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— Eh bien, finis-je par dire, si les salauds sont vraiment en train de gagner, au moins tu vas avoir du boulot.

Elle leva enfin les yeux, mais il n’y avait pas l’ombre d’un sourire sur son visage.

— Ouais, répliqua-t-elle. Un type a buté sa femme et deux mômes à Kendall cette nuit. Il faut que j’aille bosser sur ça.

Elle se leva, se redressant lentement jusqu’à reprendre ce qui ressemblait à sa posture normale.

— Hip, hip, hip, conclut-elle avant de quitter mon bureau.

Dès le début, ce fut une alliance idéale. Les nouvelles créatures avaient une conscience de soi, ce qui rendait leur manipulation bien plus facile – et beaucoup plus gratifiante pour lui. Elles s’entretuaient aussi plus volontiers, et IL n’avait pas à attendre très longtemps un nouvel hôte – et l’occasion de tenter à nouveau de se reproduire. IL le menait avec ardeur à une mise à mort, et IL attendait, impatient de ressentir l’étrange et merveilleux renflement.

Mais le moment venu, cela frémissait à peine, le chatouillait d’une infime façon, puis disparaissait sans s’épanouir et produire de progéniture.

IL était perplexe : pourquoi la reproduction ne marchait-elle pas cette fois ? Il devait bien y avoir une raison, et IL cherchait la réponse avec méthode et rigueur. Au fil des années, tandis que les nouvelles créatures évoluaient et se développaient, IL expérimenta. Et petit à petit IL trouva les conditions qui rendaient la reproduction possible. Il lui fallut un certain nombre de morts avant d’en être assuré, mais chaque fois qu’IL répétait la formule finale, une nouvelle conscience surgissait et s’échappait à travers le monde dans la douleur et la terreur ; IL était satisfait.

Cela marchait mieux lorsque les hôtes n’étaient pas tout à fait eux-mêmes, à cause des boissons qu’ils avaient commencé à concocter ou à cause d’une sorte d’état de transe. La victime devait savoir ce qui l’attendait, et s’il y avait des spectateurs, leurs émotions alimentaient l’expérience et la rendaient encore plus puissante.

Et puis il y avait le feu, le feu était un excellent moyen de tuer les victimes. Il semblait libérer leur quintessence instantanément dans une grande décharge d’énergie spectaculaire.

Et enfin, cela marchait encore mieux avec les jeunes. Les émotions tout autour étaient plus fortes, surtout de la part des parents. IL ne pouvait rien imaginer de plus extraordinaire.

Feu, transe, jeunes victimes, une formule simple.

IL se mit à pousser les nouveaux hôtes à créer un moyen d’établir ces conditions en permanence. Et ceux-ci étaient étonnamment disposés à le contenter.

Chapitre 31

Très jeune, j’avais vu un jour un spectacle de variétés à la télé. Un homme installait des piles d’assiettes aux extrémités d’une série de tiges souples qu’il faisait tournoyer en l’air. S’il ralentissait ou tournait le dos, ne serait-ce qu’une seconde, l’une des assiettes se mettait à trembler puis allait se fracasser par terre, entraînant toutes les autres à sa suite.

C’est une excellente métaphore de la vie. On essaie tous de faire tournoyer nos assiettes, et une fois qu’on a réussi à les hisser là-haut, on ne peut plus les quitter des yeux : il n’y a plus qu’à continuer à courir sans répit. Sauf que dans la vie, on n’arrête pas de vous rajouter des assiettes, de vous cacher les tiges et de changer les lois de la gravité dès que vous avez le dos tourné. Donc, chaque fois que vous pensez vous en sortir, vous entendez un horrible fracas derrière vous et tout un tas d’assiettes, que vous ne pensiez même pas posséder, se retrouvent sur le sol en mille morceaux.

Et voilà, je m’étais bêtement imaginé que la mort de Manny Borque me permettrait d’avoir une assiette en moins à surveiller, puisque je pouvais désormais envisager d’organiser le mariage comme je l’entendais, avec l’équivalent de 65 dollars de rôti froid et une glacière pleine de boissons gazeuses. Le problème de ma santé mentale, autrement plus important, allait désormais mobiliser toute mon énergie. Certain que tout était calme sur le front domestique, je relâchai mon attention un instant et fus presque aussitôt récompensé par un énorme fracas derrière mon dos.

L’événement se produisit lorsque je retournai à la maison après le travail. Un tel silence y régnait que je partis du principe que personne n’était là, mais un petit coup d’œil à l’intérieur me révéla une scène bien plus troublante : Cody et Astor étaient assis immobiles sur le canapé, et Rita se tenait derrière eux, avec une expression qui aurait pétrifié n’importe qui.

— Dexter, dit-elle d’une voix qui semblait sceller mon sort, il faut qu’on parle.

— Bien sûr, répondis-je et, sous le choc, j’en perdis la capacité d’émettre la moindre réponse enjouée.

— Ces enfants…, commença Rita.

Apparemment c’était tout, car elle se contenta de jeter des regards furieux et s’arrêta là.

Mais, évidemment, je savais de quels enfants elle parlait, alors je hochai la tête pour l’encourager.

— Oui.

— Oh… gémit-elle.

S’il lui fallait autant de temps pour prononcer une phrase entière, je comprenais pourquoi la maison était silencieuse. Manifestement, l’art de la conversation allait avoir besoin d’un petit coup de pouce de la part de Dexter le diplomate si nous voulions terminer cet échange avant le dîner. Alors, je pris mon courage à deux mains.

— Rita, il y a un problème ?

— Oh… répéta-t-elle, ce qui n’était guère encourageant.

Franchement, il y a des limites à ce qu’on peut répondre à des monosyllabes, même quand on est un brillant causeur comme moi. Puisque manifestement je n’allais obtenir aucune aide de la part de Rita, je me tournai vers Cody et Astor, qui n’avaient pas bougé depuis mon arrivée.

— Bon, dis-je. Vous pouvez m’expliquer ce qui arrive à votre mère ?

Ils échangèrent l’un de leurs fameux regards, puis levèrent les yeux vers moi.

— On voulait pas, m’expliqua Astor. C’est un accident.

Ce n’était pas grand-chose, mais au moins j’avais droit à une phrase entière.

— Je suis ravi de l’apprendre, répondis-je. Mais quel accident ?

— On s’est fait prendre, intervint Cody, et Astor lui donna aussitôt un coup de coude.

— On voulait pas, répéta-t-elle en insistant sur les mots.

Cody se tourna vers elle, semblant avoir oublié ce dont ils étaient convenus. Elle lui lança un regard noir et il cligna des yeux avant de hocher la tête en me regardant.

— Un accident, confirma-t-il.

C’était agréable de voir que la ligne du Parti était défendue par un front uni, mais je ne savais toujours pas de quoi il retournait, et cela faisait déjà plusieurs minutes que nous étions sur le sujet. Or, le temps était un facteur non négligeable : l’heure du dîner approchait, et Dexter a besoin d’être nourri régulièrement.

— C’est tout ce qu’ils sont fichus de dire, se lamenta Rita. Et c’est inacceptable. Je ne vois pas comment vous avez pu ligoter le chat des Villega par accident.

— Il n’est pas mort, protesta Astor de la plus petite voix que je lui aie jamais entendue.

— Et qu’est-ce que les cisailles faisaient là ? demanda Rita.

— On ne s’en est pas servi, répondit la fillette.

— Mais c’était prévu, n’est-ce pas ?

Les deux petites têtes se tournèrent vers moi, et une seconde plus tard celle de Rita fit de même.

L’image de ce qui avait dû se passer commençait à se former dans mon esprit, et ce n’était pas une scène paisible. À l’évidence, les enfants avaient voulu tenter une expérience sans moi. Et le pire, c’est que visiblement, pour je ne sais quelle raison, c’était devenu mon problème : Cody et Astor espéraient que je les tirerais de ce mauvais pas, et Rita avait l’air prête à dégainer et à vider son chargeur sur moi. C’était injuste, évidemment ; je venais de rentrer du travail. Mais, je ne cesse de le constater, la vie elle-même est injuste, et il n’existe pas de service des réclamations ; alors, autant accepter les choses comme elles sont, réparer les dégâts et passer à autre chose.