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Ainsi, les stagiaires suivirent un cours d’effraction dispensé par un cambrioleur chevronné, qui leur apprit à pénétrer dans des maisons, à faire sauter un coffre, à forcer une serrure ou encore à copier une clé, opération simple consistant à utiliser une boîte d’allumettes remplie de plasticine pour faire un moulage de la clé originale.

Un acteur les initia à l’art de se déguiser et de changer rapidement d’apparence. C’était là un enseignement subtil, il n’était pas question de fausse barbe ou de perruque, mais de choisir plutôt des petits changements : porter des lunettes, changer de coiffure, modifier son allure ne serait-ce qu’en se dessinant une fausse cicatrice sur le visage avec du collodion, un produit semblable à de la cire et qui séchait rapidement.

Un instructeur de l’armée se chargea d’enseigner des techniques de meurtre silencieux pour éliminer un éventuel poursuivant ou une cible en toute discrétion ; étranglement, couteau, petit pistolet muet dans certains cas.

Un médecin aborda quelques notions de chirurgie plastique : le SOE disposait de chirurgiens capables de modifier l’aspect physique d’agents en péril dont la couverture avait été compromise.

Un officier du Service leur fit découvrir la communication secrète. Si les contacts avec Londres s’effectuaient par l’intermédiaire des opérateurs radio et de leurs messages cryptés, les agents étaient amenés à communiquer sur le terrain avec d’autres agents ou avec des Réseaux de résistance. La poste étant surveillée, les téléphones aussi, et l’envoi de télégrammes impossible sans décliner son identité, il fallait ruser. Les stagiaires apprirent donc le chiffrage, les codes dissimulés dans le texte des lettres ou des cartes postales, l’encre invisible, les systèmes de boîtes aux lettres, le camouflage de documents miniatures dans une pipe, dans un bouton de manteau, ou insérés dans des cigarettes à l’aide d’une aiguille, et que l’on pourrait fumer tranquillement en cas d’arrestation. Il y avait aussi le S-Phone, un émetteur-récepteur à ondes courtes qui permettait à un avion ou un bateau de communiquer sur une portée de quelques dizaines de kilomètres avec un agent à terre, muni d’un poste récepteur qui tenait dans une valise. Les conversations y étaient aussi claires que lors d’une communication téléphonique locale, et le S-Phone pouvait aussi bien servir à guider un bombardier vers une zone de largage qu’à faire communiquer un agent sur le terrain avec des membres de l’État-major à Londres, l’avion servant de relais radio avec la capitale. Mais l’essai du S-Phone par les stagiaires ne se révéla guère prometteur car, hormis les quatre anglophones, aucun d’eux ne parlait suffisamment bien l’anglais pour se faire comprendre d’un pilote. Et au cours d’un exercice de guidage fictif d’un avion, le pauvre Aimé bredouilla un sabir qui lui valut une réprimande de l’instructeur ; il reçut l’ordre de faire l’imbécile.

On aborda également deux points que les futurs agents devraient eux-mêmes enseigner plus tard aux Réseaux de résistance locaux : comment réceptionner les Lysander au sol, et comment délimiter les zones de largage des parachutistes et des matériels. Pour cette dernière mission, il fallait allumer au sol trois points lumineux. L’équipage du bombardier n’avait ainsi qu’à survoler en rase-mottes la région au-dessus de laquelle le largage avait été prévu — ce qui constituait déjà un exercice périlleux. Lorsque le pilote ou le navigateur apercevait le triangle dessiné au sol, auquel s’ajoutait un signal lumineux de sécurité — une lettre de l’alphabet répétée en morse, constituant le code de reconnaissance établi au préalable —, il prévenait le dispatcher en enclenchant la lumière murale rouge, annonçant qu’ils survolaient la zone de largage. En cas de doute, le pilote pouvait aussi communiquer au moyen d’un S-Phone avec l’agent au sol, pour autant que ce dernier en possède un.

Pour réceptionner les Lysander, il fallait trouver des terrains adéquats, prés ou champs, qui serviraient de piste improvisée. Les quartiers généraux du SOE utilisaient pour les opérations aériennes les mêmes cartes Michelin que celles dont disposaient les agents en mission, afin de pouvoir établir, par communication radio, un lieu précis pour l’atterrissage ; il était également primordial de fournir des points de repère sur le terrain — ponts, collines, rivières — afin de permettre aux pilotes, volant de nuit, à vue et à basse altitude, de se guider facilement. Il faudrait aussi, dans les minutes précédant l’atterrissage, baliser la piste improvisée en disposant des torches en forme de « L » selon le sens du vent, et émettre, comme pour les largages, un code de reconnaissance en morse. Le pilote pourrait alors se poser pour quelques minutes seulement, le temps de débarquer ou d’embarquer ses passagers, les moteurs toujours en marche, et re-décoller aussitôt.

*

Un parfum de nostalgie flottait sur les journées à Beaulieu, car les stagiaires vivaient là leurs derniers jours ensemble : la guerre était plus proche que jamais, leur séparation aussi. Au début, à Wanborough, ils ne s’étaient pas aimés ; ils s’étaient redoutés, ils s’étaient moqués les uns des autres, et parfois ils avaient volontairement appuyé leurs coups durant les entraînements. Mais, à présent qu’ils étaient sur le point de se quitter, ils réalisaient combien ils se manqueraient. Souvent, le soir, ils jouaient tous aux cartes : ils ne jouaient pas pour le jeu, ils jouaient pour être ensemble, pour oublier leur désarroi. Pour se rappeler combien ils avaient été bien, ensemble, malgré la dureté des entraînements. Et lorsqu’ils traverseraient le ciel de France, lorsque l’euphorie du saut s’estomperait et que la terreur ne les aurait pas encore frappés, il s’écoulerait une poignée de secondes durant lesquelles ils réaliseraient combien ils étaient désemparés, seuls avec eux-mêmes, et combien ils se regrettaient les uns les autres.

Un soir après une partie de cartes, Gros et Pal s’en allèrent marcher à travers le domaine des Montagu. La nuit était tombée depuis plusieurs heures, mais l’obscurité était légère ; la pleine lune éclairait l’immense parc, et la mousse qui envahissait les troncs des pins embaumait l’air d’une odeur précoce de printemps. Ils aperçurent au loin la silhouette d’un renard.

— Un Georges ! s’écria Gros, ému.

Pal salua le renard.

— Tu sais, Pal, je pense tout le temps à Melinda.

Le fils hocha la tête.

— Tu crois que je la retrouverai ?

— Sûrement, Gros.

Pal savait que Laura lui avait menti.

— Je te dis ça parce que je sais que tu penses aussi à Laura. Tout le temps ?

— Tout le temps.

— Et qu’est-ce que vous allez faire ? Je veux dire, après, quand on va se séparer ?

— Je l’ignore.

— Nan, parce que tu comprends, c’est des histoires de sérieux qu’on vit. Toi avec Laura, et moi avec Melinda. Elle m’a remarqué. Re-mar-qué. C’est pas de la cagnotte, ça !

— De la gnognotte.

— Ouais. C’est du sérieux, quoi. Dès que j’aurai une permission, je foncerai la voir. Enfin, tu sais ce que c’est quand ton cœur bat d’amour pour une belle femme.

Le fils opina encore. Et il songea qu’il regretterait bien Gros, et Gros songea qu’il regretterait bien Pal ; il n’avait jamais rencontré quelqu’un d’aussi loyal et fidèle.