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— Parlez-vous sérieusement ?

L’espace d’une seconde, une expression hautaine se peignit sur le visage maigre et imperturbable du commandant de bord.

Ce rayonnement est équivalent à celui de deux personnes ordinaires, reprit-il.

— Ou à celui d’un bloc thermique que l’on aura oublié de couper.

— Il n’y a pas de perte d’énergie, Votre Seigneurie. Nous sommes prêts à enquêter. Je vous prierai seulement de bien vouloir vous retirer préalablement dans vos appartements !

Sans mot dire, elle acquiesça et s’éloigna. Deux minutes plus tard, la voix calme du capitaine tomba des haut-parleurs :

— Enfoncez la porte de la réserve d’urgence.

Si Myrlyn Terens dont les nerfs étaient tendus à craquer s’était laissé aller, il aurait facilement sombré dans l’hystérie et c’eût peut-être été providentiel. Il était retourné trop tard à la boulangerie. D’un cheveu : les fugitifs l’avaient déjà quittée et s’avait été pur hasard s’il les avaient rencontrés dans la rue. Ce qu’il avait alors fait avait été inéluctable. Il n’avait pas la liberté de choix. Et maintenant, le cadavre atroce du Boulanger gisait devant lui.

Ensuite, ç’avait été le raz de marée de la foule qui avait englouti Rik et Valona, puis les véhicules aériens bourrés de patrouilleurs – de vrais patrouilleurs – avaient commencé de tourner en rond comme des vautours. Que faire ?

Il avait lutté contre le réflexe qui le poussait à s’élancer sur les traces de Rik. Mauvaise solution : il n’aurait jamais retrouvé les fuyards et aurait eu toutes les chances de se faire repérer par les patrouilleurs. Alors il était parti dans la direction opposée, celle de la boulangerie.

Son seul atout résidait dans l’organisation même de la patrouille. L’ordre n’avait pas été troublé depuis des générations. En tout cas, il n’y avait pas eu à proprement parler de révoltes floriniennes depuis deux siècles. L’institution du corps des Prud’hommes (à cette pensée, Terens eut un sourire farouche) avait été miraculeuse et, dès lors, la mission de police des patrouilleurs avait été purement formelle. Il leur manquait le sens du travail d’équipe qui se serait développé chez eux si la situation avait été différente.

Terens avait pu s’introduire à l’aube dans un poste auquel son signalement avait dû être déjà notifié mais il avait été examiné d’un œil manifestement négligent. Le patrouilleur de garde l’avait considéré d’un air indifférent et maussade. Il lui avait demandé d’exposer le motif de sa visite. Or, ce motif était un barreau de matière plastique que Terens avait arraché à une masure délabrée dans les faubourgs.

Il avait assommé le patrouilleur, revêtu son uniforme et volé ses armes. La liste de ses crimes était déjà si formidable qu’il n’éprouva aucun trouble en découvrant qu’il avait tué l’homme au lieu de l’endormir.

Pourtant, il était toujours en liberté et, jusqu’ici, c’était en vain que la machine rouillée et grinçante de la Patrouille s’était mise en branle.

Il était devant la boulangerie. Le vieux qui servait de mitron se trouvait sur le seuil, cherchant sans succès à comprendre la raison de toute cette agitation. A la vue du redoutable uniforme noir et argent, il poussa un cri étouffé et réintégra les profondeurs de la boutique.

Le Prud’homme se rua sur lui et l’empoigna par le col.

— Où est allé le Boulanger ? demanda-t-il en secouant sa victime.

Le vieillard ouvrit la bouche mais aucun son n’en sortit.

— J’ai tué un homme il y a deux minutes, reprit Terens. Ça m’est égal d’en tuer un autre.

— Je vous en prie… Je vous en prie… Je ne sais rien.

— Tu mourras pour t’apprendre à ne rien savoir.

— Mais il ne m’a pas dit ou il allait. J’ai cru comprendre qu’il avait retenu des places.

— Tiens ? Et qu’est-ce que tu as encore cru comprendre d’autre ?

— A un moment, il a parlé de Wotex. C’étaient des places d’astronef.

D’une bourrade, Terens envoya le vieux rouler à l’autre bout de la pièce.

Il fallait attendre que la fièvre se calmât un peu dans la rue Il fallait accepter le risque de voir de vrais patrouilleurs faire une descente dans la boulangerie.

Mais pas trop longtemps. Pas trop longtemps… Il devinait ce que ses compagnons d’hier allaient faire. Certes, la conduite de Rik était imprévisible mais Valona était une fille intelligente. Il n’y avait qu’à voir comment ils s’étaient enfuis pour comprendre qu’ils l’avaient pris pour un authentique patrouilleur et, sans aucun doute, Valona avait jugé que la seule issue possible était d’appliquer le plan du Boulanger.

Le Boulanger avait retenu des places à leur intention. Un astronef était en partance. Valona et Rik se rendraient au spatiodrome.

Il faudrait que Terens y arrive le premier.

La situation était désespérée. Rien d’autre n’avait plus d’importance. En perdant Rik, Terens perdait une arme capable de mettre fin à la tyrannie de Sark. A côté de cela, sa propre mort ne comptait guère.

Aussi, quand il quitta la boulangerie, ce fut sans éprouver la moindre angoisse bien qu’il fît grand jour, bien que les patrouilleurs dussent maintenant savoir que celui qu’ils recherchaient portait la tenue de la Patrouille et bien que deux véhicules aériens fussent en vue.

Terens savait de quel spatiodrome il s’agissait. Il n’en existait qu’un seul conforme aux normes requises sur toute la planète. Il y avait une douzaine de minuscules bases privées pour astronefs de plaisance dans la Cité Haute et des centaines de terrains disséminés sur toute la surface de Florina à l’usage exclusif des cargos lourds qui livraient à Sark des monceaux de pièces de kyrt et en ramenaient des biens d’équipement et de consommation. Mais un seul astrodrome était réservé aux voyageurs ordinaires, aux plus pauvres des Sarkites, aux fonctionnaires floriniens et aux rares étrangers autorisés à se rendre sur Florina pour des raisons touristiques.

Le garde florinien dévisagea Terens avec un intérêt manifeste. L’astrodrome désert commençait à lui être insupportable.

— Salut à vous, dit-il. – Il y avait quelque chose de furtivement avide dans sa voix. Après tout, plusieurs patrouilleurs avaient été liquidés. – Il y a beaucoup d’agitation dans la Cité, à ce qu’il paraît ?

Terens ne mordit pas à l’appât.

Il avait rabattu la visière de son casque et boutonné sa tunique jusqu’au col.

— Avez-vous vu entrer récemment deux personnes, un homme et une femme, dont la destination était Wotex ? demanda-t-il d’un ton revêche.

L’étonnement se peignit sur le visage du gardien. Il resta quelques instants la bouche ouverte avant de répondre avec infiniment plus de soumission :

— Oui chef. Il y a une demi-heure environ. Peut-être moins. Ses joues se colorèrent soudain. – Y a-t-il un rapport entre ce couple et ? … ? Leurs réservations étaient parfaitement en règle, chef, Je n’aurais pas laissé passer des étrangers en situation irrégulière.

Terens ne releva pas ces derniers mots. En situation irrégulière ! Le Boulanger avait réglé la question en l’espace d’une nuit. Par tous les dieux de la galaxie, jusqu’à quel point l’administration sarkite était-elle pénétrée par l’espionnage trantorien ?

— Quels noms vous ont-ils donnés ?

— Gareth et Hansa Barne.

— Leur navire a-t-il appareillé ? Vite…

— Non… non, chef.

— Où se trouve-t-il ?

— Au poste 17.

Terens s’e retint de ne pas prendre le pas de course mais il accéléra l’allure. Si un vrai patrouilleur avait été dans les parages, cette foulée qui péchait par manque de dignité eût suffi à sonner le glas de sa liberté.