Выбрать главу

Trantor le savait ! Trantor le savait !

C’était comme si le rythme silencieux du chronomètre était comme s’il avait fait naître une petite ariette dans la tête de l’Écuyer de Fife.

Il était deux heures vingt-trois.

Près d’un an auparavant, les cinq Grands Écuyers de Sark avaient eu une réunion. Cette fois déjà, elle s’était tenue dans la demeure de Fife. Aucun des Écuyers disséminés d’un bout à l’autre de la planète n’avait quitté le continent qui était le sien. L’entrevue s’était déroulée par projection tridimensionnelle.

Ce système équivalait en gros à une sorte d’émission de télévision en relief, en couleurs et grandeur nature. On trouvait des duplicateurs chez tous les Sarkites un peu à l’aise. Mais ce qui sortait de l’ordinaire, c’était l’absence de tout récepteur visible. A l’exception de Fife, puissance invitante, les quatre Écuyers étaient présents dans tous les sens possibles, à ceci près que leur présence n’était pas réelle. On ne voyait pas le mur derrière eux, leur image ne scintillait pas mais on aurait pu passer la main à travers leur corps.

L’Écuyer de Rune en chair et en os se trouvait aux antipodes. A l’heure où la conférence s’était ouverte, son continent était plongé dans la nuit. Le volume cubique entourant immédiatement sa représentation dans le bureau de Fife avait l’éclat blanc et froid de l’éclairage artificiel.

C’était Sark elle-même qui, réellement ou en effigie, était rassemblée dans la salle. Étrange incarnation de la planète… Incarnation qui n’était d’ailleurs pas totalement placée sous le signe de la grandeur. Rune était chauve, obèse et avait la peau rose tandis que Balle avait les cheveux gris, un corps efflanqué et un visage parcheminé. Steen affichait sous sa toison blanche et hirsute le sourire désespéré d’un homme usé feignant de posséder encore la force vitale qui l’a déserté. Quant à Bort, il manifestait un mépris complet envers les autres au point d’avoir une barbe de deux jours et les ongles en deuil.

Pourtant, c’étaient les cinq Grands Écuyers de Sark.

Ils représentaient l’échelon suprême du pouvoir. Ces échelons étaient au nombre de trois. Le plus bas était constitué, évidemment, par l’administration florinienne qui était restée immuable à travers les vicissitudes marquant l’essor et la chute des grandes familles sarkites. C’était elle qui faisait effectivement tourner sans qu’ils grincent les rouages du gouvernement. Au-dessus des fonctionnaires floriniens, on trouvait les ministres et les directeurs de cabinet nommés par le chef de l’État dont le poste était héréditaire – et qui était impuissant. Il était nécessaire que son nom et celui des excellences figurât sur les actes officiels afin de conférer à ces derniers l’estampille légale qui les rendait exécutoires, mais signer des textes était le seul devoir qui incombait à ces personnages.

L’étage supérieur de la hiérarchie était celui des cinq Grands Écuyers, chacun reconnaissant tacitement les droits de propriété de ses collègues sur leurs continents respectifs. Les cinq étaient les chefs de file des familles qui contrôlaient la majeure partie de l’industrie du kyrt et les revenus afférents. C’était l’argent qui conférait la puissance et dictait en dernier ressort la politique de Sark.

Or, les cinq avaient l’argent. Et, de tous, C’était Fife qui en possédait le plus.

Ce jour-là, presque un an plus tôt, l’Écuyer de Fife avait annoncé à ses pairs, les autres maîtres de la planète, qui arrivaient à la seconde place pour ce qui était de la richesse (la première revenant à Trantor qui, après tout, avait un demi-million de mondes à exploiter au lieu de deux)

— J’ai reçu un curieux message.

Les quatre autres n’avaient rien répondu. Ils avaient attendu la suite.

Fife avait alors tendu une feuille de métallite à son secrétaire qui l’avait présentée à chacun des Écuyers afin que tous pussent la lire.

Chacun des quatre hommes réunis dans le bureau de Fife avait le sentiment que c’était lui qui était réel, que ses collègues, y compris Fife, étaient des ombres. La pellicule de métallite était une ombre, elle aussi. Ce que les Écuyers avaient sous les yeux dans leur résidence n’était qu’un jeu d’optique. Les mots qu’ils lisaient, rayons lumineux réfractés d’un bout à l’autre de la planète, n’étaient que des ombres sur une ombre.

Seul Bort, qui allait toujours droit au but et ne se souciait pas de subtilités, l’oublia et tendit la main vers le message.

Sa main sortit du cadre de réception et disparut. Elle se referma sur le néant, passant au travers de la pellicule impalpable. Fife sourit. Les autres l’imitèrent. Steen pouffa.

Bort rougit. Sa main réapparut.

— Eh bien, tout le monde a lu ce texte. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais maintenant le lire à haute voix afin que vous puissiez en saisir toute l’importance.

Le secrétaire se hâta de lui tendre le message à la hauteur voulue pour que le Grand écuyer n’ait pas à attendre.

Fife se mit à lire d’une voix de velours, faisant un sort aux mots comme s’il était l’auteur du texte et se plaisait à le déclamer :

— Voici ce qu’il dit : « Vous êtes un Grand Écuyer de Sark nul ne peut rivaliser avec vous, ni par la puissance ni par la richesse-. Pourtant, cette puissance et cette richesse reposent sur une base fragile. Vous pensez peut-être qu’une réserve de kyrt à l’échelle planétaire comme celle que recèle Florina constitue une base rien moins que fragile. Mais demandez-vous combien de temps durera Florina. Eternellement ?

« Non ! Demain, Florina sera peut-être détruite. Elle peut vivre encore mille ans. De ces deux hypothèses, la première est la plus plausible. Sa destruction ne sera certes pas mon fait mais elle arrivera d’une façon que vous ne saurez prévoir. Réfléchissez à ce que signifiera sa destruction. Songez également que votre puissance et votre richesse sont déjà anéanties car j’en exige la majeure partie. Vous avez le temps de réfléchir. Mais un temps limité.

« Si vous cherchez à employer des manœuvres dilatoires, je proclamerai la vérité sur cette destruction imminente à la face de la-galaxie et tout particulièrement sur Florina. Alors, plus de kyrt, plus de puissance, plus de richesse. Pour moi non plus, mais j’en ai l’habitude. Mais pour vous ce serait extrêmement grave puisque vous êtes nés dans l’opulence.

« J’exige la plus grande part de vos domaines. Je vous ferai savoir dans un avenir prochain comment il vous faudra procéder pour cette dévolution et je chiffrerai mes exigences. Le reliquat restera en votre possession. Certes, ce sera peu par rapport à vos critères actuels mais cela vaudra mieux que rien. Autrement, il ne vous restera rien. Ne méprisez pas non plus la portion congrue qui vous reviendra. Il se peut que Florina ne disparaisse qu’après votre mort et vous vivrez, sinon dans le luxe, du moins dans le confort. »

Fife avait fini. Il tourna la pellicule de métallite dans sa main avant de la glisser avec soin dans un étui cylindrique fait d’une substance argentée et translucide à travers laquelle des lignes se fondirent en une tache rougeâtre.

Reprenant sa voix normale, il dit :

— Amusante, cette lettre. Elle n’est pas signée. Vous avez remarqué son style ampoulé et pompeux. Qu’en pensez-vous, messieurs ?

Le mécontentement se lisait sur le visage rougeaud de Rune qui répondit :

— Il est visible que celui qui a écrit cela est un névrosé ou peu s’en faut. On dirait un roman historique. Franchement, Fife, je ne crois pas que de telles niaiseries soient une excuse valable pour cette convocation contraire à toutes nos traditions d’autonomie continentale. Et je n’apprécie pas la présence de votre secrétaire.