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« En tout cas, une chose saute aux yeux : il s’en sert pour nous ruiner, nous, et pour devenir le dictateur de Sark. Vous ne trouvez pas que c’est évident ?

« X n’existe pas mais, si on n’y met pas le holà, demain les émissions sub-éthériques seront pleines d’ordres du jour et de déclarations d’urgence dénonçant complots et conspirations, et Fife se nommera Chef. Il n’y a plus de Chef sur Sark depuis cinq cents ans mais cela ne l’arrêtera pas. Il suspendra la constitution, voilà tout. Ma parole !

« Seulement, j’ai l’intention de l’en empêcher. C’est pour ça que je suis parti. Si j’étais resté à Steen, il m’aurait fait placer en résidence surveillée.

« Dès que la conférence a été terminée, j’ai vérifié. Eh bien, mon astrodrome privé était aux mains de ses hommes ! C’est une violation ouverte de l’autonomie continentale… Une gredinerie… Ma parole ! Mais il a beau être une crapule, il n’est pas si malin que ça. Il pensait que les uns ou les autres pourraient quitter la planète et il a, en conséquence, fait surveiller les astrodromes Mais… – Steen prit un air matois et un gloussement spectral s’échappa de ses lèvres – … mais il n’a pas songé aux gyroports. Il s’était probablement dit que nous ne trouverions nulle part de refuge sur Sark. Moi, j’ai songé à l’ambassade trantorienne. Pas les autres. D’ailleurs, ils me fatiguent. Surtout Bort. Vous le connaissez, Bort ? D’un grossier ! Réellement immonde ! A l’entendre, il y aurait quelque chose d’anormal à être propre et à sentir bon.

Steen se pinça le nez et respira doucement.

Abel posa légèrement la main sur le poignet de Junz qui s’agitait sur son siège.

— Vous avez laissé votre famille derrière vous, dit l’ambassadeur. Vous n’avez pas songé qu’elle constituait une arme contre vous entre les mains de Fife ?

Steen rougit imperceptiblement.

— Je ne pouvais guère entasser tous mes petits mignons dans un gyro. Et Fife n’osera pas les toucher. N’importe comment, je serai de retour demain.

— Comment cela ?

L’Écuyer dévisagea Abel avec ahurissement.

— Je vous propose mon alliance, Excellence. Vous n’allez pas me dire que Trantor se désintéresse de Sark. Je ne doute pas que vous ferez savoir à Fife que toute tentative visant à modifier la constitution obligerait Trantor à intervenir.

— Je vois mal comment cela pourrait se faire même si j’avais l’accord de mon gouvernement.

— Comment cela pourrait-il ne pas se faire, plutôt ! s’exclama Steen avec indignation. Si Fife s’assure le contrôle de toute la production du kyrt, il fera monter les prix, il exigera des concessions pour garantir la rapidité de la livraison… toutes sortes de choses.

— Les cinq Grands Écuyers n’ont-ils pas actuellement la haute main sur les prix ?

Steen se pencha en arrière.

— Ma parole, je ne connais pas tous les détails ! Dans deux minutes, vous allez me demander des chiffres. Seigneur ! Vous valez Bort ! – Se ressaisissant, il eut un petit rire nerveux et reprit : – Je plaisante, bien sûr. Ce que je voulais dire est que, une fois Fife éliminé, un arrangement entre Trantor et nous quatre deviendrait possible. En échange de son aide, il ne serait que juste d’accorder à Trantor un traitement préférentiel, voire de petits dividendes.

— Mais comment empêcherons-nous qu’une intervention ne dégénère en conflit galactique ?

— Parole, c’est pourtant clair comme le jour ! Vous ne seriez pas agresseurs. Vous vous bornerez à prévenir une guerre civile qui bouleverserait le commerce du kyrt. J’annoncerai que j’ai réclamé votre assistance. L’accusation d’agression tombera d’elle-même. Toute la galaxie sera avec vous. Et si, ensuite, Trantor en tire un bénéfice, cela ne regarde personne. Ma parole…

Abel se perdit dans la contemplation de ses mains croisées.

— Je ne puis croire que vous songiez réellement à vous coaliser avec Trantor.

Une lueur de haine brilla un instant dans le regard de Steen qui laissa tomber avec un sourire crispé.

— Mieux vaut Trantor que Fife.

— Menacer d’employer la force ne me plaît guère, dit l’ambassadeur. Ne vaudrait-il pas mieux attendre, laisser la situation évoluer…

Steen le coupa :

— Non ! Non ! Il ne faut pas attendre un jour de plus, ma parole. Si vous n’agissez pas tout de suite avec fermeté, il sera trop tard après. Lorsque le sursis de vingt-quatre heures sera écoulé, Fife ne pourra plus faire marche arrière sans perdre la face. Accordez-moi immédiatement votre aide et la population de Steen sera derrière moi, les autres Grands Écuyers se rallieront. Si vous tergiversez ne serait-ce qu’un-seul jour, la propagande de Fife commencera d’agir. On me noircira, on me fera passer pour un renégat. Parole ! Moi… Moi… un renégat ! Il fera appel aux préjugés antitrantoriens et, sans vouloir vous offenser, ils pèsent lourd.

— Et si nous lui demandions de nous autoriser à nous entretenir avec le spatio-analyste ?

— A quoi cela avancerait-il ? Ce serait un cercle vicieux. Il nous dirait que le simple d’esprit florinien est un spatio-analyste mais il vous dirait à vous que le spatio-analyste est un Florinien simple d’esprit. Vous ne connaissez pas cet homme. Il est terrible !

Abel réfléchit à l’argument en fredonnant doucement, son index battant la mesure. Enfin, il prit la parole :

— Vous savez que le Prud’homme est entre nos mains ?

— Quel Prud’homme ?

— Celui qui a assassiné les patrouilleurs et le Sarkite.

— Oh ! ma parole… Croyez-vous que Fife s’en souciera quand la question qui se pose pour lui est de devenir le seul maître de Sark ?

— Oui, je le crois. Voyez-vous, ce qui compte, ce n’est pas que le Prud’homme soit entre nos mains. Ce sont les circonstances de sa capture. Je crois que Fife m’écoutera, messire. Et qu’il m’écoutera avec la plus grande humilité.

Pour la première fois depuis qu’il le connaissait, Junz remarqua que quelque chose vibrait dans la voix du vieil homme. L’équivalent d’un sentiment de satisfaction. Presque de triomphe.

CHAPITRE XV

LE CAPTIF

Il était assez inhabituel pour Samia de Fife de se sentir frustrée. Or, il y avait des heures que sa volonté était contrariée. C’était sans exemple. C’était même inconcevable.

Le capitaine Racety était maintenant le commandant du port. Il était poli, presque obséquieux, il avait l’air embarrassé, il se répandait en regrets, il affirmait ne pas avoir la moindre intention de la contredire mais il se montrait d’une inflexibilité d’airain dans son refus d’accéder à ses désirs – des désirs qu’elle exprimait sans ambages.

En désespoir de cause, Samia dut se résoudre à exciper de ses droits comme une vulgaire Sarkite.

— J’imagine que j’ai le droit, en tant que citoyenne, d’attendre l’arrivée de n’importe quel navire si je le souhaite, fit-elle d’une voix acerbe.

Le capitaine s’éclaircit la gorge et l’expression chagrine qui s’était peinte sur son visage parut s’intensifier encore.

— En fait, Votre Seigneurie, finit-il par répondre, nous ne voulons absolument pas vous tenir à l’écart. Seulement, l’Écuyer votre père nous a catégoriquement ordonné de vous interdire d’aller à la rencontre de ce navire.