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— Regardez de nouveau, leur dis-je quelques minutes plus tard. Voyez si vous trouvez autre chose.

Ils reprirent leur observation avec enthousiasme et restèrent absorbés un bon moment.

Lorsqu’ils finirent par lever les yeux vers moi, je leur adressai un sourire joyeux et lançai en guise de conclusion :

— Tout ça sur une chaussure propre !

Je refermai le carnet et les observai.

— Et en se servant uniquement du microscope, ajoutai-je, avec un signe de tête en direction des nombreuses machines dans la pièce. Imaginez ce qu’on peut découvrir à l’aide de tout ce matériel.

— Ouais, mais on pourrait marcher pieds nus, répliqua Astor.

Je hochai la tête, sous-entendant que ses paroles étaient logiques.

— Oui, c’est vrai. À ce moment-là je pourrais faire ça. Donne-moi ta main.

Astor me dévisagea quelques secondes, comme si elle craignait que je ne lui coupe un bras, mais elle finit par me tendre la main. Je la lui pris et, attrapant un coupe-ongles dans ma poche, je raclai sous ses ongles avec la lime.

— Attends de voir ce que tu as là dessous, dis-je.

— Je me suis lavé les mains, protesta-t-elle.

— Aucune importance, répondis-je.

Je plaçai les petites boules de crasse sur une autre lamelle de verre que je fixai sous le microscope. Voyons voir…

Clamp !

Cela paraîtra sans doute un peu théâtral de dire que notre sang ne fit qu’un tour, mais voilà, ce fut le cas. Ils levèrent tous les deux les yeux vers moi ; je les regardai aussi, et nous oubliâmes tous de respirer.

Clamp !

Le bruit se rapprochait, et il était difficile de se rappeler que nous nous trouvions dans les locaux de la police, parfaitement en sécurité.

— Dexter, dit Astor d’une voix légèrement chevrotante.

— Nous sommes dans les locaux de la police, déclarai-je. Nous sommes en sécurité.

Clamp !

Le bruit s’arrêta, tout près. Je sentis mes poils se hérisser sur ma nuque tandis que je me tournais vers la porte qui s’ouvrait lentement.

Le brigadier Doakes. Il se tenait là dans l’encadrement de la porte, le regard assassin, ce qui semblait être devenu son expression permanente.

— Vwou, dit-il, et le son émis par sa bouche sans langue était presque aussi inquiétant que son apparence.

— Eh, oui, c’est moi, répondis-je. C’est gentil à vous de vous en souvenir.

Il fit un autre pas dans la pièce, et Astor sauta de son tabouret pour aller se réfugier près de la fenêtre, le plus loin possible de la porte. Doakes s’immobilisa et la regarda. Puis ses yeux se portèrent sur Cody, qui se laissa glisser de son siège et resta planté là, sans ciller, face à Doakes. Celui-ci dévisagea l’enfant ; Cody soutint son regard, et Doakes eut un véritable souffle à la Dark Vador. Puis il tourna la tête vers moi et exécuta un autre pas rapide, manquant perdre l’équilibre.

— Vwou, répéta-t-il, en sifflant cette fois. Des ga-ins !

— Ga-ins ? l’imitai-je, perplexe, ne cherchant pas à le provoquer.

Non, c’est vrai, s’il voulait à tout prix déambuler comme ça et effrayer les enfants, la moindre des choses aurait été d’avoir sur lui un calepin et un crayon afin de pouvoir communiquer. Mais apparemment cette petite attention était de trop pour lui. Il émit une autre respiration à la Dark Vador, puis pointa lentement sa pince métallique vers Cody.

— Des ga-ins, répéta-t-il de nouveau, les lèvres retroussées, l’air féroce.

— Il veut dire moi, affirma Cody.

Je me tournai vers lui, surpris de l’entendre parler en présence de Doakes, qui était un cauchemar vivant. Mais bien sûr, Cody n’avait pas de cauchemars. Il scrutait simplement Doakes.

— Qu’est-ce qu’il y a, Cody ? demandai-je.

— Il a vu mon ombre.

Le brigadier Doakes fit un autre pas incertain dans ma direction. Sa pince droite claqua, comme si elle avait décidé toute seule de m’attaquer.

— Vwou… Fe… Ha…

Manifestement, il avait quelque chose en tête, mais il aurait mieux fait de se contenter de lancer ses regards assassins en silence parce qu’il était impossible de comprendre les syllabes visqueuses qui sortaient de sa bouche.

— Ke… Fe… Vwou… siffla-t-il, et c’était une condamnation tellement claire de toute la personne de Dexter que je compris au moins qu’il m’accusait de quelque chose.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? demandai-je. Je n’ai rien fait.

— Ga-on, dit-il en indiquant de nouveau Cody.

— Je ne vous comprends pas, affirmai-je.

J’avoue que je faisais un peu exprès à ce stade. Il essayait de dire « garçon » et n’y parvenait pas vraiment parce qu’il n’avait plus de langue, mais mince, la patience a des limites ! Doakes aurait dû se rendre compte que ses tentatives de communication verbale ne remportaient pas un franc succès, et pourtant il s’acharnait. N’avait-il aucun sens des convenances ?

Heureusement pour nous, nous fûmes interrompus par des pas précipités dans le couloir, puis Deborah surgit.

— Dexter, dit-elle.

Elle se figea en voyant le tableau abracadabrant : Doakes, sa pince levée vers moi, Astor recroquevillée près de la fenêtre, et Cody se munissant d’un scalpel pour se protéger de Doakes.

— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Doakes ?

Il laissa lentement retomber son bras mais continua à me scruter.

— Je te cherchais, Dexter. Tu étais où ?

Je lui étais si reconnaissant de cette entrée parfaitement minutée que je ne lui fis pas remarquer la bêtise de sa question.

— Mais j’étais là, en train d’éduquer les enfants. Et toi ?

— En route pour Dinner Key, répliqua-t-elle. On a retrouvé le corps de Kurt Wagner.

Chapitre 33

Deborah conduisait à une vitesse effarante. Je cherchai un moyen poli de lui signaler que nous allions voir un cadavre qui avait très peu de chances de s’échapper, alors est-ce qu’elle pouvait ralentir par pitié, mais je ne trouvai aucune formule.

Cody et Astor étaient trop jeunes pour se rendre compte du danger mortel qu’ils couraient ; ils semblaient s’amuser comme des fous sur la banquette arrière et participaient même à l’action en retournant gaiement leurs salutations aux autres automobilistes, le majeur dressé, chaque fois que nous coupions la route à quelqu’un.

Trois voitures s’étaient carambolées sur l’US-1 à l’intersection de LeJeune Road, provoquant un embouteillage, et nous fûmes obligés de ralentir, puis de rouler au pas. Puisque je n’usais plus tout mon souffle à réprimer des cris de terreur, j’entrepris d’interroger Deborah sur ce que nous nous hâtions d’aller voir.

— Comment a-t-il été tué ? demandai-je.

— Exactement comme les autres. Il a été brûlé, et il n’y a pas de tête.

— Tu es sûre que c’est Kurt Wagner ?

— Est-ce que je peux le prouver ? Pas encore. Est-ce que j’en suis sûre ? Oui.

— Pourquoi ?

— On a retrouvé sa voiture à proximité.

J’étais certain qu’habituellement j’aurais parfaitement compris pourquoi quelqu’un fétichisait ainsi les têtes, et j’aurais sans doute su où les trouver. Mais évidemment, à présent que j’étais tout seul, rien n’était plus normal.