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L’un des deux hommes assis dans la voiture qui attendait devant la sortie dit d’une voix chagrine :

— Il est monté dans une voiture avec une fille ! Quelle voiture ? Quelle fille ?

En dépit de son costume sarkite, il avait un accent arcturien prononcé. Arcturus faisait partie de l’empire trantorien.

Son compagnon, lui, était un Sarkite, un homme tout à fait au courant des questions d’information. Quand le véhicule en question eut franchi la grille et se fut engagé en accélérant le long de la rampe de raccordement à la voie express, il se leva à demi sur son siège, s’écriant :

— C’est la voiture de Demoiselle Samia ! Il n’y en a pas deux pareilles. Galaxie ! Qu’est-ce qu’on va faire ?

— La suivre, répondit laconiquement l’autre.

— Mais Demoiselle Samia…

— Je n’en ai rien à fiche. Et ça devrait être la même chose pour toi. Sinon, qu’est-ce que tu fais ici ?

Ils firent demi-tour et s’élancèrent sur la chaussée presque déserte conduisant au niveau de circulation réservé aux voitures rapides.

— Nous ne pourrons pas la rattraper, grommela le Sarkite. Dès qu’elle nous aura repérés, elle mettra toute la gomme. Cet engin-là tape le cinq cents.

— Pour le moment elle s’en tient à un petit deux cents de moyenne. – Après un silence, l’Arcturien ajouta : – Elle ne va pas au Depsec, ça, c’est indiscutable. – Quelques instants s’écoulèrent, puis il ajouta : – Elle ne se rend pas non plus au palais de Fife. Je veux bien être précipité dans l’espace si je sais où elle va ! Elle quitte la ville.

— Est-ce bien l’assassin qui est avec elle ? Et si c’était un traquenard ? Elle n’essaye pas de nous semer et elle n’aurait pas utilisé une voiture comme celle-là si elle ne voulait pas qu’on lui file le train. On la reconnaît à trois kilomètres.

— Je ne dis pas non, mais Fife ne se serait pas servi de sa propre fille pour se débarrasser de nous. Une escouade de patrouilleurs aurait suffi et s’en serait mieux tirée.

— Peut-être n’est-ce pas vraiment Sa Seigneurie.

— On va le savoir, mon vieux. Elle ralentit. Dépasse-la et arrête-toi après le virage.

— Je veux vous parler, dit la fille.

Terens jugea qu’il ne s’agissait pas du piège auquel il avait tout d’abord pensé. C’était vraiment la fille de Fife. Elle n’imaginait visiblement pas que quelqu’un puisse s’opposer à sa volonté.

Pas une seule fois elle ne s’était retournée pour observer si on les suivait. A plusieurs reprises, le Prud’homme avait remarqué une voiture derrière eux. Le véhicule gardait sa distance. Il ne gagnait ni ne perdait de terrain.

Ce n’était pas n’importe quelle voiture, Terens en avait la certitude. Peut-être s’agissait-il de Trantoriens, ce qui eût été une bonne chose. Peut-être s’agissait-il de Sarkites. En ce cas, la Demoiselle de Fife serait un otage appréciable.

— Je suis prêt à parler, fit-il.

— Vous étiez à bord du navire où se trouvait le Florinien meurtrier ?

— Je vous l’ai déjà dit.

— Très bien. Je vous ai demandé de m’accompagner pour que nous puissions bavarder tranquillement. A-t-on interrogé cet indigène pendant le voyage ?

Une pareille naïveté ne pouvait être simulée. Samia de Fife ne savait vraiment pas qui il était.

— Oui, répondit Terens, toujours sur ses gardes.

— Avez-vous assisté à l’interrogatoire ?

— Oui.

— Bien ! C’est ce que je pensais. A propos, pourquoi avez-vous quitté le navire ?

C’était la question par laquelle elle aurait dû commencer !

— Je devais transmettre un rapport spécial à…

Il marqua une hésitation.

Elle s’empressa de mordre à l’appât.

— A mon père ? Ne vous faites pas de soucis. Je vous couvrirai entièrement. Je dirai que vous avez obéi à mes ordres.

— Entendu, Votre Seigneurie.

Ce « Votre Seigneurie » s’imprima profondément dans la conscience de Terens. Il se trouvait en face d’une Demoiselle, la plus noble du pays, et il était florinien. Un assassin de patrouilleurs pouvait aisément se mettre à tuer les Écuyers et un assassin d’Écuyers pouvait se permettre de regarder une Haute Dame dans les yeux.

Elle avait un regard dur et inquisiteur. Il leva la tête et la contempla de haut en bas.

Elle était très belle.

Et comme elle était la plus noble, elle ne se rendit pas compte qu’il l’examinait.

— Je veux que vous me rapportiez tout ce que vous avez entendu au cours de cet interrogatoire, dit-elle. Je veux savoir tout ce que cet indigène a raconté. C’est très important.

— Puis-je demander à Votre Seigneurie pour quelle raison elle porte tant d’intérêt à cet indigène ?

— Non, répondit simplement Samia.

— Comme Votre Seigneurie voudra.

Il ne savait que dire. La moitié de son esprit attendait que la voiture des suiveurs les rattrapât, l’autre était de plus en plus fascinée par le visage et par le corps de la beauté assise à côté de lui.

En principe, les Floriniens employés dans l’administration civile ou servant comme Prud’hommes étaient célibataires, mais, dans la pratique, la plupart faisaient bon marché de cette obligation quand ils le pouvaient. Dans ce domaine Terens avait fait ce qu’il avait osé faire et il avait profité des occasions qui s’étaient présentées. Ses expériences les mieux réussies n’avaient jamais été satisfaisantes. Aussi le fait sans précédent de se trouver en tête à tête avec une fille ravissante dans une voiture d’un tel luxe revêtait-il une valeur singulière.

Elle attendait qu’il parlât, une lueur ardente dansant dans ses yeux noirs (si noirs !), les lèvres entrouvertes (lèvres pleines… lèvres rouges…) et le kyrt qui la parait rehaussait encore sa grâce. L’idée ne l’effleurait pas que l’on pût nourrir des pensées dangereuses à l’endroit de la fille de l’Écuyer de Fife.

Terens cessa de guetter la voiture poursuivante.

Brusquement, il comprit que, après tout, tuer un Écuyer n’était pas le crime des crimes.

Il n’eut pas pleinement conscience de son geste. Tout ce qu’il savait, c’était que ses bras s’étaient refermés autour de ce corps gracile, soudain raidi, que de la bouche de la fille s’échappa un cri qu’il étouffa sous ses lèvres…

Des mains le saisirent aux épaules et, par la portière ouverte, un courant d’air frais lui caressa le dos. Il étreignit son arme mais trop tard : quelqu’un la lui arracha.

Samia poussa un gémissement inarticulé.

— Tu as vu ce qu’il a fait ? s’écria le Sarkite horrifié.

— Aucune importance, répliqua l’Arcturien, en glissant un objet de petite taille dans sa poche.

Le Sarkite, ivre de rage, tira énergiquement Terens hors de la voiture.

— Et elle l’a laissé faire, murmurait-il. Elle l’a laissé faire.

— Qui êtes-vous ? demanda Samia avec une brusque véhémence. Est-ce mon père qui vous a envoyés ?

— Pas de question, s’il vous plaît, fit l’Arcturien.

— Vous êtes un étranger, laissa tomber Samia d’une voix furieuse.

— Je devrais lui écrabouiller la cervelle !

Le Sarkite leva son poing fermé.

Son compagnon le saisit par le poignet.

— Cela suffit !

— Il y a des limites, maugréa lugubrement le Sarkite. Je veux bien admettre le meurtre d’un Écuyer. Il y en a quelques-uns que moi-même j’aimerais tuer. Mais voir un indigène faire ce qu’a fait celui-là, c’est trop…