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Pal regarda Laura dans le fond des yeux. Elle avait des yeux magnifiques.

— Je dois partir demain, lui dit-il. Pour deux ou trois jours, c’est impératif. Quatre jours au plus et je suis de retour ici. Alors nous déciderons de notre départ.

Voilà, il irait trouver son père demain, et il lui dirait que ce serait soit Genève, soit l’Amérique.

— Reviens-moi vite ! supplia Laura.

— Promis.

— Promets-moi encore. Promets de m’aimer, comme tu me l’as promis à Londres. C’était tellement beau, je me souviendrai toujours des mots. Pour toujours.

— Je t’aimerai. Tous les jours. Toute ma vie. Toujours. Les jours de guerre et les jours de paix. Je t’aimerai.

— Tu as oublié : Toutes les nuits. Les matins et les soirs, à l’aube et au crépuscule.

Il sourit, elle n’avait rien oublié des mots. Pourtant il ne les avait prononcés qu’une seule fois. Il se reprit :

— Toutes les nuits. Les matins et les soirs, à l’aube et au crépuscule. Les jours de guerre et les jours de paix. Je t’aimerai.

Ils s’enlacèrent encore, longuement, et ils s’endormirent enfin. Heureux.

42

Le père préparait le déjeuner. Il avait déjà bouclé sa valise, une toute petite valise, avec le minimum nécessaire : brosse à dents, pyjama, bon roman, saucisson pour la route, sa pipe et quelques vêtements. Il regrettait de partir comme un voleur. Mais il le fallait, Paul-Émile le lui avait dit. Sur le mur, la pendule affichait onze heures.

*

Si le fils était l’un des agents du SOE à Paris, il irait voir son père. Kunszer en avait l’intime conviction. À cause des cartes postales, et parce que c’était sa seule piste. Gaillot avait dit avoir noué contact avec un certain Faron, un agent particulièrement dangereux qui préparait un attentat d’envergure sur Paris. Il n’avait pas d’informations précises sur ce Faron, qui était d’une méfiance rare, mais, s’il trouvait le fils, il pourrait certainement remonter la cellule terroriste et empêcher l’attentat. Le temps comptait, des vies étaient en jeu. Depuis la veille, il s’était posté avec deux autres agents dans une voiture, en face de la porte de l’immeuble, rue du Bac. Ce n’était plus qu’une question de temps. Il doutait que ce Paul-Émile soit déjà dans l’appartement ; mais s’il tardait trop à se montrer, il perquisitionnerait.

Kunszer scrutait les rares passants : il avait vu la photo du fils, il se souvenait parfaitement de son visage.

*

Pal remontait la rue du Bac. Il avait sa valise avec lui. Il regarda sa montre. Onze heures passées de deux minutes. Dans trois heures, ils seraient dans le train. Il avait hâte. Il accéléra le pas et atteignit l’entrée de l’immeuble. Il pensait à Laura ; il reviendrait la chercher, ils partiraient pour de bon. Il en avait assez du SOE. La guerre, ce n’était plus pour lui.

Il franchit la porte sans prendre d’autres précautions qu’un rapide coup d’œil dans la rue : tout était calme. Longeant le couloir étroit qui menait aux escaliers et à la cour intérieure où se trouvaient les boîtes aux lettres, il s’arrêta un instant, juste devant la loge de la concierge et huma l’air, retrouvant l’odeur familière de l’immeuble. Il entendit soudain des pas pressés derrière lui.

— Paul-Émile ?

Il se retourna dans un sursaut. Derrière lui, venait de rentrer à son tour dans l’immeuble un bel homme, longiligne, élégant. Armé d’un Luger, il le tenait en joue.

— Paul-Émile, articula de nouveau l’homme. J’avais désespéré de vous rencontrer un jour.

Qui était-il ? La Gestapo ? Il n’avait pas le moindre accent. Pal regarda autour de lui : il n’avait aucune possibilité de s’enfuir. Il était enfermé dans le couloir étroit. Il y avait la porte du débarras, à quelques pas, mais le débarras ne menait nulle part. La cour intérieure ? C’était un cul-de-sac. S’élancer dans les escaliers et gravir les étages ? Cela ne servirait à rien, l’autre ne le raterait pas ; l’entrée principale était la seule issue. Le désarmer ? Il était trop loin de lui pour tenter quoi que ce soit.

— Restez calme, dit l’homme. Je suis de la police.

Deux hommes en costume surgirent alors derrière l’homme au Luger, qui leur parla en allemand. C’étaient des Allemands. Pal, dévoré par la peur, essaya de réfléchir au mieux : il fallait coopérer, feindre l’étonnement. Surtout ne pas montrer sa panique, ce n’était peut-être qu’un contrôle de routine. Peut-être était-ce pour le travail obligatoire, il était dans la tranche d’âge. Oui, c’était sans doute le STO. Surtout, ne pas paniquer. Ne pas éveiller les soupçons. On lui demanderait de se présenter demain au commissariat, mais demain il ne serait plus là. Surtout garder son calme : il savait comment faire, il était entraîné pour ça.

Les deux costumes approchèrent de Pal, qui resta immobile.

— Que se passe-t-il, Messieurs ? demanda-t-il d’un ton parfaitement détaché.

Sans répondre, ils le saisirent par les bras, sans violence, le fouillèrent — il n’avait rien sur lui — et l’emmenèrent vers l’homme au Luger. Celui-ci désigna le débarras donnant sur le couloir et ils y poussèrent le fils avant d’obstruer l’ouverture de la porte en se plaçant devant. Pal sentit ses jambes trembler, il essaya de se contenir.

— Mais enfin, que me voulez-vous ? répéta le fils, perdant un peu de sa contenance.

Le premier homme rengaina son arme et entra dans le débarras à son tour.

— Paul-Émile, je suis l’agent Werner Kunszer, Gruppe III de l’Abwehr. Je crois savoir que vous êtes un agent britannique.

Ce Kunszer, dont le français était impeccable, avait l’air placide mais déterminé.

— Je ne comprends pas, Monsieur, répondit Pal.

Sa voix avait déraillé, il ne parvenait plus à lutter contre la panique. L’Abwehr, son pire cauchemar. Il était pris par l’Abwehr. Et comment ce Kunszer savait-il son nom ? Ce n’était pas possible, c’était un mauvais rêve. Qu’avait-il fait, Seigneur qu’avait-il fait ? Qu’allait-il lui arriver et qu’allait-il arriver à son père ?

— Je me doutais que vous nieriez, dit Kunszer d’un ton résigné.

Pal resta muet et Kunszer eut une moue. Il savait que le temps comptait. Quand aurait lieu l’attentat ? Quelle cible ? Pal était-il envoyé en éclaireur par d’autres agents ? Allaient-ils le rejoindre ici ? L’appartement du père était-il un lieu de rencontre clandestin ? Il devait avoir des réponses, très vite, maintenant. Plus le temps de retourner au Lutetia, de réfléchir ou de frapper. Il fixa Pal dans les yeux et poursuivit son monologue, la voix toujours calme.

— Je ne vous torturerai pas, Paul-Émile. Je n’essaierai même pas, car je n’en ai ni le temps, ni l’énergie. Mais si vous parlez, j’épargnerai votre père. C’est votre père, n’est-ce pas, qui habite ici, au premier étage ? Un petit bonhomme, charmant d’ailleurs, à qui vous avez écrit de jolies cartes postales. Si vous parlez, il ne me verra pas, ni moi, ni personne. Il vivra sa vie, tranquillement. Sans jamais de problème. Jamais de problème, vous m’entendez ? Et s’il a le moindre besoin, ne serait-ce qu’une ampoule qui ne fonctionne plus, je ferai en sorte qu’elle soit changée.

Kunszer laissa planer un long silence. Pal ne parvenait plus à respirer. Qu’avait-il fait, Seigneur qu’avait-il fait en venant ici ? L’Allemand reprit :

— Mais si vous ne parlez pas, cher Paul-Émile, si vous ne parlez pas, je jure sur ma vie d’aller chercher votre père, votre gentil petit père. Je jure de lui infliger les pires souffrances qu’un homme puisse subir, pendant des jours entiers, des semaines. Je lui enverrai le feu et le diable, je lui enverrai la Gestapo et les plus épouvantables bourreaux, puis je l’enverrai dans un camp en Pologne, où il mourra lentement, atrocement, de froid, de faim, et de coups. Je le jure sur ma vie : votre père, si vous ne parlez pas, ne sera même plus un être humain. Il ne sera même plus une ombre. Il ne sera plus rien.