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— Je regrette, Steen, mais il faut reparler de cette affaire rétorqua Fife dont l’impatience était manifeste. (Que fait un être comme Steen ?) Ce spatio-analyste évoquait la destruction de Florina. Des lettres où il est également question de la destruction de Florina nous parviennent. Et elles coïncident avec la disparition de cet analyste. Croyez-vous vraiment qu’il s’agisse d’une coïncidence ?

Selon vous, ces lettres auraient été envoyées par le spatio-analyste devenu maître chanteur ? murmura le vieux Balle.

— Non, ce serait peu vraisemblable. Pourquoi aurait-il commencé par lancer cet avertissement sans cacher son identité pour le reprendre ensuite anonymement ?

— La première fois qu’il a parlé de cela, il s’adressait à son organisation, pas à nous, dit Balle.

— Ça n’est pas une raison. Un maître chanteur ne traite jamais qu’avec sa victime lorsque c’est possible.

— Alors ?

— Il a disparu. Admettons que notre spatio-analyste soit sincère. Seulement, il propage une information dangereuse. Il est actuellement à la merci d’autres gens qui, eux, ne sont pas honnêtes et qui font du chantage.

— Qui sont ces gens ?

Fife se laissa aller au fond de son fauteuil, la mine sévère. Ses lèvres remuaient à peine.

Vous parlez sérieusement ? Trantor !

Steen frissonna.

— Trantor ? répéta-t-il sur un timbre aigu.

Sa voix se brisa.

Et pourquoi pas ? N’est-ce pas le meilleur moyen de s’assurer le contrôle de Florina, ce qui est l’un des buts essentiels de la politique étrangère trantorienne. Si les Trantoriens peuvent réaliser cet objectif sans recourir à la guerre, ce serait tout bénéfice. Réfléchissons. Si nous cédons devant cet ultimatum impossible, Florina est à eux. Ils nous proposent un petit dédommagement mais pour combien de temps ? Que se passera-t-il si nous ne tenons pas compte de cet ultimatum ? – et, à la vérité, nous n’avons pas d’autre choix. Que fera Trantor ? Il répandra le bruit qu’une menace de mort imminente pèse sur Florina. Ce sera la panique chez les paysans floriniens. Et le désastre est inévitable. Quelle force est capable de contraindre à travailler un homme qui croit que la fin du monde est pour demain ? La récolte pourrira sur pied. Les entrepôts resteront vides.

Steen, les yeux fixés sur un miroir situé hors du champ de projection, égalisa du doigt le fard sur sa joue.

— Je ne pense pas que cela nous gênerait beaucoup, fit-il. S’il y a pénurie de matière première, les prix monteront, n’est-ce pas ? Au bout d’un certain temps, on constatera que Florina est toujours à sa place et les paysans se remettront au travail. D’ailleurs, nous aurons toujours la possibilité de menacer de bloquer les exportations. Je ne vois pas comment une planète civilisée pourrait vivre sans kyrt. Sa Majesté le kyrt… Voilà beaucoup de bruit pour rien si vous voulez mon avis.

Et, le doigt délicatement glissé sous le menton, Steen s’enferma dans un silence boudeur.

Pendant qu’il parlait, Balle avait baissé ses paupières fripées.

Il prit la parole à son tour :

— Les prix ne peuvent plus monter. Nous avons atteint le plafond absolu.

— Exactement, acquiesça Fife. N’importe comment, la crise n’ira pas jusqu’à la catastrophe. Trantor guette les premiers symptômes de désordre sur Florina. Si les Trantoriens peuvent démontrer à la galaxie que Sark est dans l’incapacité d’assurer les expéditions de kyrt, quoi de plus naturel pour eux que d’intervenir afin de maintenir ce qu’ils appellent l’ordre et de prendre des mesures en vue de garantir les livraisons ? Le danger, c’est que les mondes indépendants marcheraient probablement avec eux à cause du kyrt. Surtout si Trantor acceptait d’abolir le monopole, augmentait la production et réduisait les prix. Ce qu’il ferait ensuite, c’est une autre histoire mais, entre-temps, Trantor serait soutenu par les mondes indépendants. C’est le seul moyen logique de mettre la main sur Florina. Si Trantor employait purement et simplement la force pour parvenir à ses fins, les planètes libres situées en dehors de sa sphère d’influence se rallieraient à nous dans un réflexe d’autodéfense.

— Où votre spatio-analyste entre-t-il en jeu ? s’enquit Rune. Est-il nécessaire ? Si votre théorie est correcte, elle devrait expliquer son rôle.

— Je crois qu’elle l’explique. Les spatio-analystes sont pour la plupart des gens déséquilibrés et celui-ci a élaboré… – Fife ébaucha un geste comme s’il dessinait une vague construction… – une doctrine farfelue. Laquelle ? Aucune importance : Trantor ne peut pas la laisser diffuser. Elle serait étouffée par le Bureau d’Analyse de l’Espace. Cependant, si les Trantoriens capturaient l’homme et le cuisinaient, les détails qu’ils apprendraient présenteraient sans doute un semblant de véracité qui convaincrait les profanes. Ils pourraient les utiliser, leur donner l’apparence de la réalité. Le B.I.A.S. est une marionnette dont ils tirent les fils et, une fois que cette histoire d’allure pseudo-scientifique se serait répandue, aucun démenti du Bureau ne serait assez catégorique pour démolir l’imposture.

— Cela me semble rudement compliqué, murmura Bort. Vous divaguez : ils ne peuvent pas se permettre de laisser l’histoire s’ébruiter… et ensuite, ils autorisent sa propagation !

— Vous ne comprenez pas qu’ils ne peuvent pas la rendre publique sous forme d’une déclaration scientifique sérieuse mais qu’ils peuvent en revanche la divulguer sous forme de rumeurs ?

— Dans ce cas, pourquoi Abel perdrait-il son temps à rechercher ce spatio-analyste ?

— Vous le voyez clamant sur tous les toits qu’il s’est assuré de sa personne ? Ce qu’Abel fait et ce qu’il donne l’impression de faire sont deux choses différentes.

— Admettons que vous ayez raison, dit Rune. Quelle solution envisagez-vous ?

— Nous sommes prévenus du danger et c’est là la chose importante – Nous retrouverons le spatio-analyste si nous le pouvons. Il faut surveiller de près tous les agents trantoriens connus tout en leur laissant les coudées franches. Leur activité nous permettra peut-être de déterminer le cours que prendront les événements. Il faut réprimer énergiquement sur Florina toute propagande tendant à accréditer la légende de la destruction de la planète. La moindre insinuation doit susciter immédiatement une réaction brutale. Et, surtout, il faut que nous restions unis. La création d’un front commun est à mes yeux la raison d’être fondamentale de cette conférence. Nul n’est plus attaché que moi à la notion d’autonomie continentale. Dans les circonstances ordinaires. Or, les circonstances présentes ne sont pas ordinaires. Je pense que vous en êtes conscients ?

Avec plus ou moins de répugnance, car l’autonomie continentale n’était pas une chose à laquelle on renonçait à la légère, les interlocuteurs reconnurent le bien-fondé des propos de Fife.

— Puisque nous sommes d’accord, il ne reste plus qu’à attendre le prochain mouvement de l’adversaire, conclut ce dernier.

Tel avait été le débat qui s’était instauré l’année précédente. Les Écuyers s’étaient séparés. Par la suite, le Sieur de Fife avait rencontré l’échec le plus étrange et le plus complet qu’il eût connu au cours d’une carrière modérément longue et plus que modérément audacieuse.

L’adversaire n’avait plus donné signe de vie. Les Écuyers n’avaient plus reçu de lettres. Le spatio-analyste n’avait pas été retrouvé, bien que Trantor continuât de poursuivre sporadiquement ses recherches. Il n’y eut pas de rumeurs apocalyptiques à propos de Florina où rien ne vint troubler la culture et le traitement du kyrt.

L’Écuyer de Rune avait pris l’habitude d’appeler Fife toutes les semaines.