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Trente-six heures auparavant, il avait en main la plus grande chance de sa vie. Maintenant, c’était fini et il n’avait plus longtemps à vivre.

CHAPITRE XI

LE CAPITAINE

C’était vraiment la première fois de sa carrière que le capitaine Racety était dans l’incapacité d’imposer sa volonté à, un passager. Si ce passager avait été l’un des Grands Écuyers en personne, il aurait au moins pu compter sur sa coopération. Un Grand Écuyer était peut-être tout-puissant sur son continent mais il eût admis que, à bord d’un navire, il n’y avait qu’un seul maître : le capitaine.

Avec une femme, il en allait différemment. Quelle qu’elle fût. Et une femme qui était fille de Grand Écuyer était un être totalement impossible.

— Comment puis-je vous laisser vous entretenir en privé avec eux, Votre Seigneurie ? s’exclama le capitaine.

Samia de Fife répondit, les yeux flamboyants :

— Pourquoi pas ? Sont-ils armés ?

— Bien sûr que non. La question n’est pas là.

— Il est visible que ce sont des gens terrorisés. Ils meurent de peur.

— Quelqu’un qui a peur peut être très dangereux, Votre Seigneurie. On ne peut pas espérer qu’il aura un comportement raisonnable.

— Alors, pourquoi faites-vous en sorte qu’ils aient peur ?

Quand elle était en colère, Samia de Fife bégayait légèrement. Vous les avez placés sous la garde de trois énormes marins armés de fulgurants, les malheureux. Je ne l’oublierai pas, capitaine.

C’est certain : elle ne l’oubliera pas, songea Racety. Il sentait qu’il commençait à céder.

— Votre Seigneurie voudrait-elle me dire exactement ce qu’elle désire ?

— C’est simple. Je vous l’ai déjà expliqué. Je veux leur parler. Si, comme vous le prétendez, ce sont des Floriniens, ils peuvent me fournir des informations infiniment précieuses pour mon livre. Mais s’ils sont trop effrayés, je n’en tirerai rien. En revanche, si je suis seule avec eux, tout ira bien. Seule. Capitaine ! Etes-vous capable de comprendre ce petit mot ? Seule.

— Et que dirai-je à votre père s’il apprend que je vous ai autorisée à rester sans protection en présence de deux criminels aux abois, Votre Seigneurie ?

— Des criminels aux abois ! Que l’Espace m’emporte ! Deux pauvres imbéciles qui, pour essayer de s’enfuir de leur planète, n’ont rien trouvé de plus malin que d’embarquer sur un navire sarkite ! D’ailleurs, comment voulez-vous que mon père le sache ?

— S’ils vous font du mal, il le saura.

— Pourquoi me feraient-ils du mal ? – Elle brandit un petit poing frémissant et jeta, mettant dans sa voix jusqu’au dernier atome d’énergie qu’elle pouvait rassembler : – Je l’exige, capitaine !

— Je vais vous faire une proposition, Votre Seigneurie. Je vous accompagnerai. Il ne s’agira pas de trois marins armés mais d’un seul homme qui n’aura pas de fulgurant apparent, Sinon… – A son tour, le capitaine s’exprimait d’un ton résolu. – sinon, je ne ferai pas droit à votre demande.

— Eh bien, soit ! murmura Samia dans un souffle. Soit. Mais si je n’arrive pas à les faire parler à cause de vous, je veillerai personnellement à ce que l’on ne vous confie plus jamais le commandement d’un astronef.

Quand Samia pénétra dans l’entrepont, Valona se hâta de poser la main sur les yeux de Rik.

— Qu’y a-t-il, ma fille ? lança Samia d’une voix sèche, se rappelant trop tard qu’il fallait employer un autre ton pour mettre le couple en confiance.

— Il n’est pas intelligent, Votre Seigneurie, répondit la Florinienne qui avait du mal à parler. Il ne sait pas que vous êtes une Haute Dame et il aurait pu vous regarder. Sans penser à mal, Votre Seigneurie.

— Qu’il me regarde s’il en a envie ! Faut-il qu’ils restent enfermés là, capitaine ?

— Voudriez-vous qu’on leur donnât une cabine de luxe, Votre Seigneurie ?

— Vous auriez sûrement pu trouver un endroit moins sinistre.

— Il vous parait sinistre, Votre Seigneurie, mais je ne doute pas qu’il soit luxueux à leurs yeux. Il y a de l’eau courante. Demandez-leur s’il y avait de l’eau courante dans le gourbi qu’ils habitaient sur Florina.

— Dites à ces hommes de disparaître.

Le capitaine fit un signe aux trois marins qui sortirent d’un pas souple.

Racety déplia le léger fauteuil d’aluminium qu’il avait apporté, et Samia y prit place.

— Debout ! ordonna-t-il brutalement à Valona et à Rik.

Samia le coupa net :

— Non ! Qu’ils restent assis. Vous n’avez pas voix au chapitre capitaine. – Elle se tourna vers Valona. – Vous êtes donc florinienne, ma fille ?

Valona eut un geste de dénégation.

— Nous sommes de Wotex.

— Inutile d’avoir peur. Que vous soyez florinienne n’a aucune importance. Nul ne vous maltraitera.

— Nous sommes de Wotex.

— Ne voyez-vous pas que vous avez pratiquement avoué que vous êtes florinienne ? Pourquoi avez-vous caché les yeux de ce garçon ?

— Il est interdit de regarder une Haute Dame en face.

— Même quand on est de Wotex ?

Valona demeura muette.

Samia la laissa réfléchir un instant, s’efforçant d’arborer un sourire aimable, avant de poursuivre :

— C’est seulement aux Floriniens qu’il est interdit de poser le regard sur une Haute Dame. Vous voyez bien que vous avez avoué que vous êtes de Florina.

— Pas lui ! s’écria Valona.

— Mais vous ?

— Oui, je suis florinienne. Mais lui n’est pas un Florinien. Ne lui faites rien. C’est la vérité. Il n’est pas florinien. On l’a trouvé, un jour. Je ne sais pas d’où il venait mais il n’est pas florinien.

A présent, son débit était presque volubile.

Samia la considéra d’un air-légèrement surpris.

— Bien. Je vais lui parler. Comment vous appelez-vous, mon garçon ?

Rik la regardait en écarquillant les yeux. C’était donc cela une Ecuyère ? Cette femme était toute petite. Et aimable. Et qu’elle sentait bon ! Il était très heureux qu’elle le laissât la regarder.

— Comment vous appelez-vous, mon garçon ? répéta Samia. Rik revint à la réalité mais il eut toutes les peines du monde à former le son monosyllabique.

— Rik répondit-il enfin. Puis il réfléchit et corrigea Je crois que mon nom est Rik.

— Vous n’en êtes pas sûr ?

D’un geste tranchant de la main, Samia imposa silence à Valona qui, l’air navré, se préparait à intervenir.

Rik secoua la tête.

— Je ne sais pas.

— Etes-vous florinien ?

Cette fois, Rik fut catégorique.

— Non. J’étais sur un navire. Je venais d’ailleurs.

Il ne pouvait pas s’arracher à la contemplation de Samia mais il lui semblait qu’elle se confondait avec ce navire. Un petit navire. Accueillant et intime.

— Je suis arrivé sur Florina à bord d’un navire. Avant, je vivais sur une planète.

— Quelle Planète ?

C’était comme si le souvenir se frayait péniblement sa voie le long de filières mentales trop étroites. Mais, soudain, la mémoire lui revint et ce fut avec délice que Rik entendit le vocable depuis si longtemps oublié jaillir de ses lèvres :

— La Terre ! Je viens de la Terre.

— La Terre ?

Rik confirma d’un signe de tête.

Samia se tourna vers l’officier.

— Où est située cette planète ? demanda-t-elle.

— Racety eut un bref sourire.

Je n’en ai jamais entendu parler. Ne prenez pas les propos de ce garçon au sérieux, Votre Seigneurie. Les indigènes mentent comme ils respirent. C’est naturel chez eux. Il vous dit la première chose qui lui passe par la tête.