« Quand la délégation du B.I.A.S. a transmis le message du spatio-analyste au port en demandant qu’une ambulance attende le navire, c’est moi qui l’ai reçu. Je n’ai pas rendu compte de la partie de ce message qui parlait d’un danger menaçant Florina.
« Je me suis arrangé pour rencontrer le spatio-analyste sur un petit astrodrome de dégagement. Cela m’a été facile. Tous les leviers dont dépend l’administration de Sark étaient à portée de main. J’étais fonctionnaire civil, ne l’oubliez pas. Un Grand Écuyer n’aurait pas pu faire ce que j’ai fait à moins de donner l’ordre à un Florinien d’agir à sa place. Moi, je n’avais besoin de personne. Voilà en ce qui concerne la connaissance et les moyens.
« J’ai donc rencontré le spatio-analyste à l’insu des Sarkites et du B.I.A.S. Je lui ai arraché le maximum d’informations et je me suis employé à les utiliser en faveur de Florina et contre Sark.
Fife ne put s’empêcher de demander :
— Les lettres, c’est vous qui nous les avez envoyées ?
— C’est moi, Grand Écuyer, répondit calmement Terens. Je pensais pouvoir m’emparer d’une quantité suffisante de terres à kyrt pour traiter avec les Trantoriens en leur mettant le couteau sous la gorge et vous chasser de la planète.
— C’était de la folie !
— Peut-être. En tout cas, cela n’a pas marché. J’ai dit au spatio-analyste que j’étais l’Écuyer de Fife. Il le fallait parce qu’il savait que Fife était l’homme le plus puissant de Sark. Tant qu’il me prendrait pour lui, il parlerait librement. J’ai bien ri car il s’imaginait que Fife ne cherchait que le bien de Florina.
« Malheureusement, il était plus pressé que moi. Chaque jour perdu, affirmait-il, était une catastrophe. Moi, j’avais avant tout besoin de temps pour manipuler Sark. Il devenait de plus en plus difficile à contrôler et, finalement, j’ai dû le soumettre à la psychosonde. Il m’a fallu me procurer un appareil. J’avais vu comment on s’en sert à l’hôpital. J’avais une idée de son fonctionnement. Une idée hélas insuffisante.
— J’ai réglé la sonde de façon à effacer l’anxiété des couches superficielles du cerveau. C’est une opération simple. J’ignore encore ce qui s’est produit. J’imagine que l’angoisse était profonde, très profonde. La sonde l’a automatiquement poursuivie jusqu’à ses racines, éliminant du même coup la majeure partie de la conscience. Il n’est plus resté qu’une créature démentalisée. Je vous demande pardon, Rik.
Rik, qui avait écouté Terens avec une attention intense, dit tristement :
— Vous n’auriez pas dû vous livrer à cette intervention sur moi, Prud’homme, mais, je sais ce que vous éprouviez.
— Oui, vous avez vécu sur Florina. Vous connaissez les patrouilleurs, les Écuyers, la différence qu’il y a entre la Cité Basse et la Cité Haute.
Terens reprit le fil de son récit :
— Le spatio-analyste était donc réduit à un état végétatif. Il ne fallait pas qu’il fût découvert par quelqu’un qui réussirait à l’identifier. Je ne pouvais pas le tuer. J’étais certain qu’il recouvrerait la mémoire et j’avais encore besoin des renseignements qu’il détenait. Sans compter que, si je le tuais, je me discréditais aux yeux de Trantor et du B.I.A.S. dont l’aide me serait plus tard nécessaire. D’ailleurs, à cette époque, j’étais incapable de tuer.
« Je me suis débrouillé pour me faire transférer sur Florina en tant que Prud’homme et j’ai amené le spatio-analyste avec moi en me servant de faux papiers. Je me suis alors arrangé pour qu’on le découvre et pour que Valona prenne soin de lui. Par la suite, je n’ai plus couru de danger sauf une seule fois : quand il s’est fait examiner par un médecin. J’ai dû pénétrer dans la génératrice de la Cité Haute. Ce n’était pas impossible. Les ingénieurs étaient sarkites mais les gardiens étaient floriniens. J’avais acquis suffisamment de connaissances en matière d’énergétique sur Sark pour savoir comment réaliser un court-circuit. Il m’a fallu attendre trois jours le moment favorable. Après cela, il ne m’a plus été difficile de tuer. Mais j’ignorais que le médecin conservait le double de ses dossiers dans ses deux cabinets. Je regrette de l’avoir ignoré.
De sa place, Terens voyait le chronomètre mural dans le bureau de Fife.
— Et il y a cent heures – j’ai l’impression qu’il y a cent ans ! Rik a commencé de se souvenir. Vous savez tout, maintenant.
— Non, fit Junz, nous ne savons pas tout. Vous n’avez pas donné de détails sur la catastrophe planétaire annoncée par le spatio-analyste.
— Vous vous figurez que j’ai saisi les détails de son histoire ? C’était – excusez-moi, Rik – c’était totalement délirant.
Les yeux de Rik flamboyèrent.
— Non ! Ce ne pouvait pas être du délire.
— Il avait un vaisseau. Où est-il ?
— A la ferraille et depuis longtemps. Ordre a été donné de l’envoyer à la casse. Signé par mon chef hiérarchique. Un Sarkite ne lit naturellement jamais les papiers qu’on lui soumet. L’astronef a été détruit sans que personne ait posé de questions.
— Et ses documents ? Vous avez dit qu’il vous les avait montrés.
Fife intervint soudain dans le dialogue :
— Livrez-nous cet homme et nous découvrirons ce qu’il sait.
— Non, répondit Junz. Son premier crime a été commis à l’encontre du B.I.A.S. Il a enlevé un spatio-analyste et a attenté à sa santé mentale. Il nous appartient.
— Junz a raison, dit Abel.
Terens reprit la parole :
— Sachez que j’ai pris mes précautions avant de partir. Je sais où sont les documents. Ni les Sarkites ni les Trantoriens ne trouveront leur cachette. Si vous les voulez, il faudra d’abord que vous acceptiez de m’accorder le statut de réfugié politique. J’ai agi par patriotisme, uniquement pour défendre les intérêts de ma planète. Un Sarkite, un Trantorien ont le droit de se proclamer patriotes. Pourquoi un Florinien n’aurait-il pas le même droit ?
— L’ambassadeur a promis que vous serez remis au B.I.A.S., fit Junz. Je vous donne l’assurance que nous ne vous livrerons pas aux Sarkites. Vous aurez à répondre devant la justice du traitement que vous avez fait subir au spatio-analyste. Je ne saurais préjuger la décision du tribunal mais si vous vous montrez coopératif, cela jouera en votre faveur.
Terens dévisagea Junz d’un regard aigu.
— Soit ! Je prends le risque, docteur, et je vous fais confiance… Selon les dires du spatio-analyste, le soleil de Florina est au stade pré-nova.
— Quoi ?
Cette exclamation ou son équivalent avait fusé de toutes les bouches sauf de celle de Valona.
— Il va exploser, fit Terens avec un sourire sardonique. Alors, Florina tout entière se volatilisera comme une bouffée de fumée.
— Je ne suis pas spatio-analyste mais j’ai entendu dire qu’il n’existe aucun moyen de prédire à quel moment une étoile doit exploser, laissa tomber Abel.
— C’est vrai, acquiesça Junz. Jusqu’à présent, tout au moins.
Rik vous a-t-il expliqué les raisons qui l’avaient conduit à cette conclusion ?
— Je suppose qu’elles sont précisées dans ses documents. Je me rappelle seulement qu’il était question du courant de carbone.
— Pardon ?