effectué des prélèvements d’humus. On avait reconstitué artificiellement à l’aide de lampes à arc le spectre du soleil de Florina. On avait ensemencé des planètes avec des bactéries floriniennes. Le kyrt s’obstinait à devenir une substance blanche, terne, sans résistance et bonne à rien.

Il y avait sur le kyrt une foule de choses à dire qui n’avaient jamais été dites en dehors de ce qu’on pouvait lire dans les rapports techniques, les revues scientifiques, voire les récits de voyages. Pendant cinq ans, Samia avait rêvé d’écrire un vrai livre relatant l’histoire du kyrt, de la planète sur laquelle il poussait, des êtres qui le cultivaient.

Un rêve qui suscitait des rires railleurs. Mais elle s’était entêtée. Elle avait exigé de se rendre sur Florina. Elle comptait passer une saison dans les champs et quelques mois dans les filatures. Ensuite, elle…

Mais à quoi bon penser à ce qu’elle aurait dû faire puisqu’elle avait ordre de rentrer ?

Elle prit brusquement une décision de la façon impulsive qui marquait tous ses actes – elle se battrait sur Sark. Farouche, elle se promit à elle-même de revenir sur Florina.

Elle se tourna vers Racety et lui demanda d’un ton froid :

— Quand partons-nous, capitaine ?

Samia demeura devant le hublot d’observation tant que Florina demeura visible. C’était un monde vert et printanier dont le climat était beaucoup plus plaisant que celui de Sark. Elle avait espéré étudier les indigènes. Elle n’aimait pas les Floriniens de Sark ; c’étaient des créatures insipides qui n’osaient pas la regarder et se détournaient à son passage comme le voulait la loi. Cependant, d’après ce que tout le monde disait, chez eux les indigènes menaient une vie heureuse et insouciante. Certes, ils étaient irresponsables et semblables à des enfants mais ils avaient leur charme.

Le capitaine Racety interrompit le cours de ses pensées.

— Votre Seigneurie désire-t-elle se retirer dans sa cabine ?

Elle dévisagea l’officier et une minuscule ride verticale se forma entre ses yeux.

— Quelles nouvelles instructions avez-vous reçues, capitaine ? Suis-je prisonnière ?

— Absolument pas, Votre Seigneurie. Il s’agit simplement d’une mesure de précaution. Le terrain était étrangement désert avant le décollage. Il semble qu’il y ait eu un autre crime commis, cette fois encore, par un Florinien. La garnison de la Patrouille affectée à la base a été rappelée dans la Cité pour participer aux recherches. On traque le coupable.

— Je ne vois pas le rapport avec moi.

— Dans ces circonstances, auxquelles j’aurais dû faire face en mettant personnellement un dispositif de garde en place. Je ne minimise pas cette défaillance, il est possible que des indésirables se soient illicitement introduits à bord.

— Dans quel but ?

— Je ne saurais le dire mais probablement pas dans de bonnes intentions.

— C’est du roman, capitaine !

— Je crains que non, Votre Seigneurie. Nos compteurs d’énergie étaient, bien sûr, inefficaces tant que nous nous trouvions à une distance planétaire du soleil de Florina mais ce n’est plus le cas à présent et j’ai le regret de vous informer qu’ils ont décelé un excès de rayonnement calorique provenant de la réserve d’urgence.