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— Quelle différence cela fait-il ?

— Pour vous, elle est immense. Je me poserai dans le silo d’atterrissage le plus proche de la sortie est. Dès que nous aurons atterri, vous sortirez par le sas de secours à l’arrière. Vous vous dirigerez vers la sortie en marchant vite… mais quand même pas trop vite. Je vous remettrai un coupe-file qui, peut-être, vous permettra de ne pas avoir de difficultés pour sortir. Peut-être, mais je ne vous garantis rien. S’il y a des pépins, l’initiative vous appartiendra. Compte tenu des récents événements, j’estime que je peux vous faire confiance, sur ce point tout au moins. Une voiture vous attendra. Elle vous conduira à l’ambassade. C’est tout.

— Et vous, qu’allez-vous faire ?

Lentement, la masse informe qu’était Sark – un amalgame de bruns, de verts, de bleus enrobés de nuages blancs – devenait une surface plus vivante, entrecoupée de fleuves, hérissée de montagnes.

Genro eut un sourire sec et dépourvu d’humour.

— Après votre évasion, je peux être exécuté comme traître. Si l’on me découvre réduit à l’impuissance, donc physiquement incapable d’avoir pu vous empêcher de prendre la fuite, il se peut que l’on se contente de me rétrograder pour négligence de service. Cette dernière éventualité me paraît préférable. Aussi vous demanderai-je de faire usage de la neuromatraque avant votre départ.

— Savez-vous ce qu’est une neuromatraque ? demanda le Prud’homme.

— Parfaitement.

De petites gouttes de sueur perlaient sur les tempes de Genro.

— Comment pouvez-vous être sûr que je ne vous abattrai pas ensuite ? Après tout, je suis un assassin d’Écuyers.

— Je ne l’ignore pas. Mais cela ne vous avancerait pas. Ce serait une perte de temps pour vous. J’ai déjà couru des risques plus graves.

Sur l’écran, Sark s’élargissait ; le contour de son disque glissait hors du champ de vision et, sans cesse, son centre l’irradiait, fuyant vers l’extérieur. On distinguait vaguement l’arc-en-ciel d’une ville sarkite.

— J’espère que vous ne méditez pas de vous esquiver, poursuivit Genro. Pas sur Sark. Ou ce sera Trantor ou ce seront les Écuyers, souvenez-vous-en.

Une ville se dessinait maintenant avec précision sur la plaque optique. La tache d’un brun verdâtre que l’on apercevait à la limite de la cité devint un astrodrome qui se rapprochait lentement.

— Si vous ne vous rendez pas à Trantor dans une heure, vous serez aux mains des Écuyers avant la fin du jour. Je ne peux pas vous dire comment Trantor vous traitera mais je puis vous dire en revanche avec certitude quel sort vous attend chez les Écuyers.

Terens avait appartenu à l’administration civile. Il savait comment les Sarkites traiteraient un tueur d’Écuyers.

Genro ne regardait plus le port, à présent immobile sur l’écran. Penché sur ses instruments, il surveillait son rayon pilote. Le navire pivota avec lenteur pour prendre son attitude d’atterrissage, la poupe dirigée vers le bas. Quand il fut à la verticale du silo, les moteurs rugirent sur un registre aigu. Malgré les amortisseurs hydrauliques, Terens sentait leurs trépidations. Le vertige s’empara de lui.

— La matraque, maintenant, fit Genro. Vite ! Chaque seconde compte. Le sas de secours se refermera derrière vous. Il leur faudra cinq minutes pour s’étonner de ne pas me voir sortir, cinq autres minutes pour pénétrer à bord et encore cinq minutes pour vous trouver. Vous disposez donc d’un quart d’heure pour quitter le port et monter dans la voiture.

Les vibrations cessèrent, cédant la place à un pesant silence. Terens comprit que le yacht avait touché le sol de Sark. Le champ diamagnétique entra en action et le bâtiment s’inclina majestueusement sur le côté.

— Allez-y ! ordonna Genro.

Son uniforme était trempé de sueur.

La tête vide et les yeux hagards, Terens leva la neuromatraque !…

Terens frissonna : c’était l’automne, sur Sark. Pendant les années qu’il avait passées sur la planète, il avait presque oublié la douceur de l’éternel printemps florinien. A présent, les souvenirs remontaient à la surface de son esprit ; c’était comme s’il n’avait jamais quitté le monde des Écuyers et les rigueurs de son climat.

A ceci près qu’il était maintenant un fugitif recherché pour répondre du crime suprême : l’assassinat d’un Écuyer.

Il marchait au rythme de son cœur battant, laissant derrière lui le yacht à l’intérieur duquel Genro gisait, pétrifié par le coup de neuromatraque. Le sas s’était doucement refermé sur le Prud’homme.

Le fuyard suivait une large allée pavée. Tout autour de lui s’affairait une foule d’ouvriers et de mécaniciens. Chacun avait son propre travail, ses préoccupations personnelles. Nul ne s’interrompait pour dévisager un passant. Il n’y avait pas de raison à cela.

Quelqu’un l’avait-il vu se glisser hors du navire ?

Non, sûrement pas, sinon la meute hurlante se serait déjà élancée sur ses pas.

Il toucha son couvre-chef enfoncé jusqu’aux oreilles. Le petit médaillon qui y était maintenant fixé était lisse sous son doigt. Genro lui avait dit qu’il ferait office de signe de reconnaissance. Les gens de Trantor guetteraient le disque minuscule miroitant au soleil.

Terens pouvait l’enlever, prendre un autre chemin, essayer de pénétrer à bord d’un vaisseau… s’échapper d’une manière ou d’une autre… fuir Sark…

Il y avait beaucoup trop d’aléas. Au fond de lui-même, il savait que Genro avait raison : il était au pied du mur. C’était Trantor ou c’était Sark. Il haïssait et craignait Trantor mais Sark, il le savait, était un choix impossible.

— Hep ! Vous, là-bas !

Terens s’arrêta net. Glacé d’effroi, il leva les yeux. La sortie n’était plus qu’à une centaine de mètres. En courant… Mais on ne laisserait pas sortir un homme en train de courir. Il n’osait pas. Il ne fallait pas courir.

La jeune femme qui l’observait était dans une voiture. Une voiture comme Terens n’en avait jamais vu, même sur Sark où il avait vécu quinze ans. Une voiture étincelante de métal et de gemnite translucide.

— Approchez, dit la jeune femme.

Terens obéit, les jambes mollies. Une voiture de Trantor devait l’attendre devant l’astrodrome, avait dit Genro. C’était bien cela, non ? Et aurait-on confié à une femme une mission de ce genre ? Elle était brune et ravissante.

— Vous êtes arrivé avec le vaisseau qui vient d’atterrir, n’est-ce pas ?

Comme il gardait le silence, elle reprit d’une voix impatiente :

— Je vous ai vu en descendre ! (Elle tapota ses jumelles de polo, un instrument que Terens connaissait.)

Oui, murmura-t-il.

— Montez.

Elle ouvrit la portière. La voiture était encore plus luxueuse à l’intérieur. Les sièges étaient moelleux, le véhicule était neuf et sentait bon, la fille était splendide.

— Faites-vous partie de l’équipage ? demanda-t-elle.

C’est un test, songea Terens.

— Vous savez qui je suis, murmura-t-il en désignant le médaillon.

Sans bruit, la voiture fit demi-tour.

Quand elle atteignit la porte, Terens se recroquevilla au fond de son siège recouvert d’un frais capiton de kyrt mais il n’y eut pas d’anicroches. La conductrice se contenta de lancer d’un ton péremptoire :

— Je suis Samia de Fife. Cet homme m’accompagne.

Et ils passèrent.

Ce ne fut qu’au bout de quelques secondes que Terens, épuisé, comprit le sens de ces mots. Quand il sursauta, le corps tendu, la voiture filait déjà à cent soixante-dix de moyenne sur une voie express.

Un des employés de l’astrodrome se détourna et ses lèvres remuèrent tandis qu’il baissait la tête, approchant la bouche de son revers. Il rentra dans le bâtiment et se remit au travail. Le surveillant fronça les sourcils. Il faudrait signaler cette habitude qu’avaient les hommes de sortir pour griller une cigarette et de ne revenir qu’au bout d’une demi-heure.