Un officier en tenue était debout devant le maître sas du navire.
— Gareth et Hansa Barne sont-ils montés à bord ? demanda le faux patrouilleur qui haletait un peu.
Non, répondit l’officier avec flegme. – Il était sarkite et à ses yeux, un patrouilleur n’était rien de plus qu’un autre homme en uniforme. – Vous avez un message à leur transmettre ?
— Ils ne sont pas à bord ?
La patience de Terens s’effilochait.
— C’est ce que je vous dis. Et nous ne les attendrons pas Nous partirons à l’heure prévue, avec ou sans eux.
Terens fit demi-tour et-reprit le chemin de la guérite.
— Sont-ils partis ?
— Partis ? répéta le gardien. Qui ça, chef ? Ils ne sont pas à bord de l’astronef. Ont-ils quitté le port ?
— Non, chef, pas que je sache.
— Ils auraient pu sortir par une autre porte.
— Il n’y en a pas d’autres, chef.
— Qu’est-ce que vous attendez pour vérifier, misérable imbécile ?
Le gardien en proie à la panique saisit le tube de communication. C’était la première fois qu’un patrouilleur employait un ton aussi brutal pour s’adresser à lui et il se demandait avec terreur comment cela allait finir. Deux minutes plus tard, il reposa le tube.
— Personne n’a quitté le port, chef.
Terens le dévisagea. Sous son couvre-chef noir, la transpiration collait ses cheveux roux sur son crâne et des gouttes de sueur brillaient sur ses joues.
— Est-ce qu’un navire a décollé depuis que ces individus sont entrés ?
Le gardien consulta la liste des plans de vol.
— Oui. L’astronef-paquebot Intrépide.
Désireux de se concilier les bonnes grâces du patrouilleur en colère, il enchaîna, volubile :
— L’Intrépide ramène à Sark Sa Seigneurie Samia de Fife. C’est un vol privé.
Il s’abstint de préciser grâce à quels raffinements d’indiscrétion il avait réussi à obtenir cette « information confidentielle ».
Mais, pour Terens, rien n’avait plus d’importance.
Le Prud’homme s’éloigna à pas lents. Une fois l’impossible éliminé, ce qui demeurait, si improbable que ce fût, était la vérité. Rik et Valona s’étaient introduits dans l’astroport. Ils n’avaient pas été arrêtés : autrement le gardien l’aurait sûrement su. Ils ne s’étaient pas contentés d’errer à l’aventure dans le port sinon ils auraient été capturés. Ils n’étaient pas à bord du navire où leurs places étaient retenues. Ils n’avaient pas quitté les lieux. Le seul bâtiment à avoir décollé était l’Intrépide. Donc, Rik et Valona se trouvaient dans ses flancs. Peut-être prisonniers. Peut-être comme passagers clandestins.
Les deux hypothèses étaient d’ailleurs équivalentes. S’ils s’étaient cachés, ils seraient bientôt prisonniers. Seuls une paysanne florinienne et un simple d’esprit étaient incapables de se rendre compte qu’il n’y a pas moyen de se dissimuler à bord d’un astronef moderne.
Et ils avaient choisi celui qui emportait la fille de l’Écuyer de Fife !
L’Écuyer de Fife !
CHAPITRE IX
L’ÉCUYER
L’Écuyer de Fife était le personnage le plus éminent de Sark : c’était pour cette raison qu’il n’aimait pas être debout. Comme sa fille. – il était petit mais, contrairement à elle, il n’était pas parfaitement proportionné. C’étaient en effet ses jambes qui étaient trop courtes. Il avait un torse puissamment musclé, une physionomie indéniablement majestueuse mais son tronc était planté sur une paire de jambes rabougries qui donnaient à l’Écuyer de Fife une démarche de canard, incapables qu’elles étaient de supporter le poids de son corps.
En dehors de sa fille, des serviteurs attachés à sa personne et de feu son épouse, nul ne l’avait jamais vu qu’assis derrière son bureau.
Dans cette position, il avait l’air d’être celui qu’il était. Il avait une tête massive, une grande bouche presque dépourvue de lèvres, un nez écarté aux larges narines, un menton pointu creusé d’une fente médiane et son visage arborait avec une égale aisance une expression bonasse ou une mine inflexible. Ses cheveux qui lui tombaient presque jusqu’aux épaules au mépris de la mode étaient aile-de-corbeau ; on n’y distinguait pas le moindre fil d’argent. Ses joues étaient bleuâtres et son barbier florinien devait lutter deux fois par jour contre une barbe opiniâtre.
L’écuyer de Fife affichait en pleine connaissance de cause un maintien affecté. Sa physionomie était volontairement vide d’expression. Il avait croisé ses mains épaisses terminées par des doigts courts sur le plateau lisse et poli de son bureau nu. Rien – pas un papier. Pas un tube de communication, pas un bibelot. Ce dépouillement ne faisait que souligner la présence de l’Écuyer de Fife.
Il parlait à son secrétaire, un Florinien au teint blême de poisson sur le ton monocorde qu’il réservait aux ustensiles mécaniques et aux fonctionnaires de Florina.
— Je présume qu’ils ont tous accepté ?
La réponse ne faisait aucun doute.
Le secrétaire répondit de la même voix blanche :
— L’Écuyer de Bort a déclaré qu’en raison d’engagements antérieurs, il ne pourrait assister à la conférence qu’à partir de trois heures.
— Et que lui avez-vous dit ?
— Que, eu égard à la nature de l’affaire en question, tout retard serait inopportun.
— Le résultat ?
— Il sera là, messire. Les autres n’ont fait aucune difficulté.
Fife sourit. Une demi-heure de plus ou de moins n’eût rien changé. C’était un nouveau principe qu’il avait établi, rien de plus. Les Grands Écuyers étaient trop ombrageux en ce qui concernait leur indépendance : cette susceptibilité devait disparaître.
Il n’y avait plus qu’à attendre. La pièce était vaste. Tout était prêt. Le gros chronomètre, dont l’infime étincelle de radioactivité qui était sa source d’énergie palpitait sans défaillance depuis un millénaire, indiquait deux heures vingt et une.
Que d’événements en deux jours ! L’antique chronomètre serait peut-être témoin de bouleversements sans précédent.
Pourtant, il avait vu bien des choses en mille ans. A l’époque où il avait commencé d’égrener les minutes, Sark était un monde jeune ; ses cités à l’architecture rudimentaire, n’entretenaient que des rapports incertains avec les mondes plus anciens. Un vieux bâtiment dont le chronomètre était alors fixé au mur dont les briques étaient depuis longtemps retombées en poussière. Son mécanisme avait fredonné sa chanson régulière tandis que se succédaient trois « empires » éphémères : une demi-douzaine de planètes proches livrées pendant des laps de temps plus ou moins longs à la loi des soldats indisciplinés de Sark. Ses atomes radioactifs s’étaient désintégrés selon une séquence strictement statistique pendant deux périodes alors que les flottes militaires des mondes voisins avaient dicté la politique sarkite.
Cinq cents ans auparavant, Sark avait découvert que la planète la plus proche, Florina, recelait dans son sol un trésor échappant à toute évaluation. Le chronomètre avait débité le temps en tranches égales pendant deux guerres victorieuses et solennellement enregistré l’instauration de la paix du conquérant. Sark avait renoncé à son empire, absorbé Florina et acquis une puissance qui laissait loin derrière elle celle de Trantor lui-même.
Trantor avait des vues sur Florina. Et il n’était pas le seul. De tous les points de l’espace, des mains avides se tendaient vers Florina, mais s’avaient été celles de Sark qui s’étaient refermées sur le butin et, plutôt que de relâcher son étreinte, Sark eût pris le risque d’une guerre galactique.