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Alors que son retour n’était plus qu’une question de jours, Baker Street communiqua un message destiné à Hervé, l’agent du SOE qui dirigeait la mission. Elle le déchiffra et ne put s’empêcher de pleurer. Elle ne rentrait plus : elle devait se rendre à Paris, un agent avait besoin d’un opérateur radio.

— Que se passe-t-il ? demanda Hervé, qui faisait le guet à la fenêtre.

Il laissa tomber le rideau et s’approcha de la table où elle était installée. Elle éteignit l’émetteur, passa la main sur ses joues pour essuyer ses larmes ; Hervé lut le message qu’elle venait de transcrire.

— Je suis désolé, dit-il. Je sais à quel point tu avais hâte de rentrer.

— On est tous dans le même cas, s’étrangla-t-elle.

Ses larmes coulaient malgré elle.

— Je te prie de m’excuser, dit-elle.

— De quoi ?

— De pleurer.

D’un geste paternel, il passa sa main dans ses cheveux.

— T’as le droit de chialer, Laura.

— Je suis si fatiguée.

— Je sais.

Hervé, qui n’était pourtant pas homme à s’émouvoir facilement, ressentit un pincement au fond de son cœur : elle lui faisait de la peine, cette jolie blonde ; quel âge pouvait-elle avoir ? Vingt-cinq ans au plus. Toujours appliquée, toujours agréable à vivre. Lui-même avait une fille, plus ou moins de son âge ; elle vivait avec sa femme et leur jeune fils, près de Cambridge. Il n’aurait jamais supporté que sa fille fasse la guerre, cette guerre qui les éprouvait tous. Et quelques jours plus tôt, il avait même été heureux à l’annonce de la fin de mission de Laura ; elle allait rentrer saine et sauve. Mais à présent, qu’allait-elle devenir, à se promener jusqu’à Paris avec un émetteur radio qui remplissait une valise ? Un simple contrôle dans une gare et elle serait démasquée.

Il fallut à Laura de longues heures pour retrouver un peu de son calme. Elle avait peur ; elle n’avait jamais été envoyée seule en mission. En sa qualité d’opératrice radio, elle avait toujours été accompagnée d’un ou plusieurs agents. Traverser seule une partie de la France, cette idée la terrifiait.

Quelques jours passèrent ; le réseau fournit à Laura de nouveaux faux papiers ainsi qu’un laissez-passer pour quitter la zone interdite du Nord. À la veille de son départ, elle rangea ses quelques affaires dans une valise en cuir, l’émetteur radio tenant dans une autre. Hervé vint la trouver dans sa chambre.

— Je suis prête, lui dit-elle, au garde-à-vous.

Il sourit :

— Tu ne pars que demain.

— J’ai peur.

— C’est normal. Essaie de rester la plus naturelle possible, personne ne fera attention à toi.

Elle hocha la tête.

— Tu as une arme ?

— Oui. Un colt dans mon sac.

— Très bien. Tu as ta pilule L ?

— Aussi.

— Ce n’est qu’une précaution…

— Je sais.

Ils s’assirent côte à côte sur le lit de Laura.

— Tout va bien se passer, on se reverra très vite à Londres, lui dit Hervé, posant amicalement sa main sur la sienne.

— Oui, à Londres.

Sur la base du message de Londres, Hervé donna encore une fois les consignes de mission à la jeune femme. Il avait organisé son voyage à Paris avec des résistants, qui l’emmèneraient en camionnette jusqu’à Rouen. Elle y passerait la nuit. Elle prendrait le premier train du lendemain jusqu’à Paris. Ou celui du surlendemain ou du jour suivant si les règles de sécurité l’imposaient ; ne surtout pas monter dans le train si elle pressentait le moindre danger ou si elle remarquait une fouille ou un contrôle préalables. Mais dans tous les cas, elle devait arriver avant midi dans la capitale ; peu importait le jour, mais avant midi. Une fois arrivée, elle devrait se rendre directement à la bouche de métro de la station Montparnasse ; un agent du SOE l’y attendrait et la prendrait en charge. Elle devrait attendre que l’agent l’approche ; elle-même ne devait rien entreprendre. Il lui dirait : « J’ai vos deux livres, ça vous intéresse toujours ?  » et elle répondrait : « Non, merci, un seul suffit.  » L’agent l’introduirait ensuite auprès de son contact, un certain Gaillot, à Saint-Cloud. En cas de problème à Paris, Gaillot serait son moyen d’extraction.

Hervé fit répéter les instructions à Laura, et lui donna deux mille francs. Le lendemain, elle partit dans la camionnette des résistants, un couple de maraîchers de la région de Rouen. Elle avait le cœur en miettes.

38

En pleurs et en sueur, il déménageait tout son appartement pour la troisième fois. Il renversait les meubles, soulevait les tapis, sortait les livres de la bibliothèque, fouillait encore les poubelles. Il manquait une carte postale. Comment diable était-ce possible ? Tous les soirs, il les avait recomptées, amoureusement. Et puis, cinq soirs plus tôt, il en avait manqué une. C’était le mercredi soir. Son soir préféré. Il avait d’abord cherché sans inquiétude, entre les pages du livre. Rien. Il avait ensuite regardé par terre, dans la cheminée. Rien toujours. Alors, pris de panique, il avait cherché dans tout l’appartement. En vain. Le lendemain, atterré, il avait refait pas à pas le chemin jusqu’au ministère, et il avait fouillé son bureau. Dans le doute. Mais il savait qu’elles n’avaient jamais quitté la rue du Bac. Jamais. Alors il avait fouillé tout l’appartement, minutieusement, dans les moindres recoins. Partout. Il n’en avait pas dormi. Et il avait recommencé encore. Et en ce cinquième soir, après une ultime recherche désespérée, il avait la certitude que la carte n’était plus dans l’appartement. Où était-elle alors ?

Épuisé, il s’affala sur un fauteuil qui avait migré dans l’entrée pour la durée des opérations ; il rassembla ses esprits. Il voulait comprendre. Et soudain, il se frappa le front : quelqu’un était venu chez lui ! Il avait été cambriolé ! Et il n’avait rien remarqué ! Que lui avait-on pris d’autre ? Il y avait à présent un tel désordre dans l’appartement qu’il ne saurait plus dire ce qui manquait ou non. Il avait laissé la porte ouverte, pendant deux ans. Deux ans que Paul-Émile était parti, deux ans qu’il n’avait plus tourné la clé dans la serrure. Deux ans déjà. Il fallait bien qu’il se fasse cambrioler un jour. Un pauvre bougre sans doute, à la recherche de nourriture : la ration de viande était tombée à 120 grammes. Le père espérait qu’au moins ce méfait permettrait au voyou de manger à sa faim. Il avait certainement pris de l’argenterie aussi, il la revendrait à bon prix. Mais pourquoi avoir volé une carte postale ? Ça ne se mange pas, les cartes postales.

Le lendemain, en partant au travail, le père frappa à la loge de la concierge. Elle lui ouvrit, elle avait très mauvaise mine. Et en le voyant, elle eut un air affolé, comme s’il était un fantôme.

— Pas le temps pour vous ! s’écria-t-elle, paniquée.

— J’ai été cambriolé, lui dit-il tristement.