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— Mon secrétaire ? Parce qu’il est florinien ? Craindriez-vous qu’une missive de ce genre ne lui mette la tête à l’envers ? C’est ridicule ! – Il abandonna le ton vaguement amusé avec lequel il avait prononcé ces mots pour ordonner d’une voix monocorde : Tournez-vous vers l’Écuyer de Rune.

Le secrétaire obéit. Il gardait les yeux baissés avec déférence. Pas une ride ne creusait son visage blanc et sa physionomie était totalement vide d’expression. C’est à peine s’il semblait vivant.

Ce Florinien est à mon service personnel, reprit Fife comme si l’homme n’était pas là. Mais ce n’est pas là la raison de son absolue loyauté. Regardez-le. Regardez ses yeux. Ne vous rendez-vous pas compte qu’il est décervelé ? Il est incapable de nourrir la moindre pensée déloyale à mon égard. N’y voyez aucune offense mais je peux dire que j’aurais plus confiance en lui qu’en aucun d’entre vous.

Bort eut un rire étouffé.

— Je ne vous le reprocherai pas. Aucun d’entre nous ne vous doit la loyauté que vous pouvez attendre d’un Florinien au cerveau lavé.

Steen gloussa à nouveau et s’agita sur son siège comme si celui-ci lui chauffait le postérieur.

Nul ne fit de commentaires sur le fait que Fife soumît ses serviteurs au sondage psychique. Il aurait été profondément, stupéfait si ses pairs s’étaient permis une remarque à ce propos… Le lavage de cerveau était interdit, sauf pour corriger les désordres mentaux ou éliminer les impulsions criminelles. A. strictement parler, il était interdit aux Grands Écuyers eux-mêmes.

Néanmoins, Fife recourait à la technique du lavage de, cerveau chaque fois qu’il le jugeait nécessaire, en particulier si le sujet était florinien. Soumettre un Sarkite à ce traitement, était beaucoup plus délicat. L’Écuyer de Steen – dont les trémoussements n’avaient pas échappé à Fife – avait la réputation d’utiliser des Floriniens décervelés des deux sexes à des fins qui n’avaient aucun rapport avec les travaux de secrétariat. Fife joignit ses doigts aux extrémités carrées.

— Je ne vous ai pas réunis pour vous lire la lettre d’un détraqué. J’espère que cela, vous le comprenez. La vérité est que je crains que nous ne soyons confrontés avec un grave problème. Tout d’abord, je me suis posé la question : pourquoi adresser ce poulet uniquement à votre serviteur ? Certes, je suis l’Écuyer dont la fortune est la plus grande mais je ne contrôle qu’un tiers du commerce du kyrt. A nous cinq, nous le contrôlons totalement. Il est aussi facile d’établir cinq duplicata d’une lettre que d’en écrire une.

— Abrégez, grommela Bort. Qu’est-ce que vous voulez ?

Les lèvres décolorées et flétries de Balle remuèrent dans son visage cendreux.

— Il veut savoir si nous avons reçu copie de cette lettre, seigneur de Bort.

— Eh bien, qu’il le dise !

— Je croyais l’avoir dit, répliqua Fife d’une voix égale. Alors ?

Les Écuyers s’entre-regardèrent, les uns d’un air de défi, les autres avec méfiance selon leur tempérament.

Rune parla le premier. Sur son front rose perlaient des gouttelettes de sueur ; sortant un délicat carré de kyrt, il épongea sa peau moite, sillonnée de rides allant d’une oreille à l’autre.

— Je n’en sais rien, Fife. Je peux m’informer auprès de mes secrétaires – qui sont tous sarkites, soit dit en passant. Après tout, si une lettre pareille était parvenue à mes services, elle aurait été considérée comme émanant… quelle expression avez-vous employée ?… d’un détraqué. On ne me l’aurait jamais transmise. C’est à l’organisation particulière de votre secrétariat que vous devez d’être importuné par des sottises de ce genre.

Il dévisagea ses collègues en souriant. Ses gencives luisaient d’un éclat humide au-dessus et au-dessous de ses dents en acier chromé, profondément implantées dans le maxillaire. Elles étaient plus solides qu’aucune dent d’émail. Le sourire du sieur de Rune inspirait plus d’effroi qu’un froncement de sourcils, Balle haussa les épaules.

— Ce que Rune vient de dire vaut probablement pour chacun de nous.

Steen eut un petit rire affecté.

— Je ne lis jamais le courrier. Parole ! C’est tellement fastidieux et cela entraîne tellement de corvées que je n’en aurais pas le temps.

Il regarda les autres d’un air pénétré comme s’il était vraiment nécessaire de convaincre la compagnie de la véracité de cet important détail.

— Sornettes ! laissa tomber Bort. Qu’est-ce qui vous prend ?

C’est Fife qui vous fait peur ? Écoutez-moi, Fife. Je n’ai pas de secrétariat parce que je n’ai pas besoin d’intermédiaire entre moi et mon travail. J’ai reçu une copie de cette lettre et je suis sûr que ces messieurs en ont reçu une, eux aussi. Voulez-vous savoir ce que j’en ai fait ? Je l’ai flanquée dans le vide-ordures et je vous conseille d’imiter mon exemple, messires. Finissons-en ! J’en ai assez de cette histoire.

Il tendit la main vers le contacteur pour couper la projection.

— Attendez, Bort ! lança Fife d’une voix impérative. Je n’ai pas terminé. Si nous prenions des décisions en votre absence, je suis sûr que vous le regretteriez. N’est-ce pas ?

— Patientez, sire Bort, renchérit Rune.

— Il s’exprimait avec plus d’aménité que Fife mais il n’y avait rien de particulièrement aimable dans le regard qui brillait au fond de ses petits yeux porcins.

— J’aimerais savoir pourquoi de pareilles vétilles tracassent tellement l’Écuyer de Fife.

— Peut-être, répondit Balle sur un ton sec et grinçant, peut-être pense-t-il que notre correspondant détient des informations relatives à une attaque trantorienne dirigée contre Florina.

Fife émit un grognement dédaigneux.

— Comment pourrait-il être au courant, quel que soit cet individu ? Je vous assure que notre service de renseignements fonctionne de manière efficace. Et comment ce personnage empêcherait-il une attaque s’il recevait nos biens en guise de pourboire ? Non ! Quand il évoque la destruction de Florina, c’est à une destruction d’ordre matériel et non d’ordre politique qu’il pense.

— Nous nageons en pleine démences s’exclama Steen.

— Vous croyez ? C’est donc que vous n’avez pas compris la portée des événements de ces deux dernières semaines ?

— Quels événements ? s’enquit Bort.

Il paraît qu’un spatio-analyste a été porté disparu. Vous avez certainement entendu parler de cette affaire.

Bort prit un air ennuyé – et il ne paraissait nullement apaisé.

— Oui, Abel de Trantor m’a parlé de cela. Et alors ? Je ne sais rien des spatio-analystes.

Vous avez au moins eu entre les mains un double du dernier message qu’il a envoyé à sa base sur Sark avant de disparaître ?

— Abel me l’a montré. Je n’y ai pas prêté attention.

— Et vous, messires ? – Le regard de Fife se posa tour à tour avec défi, sur chacun des trois autres. – Votre mémoire est-elle capable de retrouver un souvenir vieux d’une semaine ?

— J’ai eu ce message sous les yeux, dit Rune. Et je m’en souviens, évidemment ! Il y était également fait allusion à une destruction. C’est à cela que vous vouliez en venir ?

— Il était rempli de sous-entendus déplaisants qui n’avaient aucun sens, fit Steen sur un timbre aigu. Ma parole, j’espère que nous n’allons pas discuter de cela ! J’ai eu toutes les peines du monde à me débarrasser d’Abel. Et c’était juste avant le dîner par-dessus le marché ! Un souvenir des plus pénibles… Parole !