Выбрать главу

— Eh bien, j’allais dire « s’il vous plaît » et sourire beaucoup.

— Pas suffisant. C’est que dalle, ça.

— Vince m’a dit que vous estimiez le prix à 500 dollars l’assiette ?

— Je n’estime pas ! lança-t-il d’un ton hargneux. Et je me fous de vous faire économiser du fric.

— Bien sûr, répondis-je. Après tout, ce n’est pas le vôtre.

— Votre fiancée a signé ce putain de contrat. Je peux vous demander le prix que je veux.

— Mais il doit bien y avoir un moyen pour moi de le faire baisser un peu ?

Son air hargneux se mua de nouveau en un sourire salace.

— Pas le cul assis sur une chaise.

— Alors qu’est-ce que je peux faire ?

— Si votre question est de savoir ce que vous pouvez faire pour que je change d’avis, la réponse est : rien du tout. Il y a une foule de gens qui n’attendent que ça, m’embaucher ; on me réserve deux ans à l’avance, et en réalité je vous fais une immense faveur. Alors attendez-vous à un miracle. Et à une note très salée.

Je me levai. De toute évidence, le gnome n’allait pas céder d’un pouce, et je ne pouvais rien y changer. J’aurais vraiment souhaité lui dire : « Vous verrez, vous aurez de mes nouvelles », mais je n’en voyais pas l’utilité. Aussi je me contentai de sourire, puis je m’en allai. Alors que la porte se refermait derrière moi, j’entendis Manny qui hurlait déjà après Franky :

— Nom de Dieu, bouge ton gros cul et enlève toute cette merde de mon sol !

Tandis que je me dirigeais vers l’ascenseur, je sentis un doigt glacé frôler ma nuque, et durant quelques secondes je crus percevoir un léger frémissement, comme si le Passager noir avait trempé un orteil dans l’eau puis avait décampé en constatant à quel point elle était froide. Je me figeai et regardai lentement autour de moi.

Rien. Au bout du couloir, un homme était en train de trifouiller son journal devant sa porte. Il n’y avait personne d’autre en vue. Je fermai les yeux un bref instant. Quoi ? demandai-je. Mais je n’obtins pas de réponse. J’étais toujours seul. Et à moins que quelqu’un ne fût occupé à me scruter derrière le judas de sa porte, c’était une fausse alerte. Ou plutôt un fol espoir.

Je pénétrai dans l’ascenseur et descendis.

Lorsque la porte de l’ascenseur se referma, le Guetteur se redressa, tenant toujours à la main le journal qu’il avait ramassé sur le paillasson. C’était un excellent camouflage et il en aurait peut-être encore besoin. Il dirigea son regard vers le fond du couloir et se demanda ce qu’il y avait de si intéressant dans cet appartement-là, mais peu importait. Il allait le découvrir. Il saurait ce que l’homme était allé y faire.

Il compta lentement jusqu’à dix, puis se dirigea vers l’appartement d’un pas nonchalant. Il ne lui faudrait qu’un instant pour savoir pourquoi l’homme s’y était rendu. Et là…

Le Guetteur ne savait pas ce qui se passait vraiment dans la tête de l’autre, mais les choses n’allaient pas assez vite. Il était temps de les accélérer, d’arracher l’autre à sa passivité. Il sentit palpiter en lui une rare envie de jouer à travers le nuage noir de la puissance, et il entendit les ailes sombres se déployer.

Chapitre 25

Durant ces longues années passées à étudier les êtres humains, j’ai découvert que malgré tous leurs efforts ils n’ont encore trouvé aucun moyen d’empêcher l’arrivée du lundi matin. Ce n’est pas faute d’essayer, mais le lundi revient toujours, et les pauvres tâcherons doivent reprendre leur misérable vie de labeur dépourvue de sens.

Cette pensée me réjouit toujours, et comme j’aime répandre la joie autour de moi, je fis ce que je pus ce jour-là pour amortir le choc de l’inévitable en apportant au travail une boîte de doughnuts, qui se vida dans une sorte de frénésie grincheuse avant même que j’atteigne mon bureau. Je doutais sérieusement que mes collègues eussent de meilleures raisons que moi d’être d’humeur maussade, mais on ne l’aurait pas cru à les voir tous s’emparer des beignets en grognant.

Vince Masuoka semblait partager l’angoisse générale. Il surgit dans mon box en trébuchant, le visage déformé par l’horreur et la stupéfaction, expression qui devait indiquer quelque chose de très émouvant parce qu’elle semblait presque crédible.

— Nom de Dieu, Dexter ! s’exclama-t-il. Oh, nom de Dieu !

— J’ai essayé de t’en sauver un, m’excusai-je, m’imaginant qu’une telle crise ne pouvait provenir que de la découverte d’une boîte de doughnuts vide.

— Oh, mon Dieu, j’arrive pas à y croire. Il est mort !

— Je suis sûr que les doughnuts n’y sont pour rien.

— Et tu devais aller le voir. Tu y es allé ?

Il y a un point dans toutes les conversations où au moins l’un des interlocuteurs doit savoir de quoi l’on parle ; je décidai qu’on l’avait atteint.

— Vince, dis-je. Je te conseille de prendre une profonde inspiration et de recommencer depuis le début.

— Merde ! lâcha-t-il. T’es pas encore au courant, hein ? Il est mort, Dexter. Ils ont retrouvé son corps hier.

— Eh bien, je suis sûr qu’il va le rester suffisamment longtemps pour que tu puisses m’expliquer de qui tu parles, à la fin.

— Manny Borque, souffla-t-il. Il a été assassiné.

J’avoue que cette nouvelle provoqua en moi des sentiments mitigés. D’un côté, je n’étais pas mécontent que quelqu’un ait éliminé le petit troll, puisque je ne pouvais le faire pour des raisons éthiques. Mais d’un autre côté, il allait falloir à présent que je cherche un autre traiteur – et puis, oui, il faudrait que je fasse une déclaration à l’enquêteur en charge de l’affaire. La contrariété le disputait au soulagement, mais la réaction qui l’emporta finalement fut l’irritation à la pensée de tous les tracas à venir. Je savais néanmoins que ce n’était pas une attitude acceptable à afficher lorsqu’on apprend la mort d’une connaissance. Alors je fis de mon mieux pour inscrire sur mon visage une expression combinant l’effroi, l’inquiétude et l’affliction.

— Quoi ! dis-je. Quel choc ! On sait qui c’est ?

— Il n’avait pas d’ennemis, répondit-il sans se rendre compte à quel point cette phrase pouvait sonner faux pour quiconque connaissait Manny. Enfin, tout le monde le respectait tellement

— Je sais. Il était dans les magazines et tout.

— Je ne peux pas croire que quelqu’un ait voulu lui faire ça.

Personnellement, j’avais du mal à croire que quelqu’un ne l’ait pas fait plus tôt.

— Je suis sûr qu’on va découvrir le coupable. Qui est chargé de l’affaire ?

Vince me regarda comme si je lui avais demandé si, d’après lui, le soleil se lèverait le lendemain.

— Dexter, dit-il d’un air étonné, il a été décapité. Pareil que pour les autres cas.

Plus jeune, lorsque j’essayais à tout prix de m’intégrer, j’avais joué au football pendant un temps ; un jour, j’avais reçu un énorme coup dans le ventre et j’en avais eu la respiration coupée pendant quelques minutes. Là, c’était pareil.

— Oh… fis-je.

— Alors forcément, ils ont confié le dossier à ta sœur.

— Forcément.

Soudain, une pensée me traversa, et étant un fervent adepte de l’ironie, je ne pus m’empêcher de lui demander :

— Il a été cuit, lui aussi ?

— Non, répondit Vince.

— Bon, je ferais mieux d’aller trouver Deborah.

Celle-ci n’était pas d’humeur à parler lorsque je parvins à l’appartement de Manny. Elle était penchée au-dessus de Camilla Figg, occupée à relever les empreintes autour des pieds de la table près de la fenêtre. Elle ne leva pas la tête et j’allai jeter un coup d’œil dans la cuisine, où Angel examinait le corps.