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Claude se leva d’un bond, et les deux hommes se donnèrent une longue accolade.

— Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Et en uniforme ! Quelle classe !

Key pointa du doigt une terrasse où étaient attablés des soldats.

— Je suis avec des gars des groupes interalliés, venus du ciel pour botter le cul des derniers Allemands. On a été parachutés dans la région juste avant le Débarquement…

Key ne put terminer sa phrase car une immense masse arriva en trombe et se jeta sur lui, l’étreignant avec une affection inouïe.

— Key ! Key !

— Gros !

Gros contempla son ami tout en lui tenant fermement les deux épaules.

— T’as un uniforme, Kiki ! Tu es superbe dedans !

— Merci, Gros. Si tu en veux un, on en a plein. Figure-toi que nous, au SOE, avec nos parachutages de conteneurs, on est des minables à côté de certains : les SAS, mon pote, se font parachuter des voitures !

— Des bagnoles, t’entends ça, Cul-Cul ? Des bagnoles !

Ils rirent, fous de joie, et marchèrent un long moment sur la jetée, dans un flot ininterrompu de paroles. Qui était retourné à Londres depuis février ? Personne. Et Laura ? Et l’enfant ? On n’en savait rien. Ils avaient hâte de rentrer, hâte de revoir tous ceux qui leur avaient manqué, et ils se posèrent mutuellement toutes les questions qui leur brûlaient les lèvres. Ils passèrent l’après-midi ensemble, et à la fin de la journée, ils décidèrent de ne pas se quitter. Key laissa ses camarades et accompagna Gros et Claude au maquis pour la soirée. Le maquis était superbe, dans la douceur d’une fin de journée d’été, embaumé par les odeurs des pins, à l’abri du monde, avec pour seuls bruits les chants des cigales et des sauterelles.

— C’est pas mal, ici, dit Key.

— C’est notre petit coin de paradis ! déclara Gros, pas peu fier d’impressionner Key.

Claude fit visiter à Key les installations des maquisards, il lui présenta Trintier ; le Sud était libéré et de nombreux combattants étaient repartis, mais Trintier, fidèle, continuait à emmener ses hommes en patrouille, veillant sur la population et traquant d’éventuels collaborateurs.

Lorsqu’ils passèrent près du ruisseau, Gros plongea les mains dans l’eau et en sortit sa bouteille en fer.

— Tu veux de ma bonne eau, Kiki ? De l’eau bien fraîche, toute une journée dans le ruisseau. La meilleure eau de France.

Key but cérémonieusement quelques gorgées de cette eau si rare. Puis ils firent un feu, et ils chahutèrent. Au crépuscule, ils vidèrent des conserves dans des gamelles et mangèrent gaiement. Ils parlèrent ; et ils parlèrent encore. Claude trouva un peu d’alcool et ils trinquèrent. À la liberté de la France, à leur retour à Londres, à la fin de la guerre qu’ils espéraient proche et à la nouvelle vie qui pourrait commencer. Plus tard, Gros s’endormit près du feu, ronflant d’aise. Il se sentait bien à l’abri maintenant que Key était là ; cette nuit, c’était sûr, il ne ferait pas de cauchemar. Claude posa une couverture sur lui.

— Que va-t-on faire de lui maintenant ? murmura-t-il. Notre coin de paradis qu’il dit…

Key sourit.

— Bah. On s’en occupera bien…

Claude contempla le dormeur heureux :

— Key, il faut que je te dise…

— Quoi ?

— Pal… il était dans ce maquis avant d’aller à Paris.

— Et ?

— Il est arrivé ici, il disait qu’il se sentait en danger. Il a dit qu’il voulait aller à Paris… Et ensuite, il s’est fait capturer…

— Tu penses à un traître ?

— Oui.

— Qui ?

— J’avais plusieurs pistes, mais la plus sérieuse à mon sens est un type qui s’appelle Robert, un résistant du maquis. Il faisait partie du comité de réception à l’arrivée de Pal, c’est lui qui l’a conduit jusqu’à la gare de Nice. Il savait pour Paris. Et je crois qu’il trafique de drôles de combines avec les livraisons aériennes. Ça m’étonnerait pas qu’il fricote avec les Boches.

— Ce sont des accusations graves… Il faut être sûrs de nous.

— Je sais.

— Quelle est ton autre piste ?

— Aymon, un maquisard aussi.

Key eut un air songeur.

— Laissons-nous la nuit pour y réfléchir, proposa-t-il.

Les trois hommes passèrent la nuit ensemble, près du feu. Le lendemain matin, Claude et Key décidèrent d’approfondir leur enquête ; ils se débarrassèrent de Gros en lui confiant une tâche aussi longue qu’inutile, puis ils allèrent trouver Aymon. Key l’interrogea durant près d’une heure, assis face à face, le fixant dans les yeux ; dans son uniforme, il était très impressionnant.

— C’est pas lui, dit-il à Claude lorsqu’il en eut terminé. C’est un brave type, aucun doute.

— Je pensais la même chose.

— Passons à l’autre, ce Robert. Où peut-on le trouver ?

— Il n’habite pas ici. Dans un village proche.

— Allons l’interroger.

— Et si c’est pas lui non plus ?

— Alors nous poursuivrons notre enquête. Les traîtres ne doivent pas avoir de répit.

Le curé approuva.

Ils se mirent en route. Le village se trouvait à une heure à pied environ du maquis. En y arrivant, les deux hommes attirèrent les regards, à cause des revolvers, du brassard, de l’uniforme. Ils trouvèrent la maison, peu après la sortie du village ; c’était une petite bâtisse en pierre et en bois avec un atelier de mécanique attenant. Non loin de là, un groupe de trois habitations. Ils frappèrent à la porte ; un enfant d’une dizaine d’années leur ouvrit.

— Bonjour, mon garçon. Ton père est-il là ? demanda Claude.

— Non, M’sieur.

— Il est dans son garage ?

— Non, M’sieur.

— Tu es seul ici ?

— Oui, M’sieur.

— Ton père revient quand ?

— Plus tard, M’sieur. Vous voulez entrer ?

— Non, mon garçon. Nous reviendrons. Merci.

Claude et Key s’éloignèrent de quelques pas. Il faisait déjà chaud. Key pointa l’atelier du doigt.

— Il est mécano ton Robert ?

— Quelque chose comme ça.

Ils s’approchèrent de l’atelier et regardèrent par les vitres couvertes de poussière. L’endroit était désert.

— Allons jeter un œil, proposa Key.

— Pour quoi faire ?

— Pour jeter un œil.

Key regarda aux alentours ; il n’y avait personne. Et la maison, un peu à l’écart de la route, était à l’abri des regards. D’un bon coup de pied, Key fit voler la serrure. C’est ce qu’ils avaient appris à Beaulieu : on ne vient pas à bout d’une serrure avec une pince ou une épingle. On la casse. Tout simplement.

Des amas de tôles jonchaient l’intérieur. Ils ouvrirent quelques caisses et soulevèrent çà et là un chiffon plein de cambouis. Rien. Soudain, Claude interpella Key et lui montrant une pince coupante :

— C’est de l’outillage livré par Londres, ça.

Key, le regard sombre, acquiesça. Alors ils fouillèrent l’endroit, méticuleusement ; et ils trouvèrent des outils et des rations de nourriture. Il y avait là le matériel du SOE qui manquait dans les réserves du maquis.

— Eh bien, je crois qu’on a plus de doutes maintenant… murmura Claude.

*

La journée touchait à sa fin. Ils attendaient depuis des heures, tapis dans les fourrés. La femme de Robert était rentrée à midi, avec un autre enfant, âgé de cinq ou six ans. Mais Robert ne se montrait pas.

— Tu crois qu’il a su qu’on était là ? demanda Claude. On lui aura sûrement parlé de l’uniforme dans le village et il a pris peur.