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Steen eut l’air flatté par cette approbation.

— Je ne demande pas mieux que de m’expliquer sur-le-champ répliqua Fife. Vous avez sans doute entendu parler des troubles qui ont récemment eu lieu sur Florina ?

— Les dépêches du Depsec font état de l’assassinat de plusieurs patrouilleurs, dit Rune. C’est à cela que vous faites allusion ?

Bort l’interrompit pour jeter d’un ton rageur :

— Puisque conférence il y a, parlons-en donc. On a tué deux patrouilleurs ? Ils méritent qu’on les tue. Voulez-vous dire qu’un indigène peut tout simplement s’approcher d’un patrouilleur et lui cabosser le crâne d’un coup de matraque ? Comment un patrouilleur – n’importe quel patrouilleur – peut-il laisser un indigène – n’importe quel indigène – armé d’une matraque s’approcher assez près de lui pour l’assommer ? Pourquoi l’indigène en question n’a-t-il pas été abattu à vingt pas d’une giclée de fulgurant ? Par Sark, je secouerai la Patrouille du plus haut gradé à la dernière recrue ! Le service dans l’espace, voilà ce que méritent ces abrutis ! La Patrouille florinienne n’est rien de plus qu’un tas de lard. Il faudrait décréter la loi martiale tous les cinq ans pour liquider les agitateurs. Comme cela, les indigènes se tiendraient tranquilles et nos hommes resteraient vigilants.

— Avez-vous terminé ? demanda Fife.

— Pour le moment, oui. Mais nous en reparlerons. Moi aussi, j’ai des intérêts là-bas, vous savez. Ils sont peut-être moins vastes que les vôtres, Fife, mais ils sont quand même suffisamment importants pour que je m’en inquiète.

Fife haussa les épaules et se tourna brusquement vers Steen.

— Et vous ? Avez-vous entendu parler de ces incidents ?

Steen sursauta.

— Oui. C’est-à-dire que je viens d’entendre ce que vous…

— Vous n’avez pas lu les rapports du Depsec ?

— Eh bien, sur ma parole… – Steen parut soudain passionné par ses ongles, longs et effilés, délicatement recouverts d’un enduit cuivré. – Je n’ai pas toujours le temps de lire absolument tous les rapports. Je ne pensais pas que c’était une obligation qui m’était imposée. En fait. – Steen prit son courage à deux mains et regarda Fife dans les yeux. – … en fait, je ne savais pas que c’était vous qui promulguiez les règles. Ma parole !

— Je n’ai rien promulgué. Toutefois, puisque vous êtes, vous tout au moins, dans l’ignorance de cette affaire, je vais vous résumer les faits. Cela pourra d’ailleurs également intéresser les autres.

« Rapportés en quelques mots, les événements des dernières quarante-huit heures paraissaient étonnamment banals. Tout d’abord, quelqu’un avait demandé de façon imprévue des ouvrages traitant de l’analyse spatiale. Puis, un patrouilleur à la retraite avait reçu un coup sur la tête et était mort deux heures plus tard d’une fracture du crâne. Puis il y avait eu une chasse à l’homme qui avait tourné court, les fugitifs s’étant réfugiés chez un agent trantorien – asile inviolable. Puis, à l’aube, ç’avait été le meurtre d’un autre patrouilleur dont l’agresseur avait revêtu l’uniforme pour échapper à ses poursuivants et, un peu plus tard, l’agent trantorien était mort à son tour.

« Si vous voulez les toutes dernières nouvelles, voici encore un détail à ajouter à ce catalogue de faits en apparence insignifiants, conclut Fife. Il y a quelques heures, on a découvert un cadavre – ou, plus exactement, ce qu’il en restait – dans le Parc de la Cité de Florina.

— Le cadavre de qui ? demanda Rune.

— Un instant, je vous prie. A côté de ce cadavre, on a trouvé un tas de cendres qui semblaient être les restes de vêtements carbonisés. Quelqu’un avait pris soin de récupérer tous les objets de métal mais l’analyse a révélé que c’était un uniforme de patrouilleur qui avait brûlé de la sorte.

— La victime était-elle notre ami l’imposteur ? s’enquit Balle.

— C’est peu vraisemblable. Qui l’aurait tué en secret ?

— Il s’est suicidé, siffla Bort. Combien de temps cette crapule pouvait-elle espérer conserver la liberté ? J’imagine qu’il a choisi la mort la plus douce. Personnellement, j’aimerais savoir à qui, dans la Patrouille, incombe la responsabilité de l’avoir laissé se suicider et je remettrais aux intéressés un fulgurant. Avec une seule charge.

— Je ne crois pas à la théorie du suicide, rétorqua Fife. Il aurait fallu qu’après s’être fait justice notre homme ait enlevé son uniforme, l’ait brûlé et se soit enfin débarrassé des boucles et des insignes. Ou alors, il a commencé par se déshabiller et par brûler sa tenue, il a récupéré les insignes, quitté la grotte, nu ou en sous-vêtements, pour les faire disparaître ; après quoi, il y est retourné et s’est donné la mort.

— Le corps était dans une grotte ? demanda Bort.

— Oui, dans une des grottes d’agrément du Parc.

— Il a donc eu tout son temps et il a pu opérer en toute tranquillité, s’exclama Bort avec un accent belliqueux. – Il détestait renoncer à une théorie. – Il a pu se défaire de ses insignes en un premier temps et ensuite…

Fife l’interrompit pour lui demander avec ironie :

— Avez-vous déjà essayé d’arracher la passementerie d’un uniforme de patrouilleur ? Et si le corps était celui de l’imposteur, quel motif pouvez-vous proposer pour expliquer son acte ? D’ailleurs, j’ai un rapport d’autopsie. D’après l’examen des os, le cadavre n’est ni celui d’un patrouilleur ni celui d’un Florinien. Le mort était un Sarkite.

— Ma parole ! s’écria Steen.

Balle écarquilla les yeux. Rune referma la bouche et ses dents métalliques, qui, de temps à autre, accrochaient un reflet de lumière apportant un frémissement de vie dans le cube d’ombre à l’intérieur duquel il se tenait, disparurent. Bort lui-même était médusé.

— Vous me suivez ? reprit Fife. Comprenez-vous maintenant pourquoi les parties métalliques de l’uniforme ont été enlevées ? L’assassin voulait que l’on croie que les vêtements brûlés étaient ceux du Sarkite qu’il avait tué. Le meurtre aurait alors passé pour un suicide ou pour un règlement de comptes entre particuliers sans aucun rapport avec notre ami le pseudo-patrouilleur. Mais il ne savait pas que l’analyse des cendres permettrait de différencier le kyrt d’un costume sarkite de la cellulose d’un uniforme de patrouilleur, même privé de ses ornements de métal. Un Sarkite mort et un uniforme de patrouilleur brûlé… Une seule supposition est possible : il y a quelque part dans la Cité Haute un Prud’homme vivant déguisé en Sarkite. Notre Florinien ayant joué assez longtemps le rôle de patrouilleur et estimant que le danger était trop grand, qu’il grandissait de plus en plus, a décidé de se métamorphoser en Écuyer. Et il n’avait qu’un seul moyen de parvenir à ses fins.

— L’a-t-on arrêté ? s’informa Bort d’une voix pâteuse.

— Non.

— Comment cela se fait-il, au nom de Sark ?

— On l’arrêtera, laissa tomber Fife sur un ton indifférent. Pour l’instant, nous avons des choses plus importantes à débattre. Par comparaison, cette dernière atrocité n’est qu’une broutille.

— Allez au fait ! le supplia Rune.

— Un peu de patience ! Je voudrais d’abord savoir si vous vous souvenez de ce spatio-analyste qui a disparu depuis un an ? Steen émit un petit rire nerveux.

— Encore cette histoire ? murmura Bort avec un mépris infini.

— Y a-t-il un lien entre les deux choses ou va-t-il encore falloir revenir en long et en large sur cette horrible affaire de l’an passé ? s’exclama Steen. Je suis fatigué !

Fife ne s’émut pas.

— L’explosion d’hier et d’avant-hier a commencé après qu’on eut demandé des ouvrages de spatio-analyse à la bibliothèque de Florina. Le lien me paraît amplement suffisant. Voyons si je ne réussirai pas à vous convaincre de cette évidence. Je commencerai par décrire les trois personnes impliquées dans l’incident de la bibliothèque et je vous serai reconnaissant de ne pas m’interrompre.