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— Il ne fait pas de doute que les Sarkites savaient que Khorov était un de nos agents, poursuivit Abel. Peut-être connaissent-ils d’autres hommes qui travaillent pour nous sur Florina. Mais ce n’est que du menu fretin. Les Sarkites ne l’ignoraient pas et ils n’ont jamais jugé utile de prendre des mesures contre eux. Ils se bornaient à les surveiller.

— Ils en ont tué un, lui rappela Junz.

— Non. C’est un des amis du spatio-analyste, déguisé en patrouilleur, qui a tiré.

Junz ouvrit de grands yeux.

— Je ne comprends pas, murmura-t-il.

— C’est une histoire assez compliquée. Voulez-vous partager mon petit déjeuner ? Je meurs de faim.

Tout en prenant le café, Abel narra les événements qui avaient marqué les dernières trente-six heures.

Junz était abasourdi. Il reposa sa tasse à moitié pleine et l’oublia complètement.

— Même en admettant qu’ils se soient introduits précisément à bord de ce navire-là, le fait demeure qu’ils n’ont peut-être pas été repérés. Si vous envoyez des gens à vous à leur rencontre quand l’astronef atterrira…

— Allons donc ! Vous savez aussi bien que moi qu’un navire moderne ne peut manquer de déceler un excès de chaleur corporelle !

— Il se peut que le phénomène soit passé inaperçu. Les instruments sont peut-être infaillibles, pas les hommes.

— Vous prenez vos désirs pour des réalités. Sachez que d’après les rapports tout à fait dignes de foi, tandis que le vaisseau à bord duquel se trouve le spatio-analyste approche de Sark, l’Écuyer de Fife est en conférence avec les autres Grands Écuyers. Ces conférences intercontinentales sont généralement aussi espacées que les étoiles de la galaxie. Croyez-vous que ce soit une coïncidence ?

— Une conférence intercontinentale à propos d’un spatio-analyste ?

— Le sujet est insignifiant en soi, c’est vrai. Mais nous lui avons fait acquérir de l’importance. Le Bureau interstellaire d’Analyse spatiale recherche cet homme depuis un an avec une remarquable obstination.

— Pas le Bureau, objecta Junz. Moi. J’ai travaillé d’une manière quasi officieuse.

— Les Écuyers n’en savent rien et, si vous le leur disiez, ils ne vous croiraient pas. De plus, Trantor s’est intéressé à l’affaire.

— Sur ma demande.

— Cela aussi ils l’ignorent, et ils ne vous croiraient pas davantage.

Junz se leva et sa chaise s’éloigna automatiquement d’e la table. Les mains nouées derrière le dos, il se mit à faire les cent pas. De temps en temps, il décochait un coup d’œil dépourvu d’aménité à Abel qui remuait sa seconde tasse de café sans émotion apparente.

— Comment êtes-vous au courant de tout cela ? demanda le représentant du B.I.A.S.

— Qu’entendez-vous par tout cela ?

— Comment et pourquoi le spatio-analyste s’est évadé. De quelle façon le Prud’homme a échappé à ses poursuivants. Avez-vous l’intention de me faire prendre des vessies pour des lanternes ?

— Mon cher ami…

— Vous avez reconnu que vous avez lancé vos agents aux trousses du spatio-analyste à mon insu. Vous avez fait en sorte que je ne sois pas sur votre chemin cette nuit afin d’avoir les coudées franches. Vous ne vouliez pas prendre de risques.

Soudain, Junz se rappela cette odeur de somnine…

— Je suis resté toute la nuit en contact avec certains de mes agents, Docteur Junz. Ce que j’ai fait et appris entre sous la rubrique… comment dirais-je ?… renseignements confidentiels. Il fallait que vous soyez sur la touche et, en même temps, que votre sécurité soit assurée. Ce sont justement les informations recueillies au cours de la nuit que je viens de vous révéler.

— Pour en savoir aussi long, il faudrait que vous ayez des espions au sein du gouvernement sarkite lui-même !

— Naturellement.

Junz pivota sur ses talons et fit face à l’ambassadeur.

— Allons donc !

— Cela vous surprend ? Certes, la stabilité du gouvernement sarkite et la loyauté de la population sont proverbiales. Cela s’explique bien simplement : le plus pauvre des Sarkites est un seigneur en comparaison des Floriniens et il peut se considérer, bien que ce ne soit qu’une illusion, comme un membre de la classe dirigeante.

Toutefois, n’oubliez pas que Sark n’est pas une planète de milliardaires en dépit de ce que pense la quasi-totalité de la galaxie. Il y a un an que vous y résidez et vous avez dû le constater. Quatre-vingts pour cent de la population possède un niveau de vie égal à celui des habitants des autres planètes et guère plus élevé que celui des Floriniens eux-mêmes. Il y aura toujours un certain nombre de Sarkites nécessiteux que l’opulence où nage une petite minorité de leurs compatriotes exaspérera suffisamment pour qu’ils acceptent de servir mes desseins.

« C’est là la faiblesse majeure du gouvernement sarkite depuis des siècles, la notion de rébellion se cristallise sur Florina, et elle seule. Le régime au pouvoir a oublié de veiller au grain à l’intérieur.

— Ces petits Sarkites, à supposer qu’ils existent, ne peuvent pas vous rendre beaucoup de services.

— Individuellement, non. Mais, collectivement, ils constituent des instruments utiles entre les mains de gens de plus grande importance. Il y a même dans la classe dominante – celle qui règne réellement – des hommes qui ont tiré la leçon des événements des deux siècles précédents et qui la savent par cœur. Ceux-là sont convaincus et je crois qu’ils ont raison, que Trantor finira par imposer sa loi à l’ensemble de la galaxie. Ils vont jusqu’à songer qu’ils verront de leur vivant s’établir l’hégémonie de Trantor et ils préfèrent être par avance dans le camp victorieux.

Junz fit une grimace.

— A vous entendre, on a l’impression que la politique interstellaire est quelque chose de fort peu ragoûtant.

— Je ne dis pas non mais il ne suffit pas de désapprouver la saleté pour qu’elle disparaisse. D’ailleurs, tout n’est pas uniformément malpropre. Il existe des idéalistes. Il y a une poignée de gens appartenant au gouvernement sarkite qui se sont mis au service de Trantor non par appât du gain ni par ambition personnelle, mais parce qu’ils croient en conscience que l’unification galactique est la meilleure solution pour l’humanité et que seul Trantor est capable d’instaurer un gouvernement unifié. Le meilleur de mes agents est de cet avis. Il appartient au Département de la Sécurité. A l’heure actuelle, il escorte le Prud’homme.

— Vous m’avez dit qu’il avait été arrêté, celui-là ?

— Par le Depsec, oui. Mais l’homme dont je vous parle travaille pour moi.

— Abel plissa le front et une ombre passa sur ses traits.

— Après cette affaire, son efficacité sera fortement réduite. Quand le Prud’homme aura échappé à sa surveillance, bien heureux s’il est simplement rétrogradé et si on ne le jette pas en prison. Tant pis !

— Quels sont vos projets dans l’immédiat ?

— Ils sont vagues. D’abord, il faut que nous récupérions le Prud’homme. Je ne suis sûr de lui que jusqu’au moment où il atteindra l’astrodrome. Ce qui se passera ensuite.

Abel haussa les épaules et sa peau ridée et jaunâtre se tendit comme un parchemin sur ses pommettes.

— Les Écuyers l’attendront eux aussi, ajouta-t-il. Ils s’imaginent qu’il est en leur pouvoir. Rien d’imprévu ne peut survenir tant qu’il ne sera pas entre nos mains ou entre les leurs.

Mais Abel était dans l’erreur.

Théoriquement, toutes les ambassades étrangères de la galaxie bénéficiaient d’un droit d’extra-territorialité couvrant le terrain avoisinant les bâtiments diplomatiques. En général, il ne s’agissait là que d’un vœu pieux sauf lorsque la puissance de la planète mère forçait le respect. Dans la pratique, seul Trantor pouvait réellement assurer l’indépendance de ses représentants.