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« D’abord, le Prud’homme. C’est l’homme dangereux du trio. Excellent dossier : un élément intelligent et loyal, disent les archives. Malheureusement, il s’est retourné contre nous. Il ne fait pas de doute qu’il soit l’auteur des quatre crimes actuellement connus. Un joli record pour n’importe qui ! Compte tenu qu’il y a deux patrouilleurs et un Sarkite parmi ses victimes, ce bilan est remarquable pour un indigène. C’est incroyable… Et il est toujours en liberté.

« En numéro deux, nous avons une Florinienne. Sans instruction et totalement insignifiante. Toutefois, l’enquête fouillée qui se poursuit depuis deux jours afin d’élucider tous les aspects de cette affaire nous a permis de reconstituer son passé. Ses parents étaient membres de « l’Ame du Kyrt », si quelqu’un se rappelle encore cette ridicule conspiration paysanne qui a été liquidée sans difficulté il y a une vingtaine d’années.

« Reste le troisième individu. Le plus étonnant. Employé comme manœuvre dans une filature. Par-dessus le marché, c’était un demeuré.

Bort s’ébroua et Steen émit à nouveau un gloussement de sa voix haut perchée. Les yeux de Balle demeurèrent clos. Rune ne fit pas un mouvement dans son cube de nuit.

Je n’emploie pas le terme de « demeuré » au sens figuratif. Le Depsec n’a pas ménagé sa peine mais il n’a pu reconstituer que la toute dernière période de son existence. L’homme en question a été découvert il y a dix mois et demi dans un village voisin de la métropole florinienne. Il était dans un état de crétinisme intégral. Incapable de marcher, incapable de parler. Incapable, même, de se nourrir.

« Vous remarquerez que son entrée en scène intervient quelques semaines après la disparition du spatio-analyste. Notez encore qu’en quelques mois il a appris à parler et a obtenu un emploi dans une filature. Étrange, cet idiot qui apprend aussi rapidement, vous ne trouvez pas ?

— Oh, s’il avait subi un bon lavage de cerveau, commença Steen sur un ton presque passionné, il aurait pu…

La phrase demeura en suspens. Fife lui adressa un regard sarcastique. Je ne vois personne qui fasse autant autorité sur ce point ! Toutefois, même sans l’avis éclairé de Steen, j’ai eu la même idée. C’était la seule explication possible. Or, il n’existe que deux endroits où ce lavage de cerveau aurait pu être effectué. Sur Sark ou dans la Cité Haute de Florina. Par acquit de conscience, les cabinets médicaux de la Cité Haute ont été contrôlés. On n’a retrouvé aucune trace de psycho-sondage clandestin. Mais un de nos agents a pris l’initiative d’examiner les dossiers des médecins morts postérieurement à l’apparition de notre simple d’esprit. Je veillerai à ce que cet agent reçoive l’avancement qu’il mérite. Nous avons en effet trouvé un dossier concernant le demeuré dans les archives d’un médecin décédé La femme qui constitue la deuxième personne du trio l’avait fait examiner six mois auparavant. Il semble qu’elle ait agi en secret car elle s’était absentée de son travail ce jour-là en excipant d’un tout autre prétexte. Le praticien a donc procédé à l’examen et a conclu de manière catégorique que le patient avait été sondé.

« Nous en arrivons maintenant à un point intéressant. Il s’agissait d’un médecin exerçant à la fois dans la Cité Haute et dans la Cité Basse, un de ces idéalistes qui estiment que les indigènes ont droit à une assistance médicale de premier ordre. Homme méthodique, il conservait les doubles de ses dossiers dans ses deux cabinets afin de s’épargner d’inutiles allées et venues en ascenseur. En outre, j’imagine que ses conceptions utopiques le poussaient à exclure toute ségrégation dans ses archives entre sa clientèle sarkite et sa clientèle florinienne. Or, le dossier de notre idiot n’existait qu’à un seul exemplaire. C’était le seul qui n’avait pas de duplicata.

« Pourquoi ? Si, pour une raison quelconque, le médecin avait décidé de ne pas garder de double de ce dossier particulier, pourquoi celui-ci a-t-il été découvert dans le cabinet de la Cité Haute alors qu’il aurait logiquement dû se trouver dans celui de la Cité Basse ? Après tout, le client était florinien. Il avait été conduit par une Florinienne. C’était dans la Cité Basse qu’avait eu lieu la consultation. Toutes ces données sont clairement indiquées dans les documents saisis.

— Il n’y a qu’une seule réponse pour résoudre le mystère. Le dossier a été dûment enregistré en partie double mais l’original conservé dans les archives de la Cité Basse a été détruit par quelqu’un qui ignorait l’existence d’un duplicata dans la Cité Haute.

« Poursuivons… A ce dossier était jointe une note dépourvue d’ambiguïté précisant que le médecin signalerait ce cas dans son prochain rapport de routine destiné au Depsec. Processus parfaitement normal puisque tout individu ayant été soumis à la psycho-sonde peut être un criminel ou un agitateur subversif. Mais ce rapport n’a jamais été rédigé. Au cours de la même semaine, le médecin mourut des suites d’un accident de la circulation. Les coïncidences se multiplient de façon invraisemblable, n’est-ce pas ?

Balle ouvrit les yeux et murmura :

— C’est un roman policier que vous êtes en train de nous raconter.

— Oui, répondit Fife avec satisfaction. Un roman policier. Et, pour l’instant, c’est moi le détective.

— Qui est l’accusé ? reprit Balle d’une voix lasse.

— Attendez. Laissez-moi encore un peu jouer au détective.

Au cœur de ce qu’il considérait comme la crise la plus grave qu’eût jamais affrontée Sark, Fife s’apercevait subitement qu’il s’amusait follement.

— Prenons l’histoire par un autre bout, poursuivit-il. Oublions pour le moment le simple d’esprit et revenons au spatio-analyste. Nous entendons pour la première fois parler de lui lorsqu’il signale au Bureau des Transports qu’il se prépare à atterrir. Un message antérieur accompagne cette notification.

« Le spatio-analyste n’atterrit pas. On ne le localise nulle part dans l’espace proche. De plus, son message au Bureau des Transports disparaît. Le B.I.A.S. soutient que nous l’avons délibérément étouffé. Le Depsec croit de son côté que ce message est un faux forgé par les gens du B.I.A.S. pour des raisons de propagande. Je pense à présent que tous deux étaient dans l’erreur. Le message à bien été expédié mais il n’a pas été étouffé par le gouvernement sarkite.

« Nous allons maintenant inventer un personnage que nous appellerons pour le moment X. X a accès aux archives du Bureau des Transports. Il prend connaissance du message du spatio-analyste. X est quelqu’un d’astucieux et il sait agir vite. Il s’arrange pour envoyer au spatio-analyste un sub-éthergramme secret lui donnant pour instructions de se poser sur un petit astrodrome privé. L’autre obtempère et X le rencontre.

« Il s’est muni du message annonciateur de catastrophes. Il peut y avoir deux raisons à cela. En premier lieu, l’élimination d’un indice brouillerait les pistes en cas d’enquête. En outre, le message pourrait peut-être servir à capter la confiance du spatio-analyste. Si celui-ci estimait ne devoir parler qu’à ses supérieurs comme c’est plausible, X a pu espérer qu’il le persuaderait de lui ouvrir son cœur en lui prouvant qu’il était déjà au courant de l’essentiel.

« Le spatio-analyste a parlé, c’est certain. Si incohérent, démentiel et, d’une façon générale, invraisemblable qu’ait été son récit, X jugea que ce dernier constituait un excellent instrument de propagande. Il a envoyé sa lettre de chantage aux Grands Écuyers – à nous. Il est probable qu’il escomptait que les choses se passeraient comme elles se sont précisément passées : sa missive serait attribuée aux Trantoriens. Si nous n’acceptions pas de négocier, il avait l’intention de perturber la production florinienne par une campagne de rumeurs jusqu’au moment où nous serions contraints de capituler.