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— Tu as foi en la loi et en la bienveillance des Écuyers, mon garçon, n’est-ce pas ?

Terens feignait toujours de consulter son carnet pour impressionner ses interlocuteurs.

— Mon mari est un honnête homme, s’écria la femme avec véhémence. Il n’a jamais eu d’ennuis avec les autorités. Il ne fréquente pas la racaille. Moi non plus. Les enfants non plus. Nous vous sommes toujours !…

Terens lui imposa le silence d’un geste.

— Oui, je sais. Tu vas t’asseoir là, mon garçon, et tu vas faire ce que je vais te dire. Je veux la liste de tous les gens de l’îlot que tu connais. Nom, adresse, ce qu’ils font, quel genre de types ils sont… Surtout ça. S’il y a des trublions, je veux le savoir. On va procéder à une opération de nettoyage. Tu comprends ?

— Oui, chef, oui… D’abord, il y a Husting. Il habite un peu plus bas. Il…

— Non, pas comme ça. Donnez-lui un bout de papier. Bien… Toi, assieds-toi et note tout par écrit. Avec les détails. Et écris lentement parce que vos pattes de mouche, à vous autres indigènes, sont indéchiffrables.

— J’ai l’habitude des écritures, chef.

— Eh bien, on va voir.

Jacof se pencha sur la table et se mit à écrire avec lenteur. Sa femme regardait par-dessus son épaule.

Terens se tourna vers la jeune fille.

— Poste-toi devant la fenêtre et avertis-moi si tu vois d’autre patrouilleurs arriver, lui ordonna-t-il. Je veux leur parler. Mais ne les appelle pas. Contente-toi de me prévenir.

A présent, il pouvait enfin se détendre. Il s’était construit un petit asile au milieu des périls.

Il régnait un silence raisonnable que brisait seulement le bruit de succion que faisait le bébé. Si l’ennemi approchait, il serait alerté et aurait une chance de lui échapper.

Maintenant, il pouvait réfléchir.

Pour commencer, il faudrait bientôt renoncer à jouer aux patrouilleurs. Il y avait probablement des barrages à toutes les sorties et ses poursuivants savaient que le Prud’homme était incapable de se servir d’un véhicule plus compliqué qu’un scooter diamagnétique Il ne tarderait pas à tomber sur des patrouilleurs. La machine grinçante de la Patrouille ne pouvait espérer mettre la main sur un fugitif qu’en quadrillant systématiquement la ville, en la fouillant îlot par îlot, maison par maison.

Quand elle prendrait la décision de mettre ce dispositif en place, elle commencerait par passer les faubourgs au peigne fin et progresserait ensuite vers le centre. Dans ce cas, la demeure de Jacof serait l’une des premières à être visitée de sorte que le temps dont Terens disposait était particulièrement limité.

Jusqu’à présent, son uniforme de patrouilleur lui avait été utile, si voyant qu’il fût. Les indigènes eux-mêmes ne s’étaient pas posé de questions. Ils ne s’arrêtaient pas pour s’étonner du teint pâle de celui qui le portait. Ils ne scrutaient pas ses traits.

La vue de l’uniforme était suffisante.

Mais avant longtemps, la meute lancée aux trousses du Prud’homme aurait compris. On donnerait comme instructions à la population indigène de retenir tout patrouilleur qui ne pourrait faire preuve de son identité, particulièrement s’il s’agissait d’un patrouilleur à la peau claire et aux cheveux roux. On remettrait aux vrais patrouilleurs des sauf-conduits provisoires. Une récompense serait promise à qui permettrait la capture du simulateur. Peut-être qu’un seul indigène sur cent aurait le courage de s’en prendre à un homme en uniforme, même si la supercherie sautait aux yeux. Un sur cent serait amplement suffisant.

Donc, il fallait abandonner cette défroque.

C’était une chose. Mais il y avait une autre question. Désormais, Terens ne serait nulle part en sécurité sur Florina. Tuer un patrouilleur était le crime des crimes. Dans cinquante ans, à supposer qu’il puisse échapper aussi longtemps aux recherches, la chasse à l’homme durerait encore. Il fallait donc quitter Florina.

Comment »

Terens s’accordait un sursis de vingt-quatre heures. Une évaluation optimiste tablant sur un maximum de stupidité de la part des patrouilleurs et un maximum de chance.

En un sens, c’était un avantage. Quand on n’a que vingt-quatre heures à vivre, on peut prendre des risques devant lesquels un individu reculerait normalement.

Terens se leva.

Jacof tourna la tête vers lui.

— Je n’ai pas tout à fait fini, chef. Je calligraphie.

— Montre un peu ce que tu as écrit.

Il examina le papier.

Ça ira comme ça. Si d’autres patrouilleurs viennent, ne leur fais pas perdre leur temps en leur disant que tu as déjà préparé une liste. Ils seront pressés et ils auront peut-être autre chose à te demander. Obéis-leur, c’est tout. Il n’y en a pas en vue pour le moment ?

— Non, chef, répondit la jeune fille qui surveillait la fenêtre. Faut-il que j’aille voir dans la rue ?

— Ce n’est pas la peine. Bien !… Où est l’ascenseur le plus proche ?

— A un quart de mille, chef. En sortant de la maison, vous tournez à gauche. Vous…

— Parfait. J’y vais.

Au moment où la porte de l’ascenseur se refermait sur le Prud’homme, une escouade de patrouilleurs s’engagea dans la rue. Le cœur de Terens battait à grands coups. La Patrouille avait probablement commencé de ratisser méthodiquement la Cité. Ses poursuivants étaient sur ses talons.

Une minute plus tard, il émergeait de la cabine. Son cœur battait toujours la chamade. Dans la Cité Haute, il ne trouvait pas d’abri. Il n’y avait pas de piliers, pas de plaque d’alliage de ciment pour le dissimuler aux regards des patrouilleurs dans leurs véhicules aériens.

Il avait l’impression d’être une tache noire se mouvant sur le fond éclatant des édifices polychromes, d’être visible à deux milles de distance. Il lui semblait que de grandes flèches étaient pointées sur lui.

Il n’y avait pas de patrouilleurs en vue. Le regard des Écuyers qu’il croisait le traversait comme s’il était transparent. Si un patrouilleur était un objet de terreur pour un Florinien, il était inexistant pour un Écuyer. C’était peut-être l’unique planche de salut.

Terens avait une vague idée de la topographie de la Cité Haute. Quelque part, il y avait un parc. La solution la plus logique aurait été de demander son chemin. Il pouvait également entrer dans un immeuble un peu élevé et examiner les lieux du haut d’une terrasse. La première solution était impraticable : un patrouilleur n’a pas besoin de demander son chemin. La seconde était trop risquée. La présence d’un patrouilleur à l’intérieur d’un édifice eût attiré l’attention.

Terens préféra se fier à sa mémoire. Il avait déjà eu l’occasion de voir des cartes de la Cité Haute. Ses souvenirs ne le trahirent pas : Il atteignit le Parc au bout de cinq minutes.

Le Parc était un espace vert d’une superficie de quatre cents hectares. Sur Sark même, il jouissait d’une réputation exagérée, pour bien des choses, depuis la paix bucolique qui régnait sous ses charmilles jusqu’aux orgies nocturnes dont il était le théâtre. Sur Florina, ceux qui en avaient plus ou moins entendu parler l’imaginaient de dix à cent fois plus vaste et de cent à mille fois plus luxuriant qu’il n’était en réalité.

Le cadre était néanmoins agréable. Grâce à la douceur du climat florinien, le Parc était verdoyant d’un bout à l’autre de l’année. On y trouvait des pelouses, des bosquets, des grottes artificielles, un petit bassin peuplé de poissons décoratifs, un autre plus grand, où les enfants pouvaient barboter. La nuit, avant la légère averse quotidienne, il s’embrasait d’illuminations multicolores. C’était entre le crépuscule et le moment de la pluie qu’il était le plus animé. Il y avait des bals, des spectacles en trois dimensions et les couples se perdaient dans ses allées sinueuses.