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— Oui, enfin, plus ou moins, dit modestement Carl.

Dehors, le tonnerre gronda et la pluie se mit à tomber. Je considérai Carl avec un réel intérêt. Je savais à présent ce qui avait perturbé mon Passager noir. Nous étions des débutants, et voilà que nous étions en présence d’un individu expérimenté, qui à onze reprises, plus ou moins, avait pratiqué. Pour la première fois, je compris ce que mes camarades de collège pouvaient ressentir lorsqu’ils se retrouvaient face à un quarterback professionnel.

— Carl aime tuer les gens, déclara Harry d’une voix neutre. N’est-ce pas, Carl?

— Ça m’occupe, répondit Carl gaiement.

— Oui, enfin, jusqu’à ce qu’on vous arrête, ajouta Harry d’un ton sec.

— Ah, oui, évidemment, il y a ça maintenant. Mais quand même… J’en ai profité tant que ça a duré.

— Vous avez été négligent.

— C’est vrai. Je ne savais pas que la police serait aussi méticuleuse.

— Comment vous faites ? demandai-je.

— Ce n’est pas si dur, répondit Carl.

— Non, je veux dire… Euh, comment vous vous y prenez ?

Carl me scruta attentivement, et j’entendis presque un ronron provenir de l’ombre. Un instant, nous nous fixâmes intensément des yeux, et le monde se remplit du bruit que feraient deux prédateurs s’affrontant au-dessus d’une proie sans défense.

— Tiens, tiens, finit par dire Carl. Est-ce possible ? Alors comme ça, je suis un sujet de leçon, n’est-ce pas, brigadier ? Vous voulez effrayer votre fiston et le remettre sur le chemin de la vertu ?

Harry soutint son regard sans répondre, sans rien dévoiler.

— Eh bien, je suis désolé de vous l’apprendre, mon pauvre Harry : il n’existe aucun moyen de quitter ce chemin qui est le nôtre. Lorsqu’on y est engagé, c’est pour la vie, parfois même au-delà, et personne ne peut rien y changer, ni vous, ni moi, ni ce cher garçon.

— Si, il y a une chose, intervint Harry.

— Ah oui ? s’étonna Carl, et à présent un nuage noir semblait s’élever lentement autour de lui, s’accrocher aux dents de son sourire, déployer ses ailes vers nous. Et de quoi s’agit-il, je vous prie ?

— Ne pas se faire prendre, déclara Harry.

Durant quelques secondes, le nuage se figea, puis il se retira et disparut.

— Oh, mon Dieu ! s’exclama Carl. Comme j’aimerais savoir rire… Vous parlez sérieusement, n’est-ce pas ? Oh, mon Dieu… Quel père fantastique vous êtes, brigadier…

Et il nous adressa un sourire si large qu’il en paraissait presque naturel.

Harry dirigea son regard de glace vers moi.

— Il s’est fait prendre, m’expliqua-t-il, parce qu’il ne savait pas ce qu’il faisait. Parce qu’il ignorait comment travaillait la police. Parce que, poursuivit-il sans hausser la voix et sans ciller, il n’a pas été formé. Et maintenant, il va aller sur la chaise électrique.

Je considérai Carl, qui, derrière les épais barreaux, nous observait de ses yeux morts très clairs. Oui, il avait été pris. Je me tournai de nouveau vers Harry.

— Je comprends, dis-je.

Et c’était vrai.

Ce fut la fin de ma crise d’adolescence.

Aujourd’hui, bien des années plus tard – des années merveilleuses, passées à jouer au boucher en toute impunité –, je percevais le pari remarquable qu’avait fait Harry en me présentant Carl. Je ne pouvais en aucun cas espérer me montrer à la hauteur ; en effet, Harry agissait en fonction de ses sentiments, et moi je n’en aurais jamais. Mais je pouvais tenter de l’imiter et faire en sorte que Cody et Astor se mettent au pas. J’allais parier, à mon tour, comme Harry.

Ils suivraient ou non.

Chapitre 16

Ils suivirent.

Le musée était rempli de citoyens curieux en quête de savoir – ou de toilettes, apparemment. La plupart avaient entre deux et dix ans, et il semblait n’y avoir en moyenne qu’un adulte pour sept enfants ; ils se déplaçaient pareils à des bandes de perroquets colorés, volant d’une vitrine à l’autre dans un grand croassement qui, bien qu’il fût émis en trois langues au moins, semblait le même pour tous. Le langage international des enfants.

Cody et Astor semblaient intimidés par la foule et ne me lâchaient pas. C’était un contraste agréable avec l’esprit aventureux qui les caractérisait le reste du temps, et je tentai d’en tirer parti en les conduisant tout de suite à l’aquarium des piranhas.

— Vous les trouvez comment ? leur demandai-je.

— Très méchants, répondit Cody doucement, en scrutant d’un air imperturbable les dents qu’exhibaient les poissons.

— Ce sont des piranhas, déclara Astor. Ils peuvent manger une vache entière.

— Si vous étiez en train de nager et que vous aperceviez des piranhas, que feriez-vous ?

— Je les tuerais, répliqua Cody.

— Il y en a trop, dit Astor. Il faudrait s’enfuir et ne pas s’approcher d’eux du tout.

— Alors chaque fois que vous verriez des poissons d’allure aussi mauvaise, vous essaieriez soit de les tuer, soit de les fuir ? demandai-je. Si les poissons étaient vraiment malins, comme les humains, que feraient-ils ?

— Ils se déguiseraient, lança Astor en pouffant de rire.

— Exactement, approuvai-je, et même Cody sourit. Quel genre de déguisement leur recommanderiez-vous ? Une perruque et une barbe ?

— Dexter ! s’indigna Astor. Ce sont des poissons. Ils n’ont pas de barbe.

— Ah, fis-je. Donc ils voudraient quand même ressembler à des poissons ?

— Bien sûr, répliqua-t-elle, comme si j’étais trop bête pour comprendre.

— Quel genre de poissons ? poursuivis-je. De gros balèzes, dans le genre des requins ?

— Non, normaux, répondit Cody.

Sa sœur le regarda un instant, avant de hocher la tête.

— L’espèce la plus courante dans le coin, ajouta-t-elle. Un truc qui n’effraierait pas ce qu’ils veulent manger.

— Mmm, fis-je.

Ils contemplèrent tous deux les poissons en silence. Ce fut Cody qui saisit le premier. Il fronça les sourcils et leva les yeux vers moi. Je lui souris pour l’encourager. Il chuchota quelque chose à l’oreille d’Astor, qui eut l’air surprise. Elle ouvrit la bouche, mais s’arrêta aussitôt.

— Oh ! fit-elle.

— Oui, dis-je. Oh.

Elle se tourna vers Cody, qui cessa de fixer les poissons. Comme souvent, ils ne se dirent rien à voix haute mais eurent toute une conversation. Je la laissai se dérouler jusqu’à ce qu’ils lèvent de nouveau les yeux vers moi.

— Qu’est-ce qu’on peut apprendre des piranhas ? demandai-je.

— Ne pas avoir l’air cruel, répondit Cody.

— Avoir l’air normal, renchérit Astor de mauvaise grâce. Mais, Dexter, les poissons c’est pas comme les gens.

— Tu as tout à fait raison, dis-je. Les gens survivent en sachant reconnaître ce qui est dangereux. Alors que les poissons se font attraper. On ne veut pas que ça nous arrive, nous.

Ils me regardèrent d’un air solennel, puis considérèrent à nouveau l’aquarium.

— Alors quelle autre leçon avons-nous apprise aujourd’hui ? demandai-je.

— Ne pas se faire attraper, répondit Astor.

Je poussai un soupir. C’était un début, mais il y avait encore beaucoup de travail.

— Allez, venez. On va visiter d’autres parties du musée.

Je ne connaissais pas très bien les lieux, sans doute parce que jusqu’à présent je n’avais eu aucun enfant à y traîner. J’improvisai donc, cherchant des choses susceptibles de les faire réfléchir et de les mettre sur la bonne voie. Les piranhas avaient été un coup de chance, j’avoue : ils étaient apparus soudain, et mon cerveau génial avait pensé à la leçon adéquate. Il ne fut pas facile de trouver une autre heureuse coïncidence, et nous passâmes une demi-heure à déambuler sans entrain au milieu de la foule meurtrière des enfants et de leurs parents avant de parvenir à la section des lions.