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Ils payèrent à la serveuse leurs œufs au bacon, leurs tartines grillées de pain complet, leurs cafés au lait et le chocolat chaud de Thomas. Une clientèle locale commençait à arriver et Leo semblait soucieux, agité. Il était temps de passer aux choses sérieuses. Tous savaient parfaitement possible que le père de Leo ait été une des cibles de la dernière série d’attaques. Werner Beck était connu pour sa richesse et la solidité de ses défenses, mais personne n’était immortel.

Sa maison se trouvait plus loin du centre qu’elle ne leur avait paru sur la carte, et pendant le trajet Cassie vit à la manière dont Leo remontait les épaules ou jetait compulsivement des coups d’œil dans son dos qu’il était de plus en plus tendu. Elle dut lui demander à deux reprises de ralentir pour que Thomas arrive à suivre. Il faisait frais, mais le soleil et la marche rapide lui mirent le visage en sueur. Jordan Landing était une ville vallonnée, avec parfois, marron et encombré de bateaux, le Mississippi qui apparaissait à l’ouest.

Elle fut surprise, contre toute attente, quand ils arrivèrent enfin en vue de la maison : elle était petite et quelconque, ce qui était sans doute la raison pour laquelle Werner Beck l’avait choisie. Il aurait pu s’offrir un appartement de grand standing sur un toit de Manhattan, mais avait préféré par prudence cette habitation on ne peut plus ordinaire dans cette ville on ne peut plus banale. C’était la dernière maison de la rue, qui partait en légère courbe vers l’est depuis le quai sur le Mississippi. Cassie supposa que ces petites demeures appartenaient pour la plupart aux ouvriers de la briqueterie et de l’usine John Deere. Chacune disposait à l’arrière d’un terrain non bâti, séparé de son voisin par une haie ou une palissade. Certains jardins étaient très soignés, et à présent prêts à affronter l’hiver… Dans l’un d’eux, une vieille femme occupée à étendre des bâches sur ses rosiers leva la tête et les salua timidement de la main. Cassie lui rendit son salut comme si elle habitait le quartier. Mieux valait ne pas donner l’impression de vouloir passer inaperçus.

Leo suivit l’allée de pavés autobloquants jusqu’à la porte de son père. Cassie s’aperçut, consternée, que plusieurs quotidiens apportés par le livreur de journaux gisaient sur la véranda. Leo avait emporté son pistolet, qu’il dissimulait dans sa ceinture sous sa chemise et sa veste. Il le sortit en le tenant discrètement devant lui. Il frappa à la porte, attendit, sonna une fois, puis une deuxième. Aucune réponse. Il essaya la poignée et la porte, non verrouillée, s’ouvrit.

« Attendez ici », dit-il avec brusquerie.

Cassie sentit Thomas lui prendre la main. C’était peut-être imprudent de l’avoir emmené, mais le laisser au motel n’avait pas semblé plus sage. Et elle ne s’était pas imaginé que les sims, même s’ils étaient venus chez Werner Beck, puissent être encore là… Pourquoi seraient-ils restés ? Elle recula malgré tout de quelques pas, juste au cas où, puis se pencha pour murmurer à son petit frère : « S’il faut que tu coures, fais-le. Ne t’inquiète pas pour moi. » Cela effraya Thomas, mais c’était inévitable.

Leo disparut dans l’ombre à l’intérieur pendant que Beth boudait sur la véranda. Quelques minutes s’écoulèrent. Cassie entendit une cloche d’église sonner au loin, assourdie par l’air matinal. La journée semblait comme engloutie dans du verre bleu et frais.

Leo réapparut sur le seuil, l’air affligé, pour leur faire signe d’entrer.

Rien n’indiquait que le père de Leo s’était fait tuer. On ne voyait ni sang, ni meubles renversés ou verre brisé, ni impacts de balles dans les murs. Mais Werner Beck était parti, apparemment depuis plusieurs jours et à la hâte. Un repas inachevé attendait sur la table de la cuisine : du rosbif figé dans sa sauce, du pain beurré sur lequel apparaissaient quelques filets de moisissure. Un exemplaire non ouvert d’un journal de petites annonces local reposait à côté de l’assiette.

Cassie suivit Leo à l’étage dans ce qui avait dû être le cabinet de travail de Beck, partagé entre un bureau en chêne, une bibliothèque et des classeurs verticaux. Ceux-ci avaient été fouillés : leurs tiroirs étaient ouverts, certains sortis et vidés par terre. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda Beth.

Leo haussa les épaules. « Manifestement, quelqu’un est venu chercher quelque chose.

— Et tu crois qu’il l’a trouvé ?

— Va savoir. Mais je connais un endroit où personne n’a dû regarder. »

Ils redescendirent dans le petit salon, meublé par Werner Beck dans un style dépouillé, presque désinvolte : un canapé quelconque, une table basse simple, ni télévision ni radio. Leo poussa la table basse contre le mur pour soulever le tapis en coton. Il examina un instant le parquet ainsi découvert, puis glissa son doigt dans un trou de nœud et tira.

Une section carrée large de trois lames lui vint dans la main. Elle avait été si précisément découpée que ses jonctions restaient invisibles. Dessous, dans l’espace entre le parquet et le béton des fondations, il y avait un petit coffre-fort en acier avec une serrure à combinaison sur la face supérieure. « Il m’a dit qu’il avait ça là, expliqua Leo. Au cas où il lui arrive quelque chose.

— Et alors, il y a quoi à l’intérieur ? demanda Beth.

— Ce dont j’ai besoin. Il n’a jamais rien dit de plus. Seulement où regarder et de retenir la combinaison. »

Il manipula le cadran en marmonnant les chiffres entre ses dents. Au moment où il ouvrait la porte bien huilée, Cassie s’accroupit à côté de Beth derrière lui tout en regardant par-dessus son épaule. Il plongea la main à l’intérieur et en retira une épaisse enveloppe en papier kraft.

Il la vida sur la table basse. Il n’y a pas grand-chose, s’étonna Cassie intérieurement.

Une carte routière.

Une liste manuscrite, apparemment de noms de villes.

Quelques pages dactylographiées agrafées par le coin.

Et une clé.

10

Campagne du Vermont

Ethan conduisit Nerissa dans le grenier de la ferme, où il consulta ses moniteurs de vidéosurveillance. Deux sims approchaient côté route. Malgré le soir qui tombait, il vit parfaitement qu’ils braquaient des fusils automatiques. Seuls les militaires étaient légalement autorisés à porter de telles armes, mais ces deux hommes, qui paraissaient à peu près du même âge que la créature dans la cave, ne ressemblaient pas à des soldats. L’un portait un costume, l’autre un jean et une chemise en velours côtelé. Ils avançaient en parallèle, chacun d’un côté du chemin, en restant dans l’ombre des arbres.

Cela, c’était devant la ferme. À l’arrière, les caméras de surveillance semblaient désormais éteintes, laissant Ethan complètement aveugle. Il ne pouvait de toute manière remédier qu’à un problème à la fois. Il prit un des trois fusils de chasse rangés au râtelier mural et alla à la fenêtre orientée à l’ouest. Il en avait remplacé le châssis et les vitres par un épais panneau de bouleau percé d’une embrasure assez large pour viser avec le canon de son fusil.

La première cible serait la plus facile. Il attendit que le sim en costume arrive sur l’espace dégagé qu’il fallait traverser pour accéder à la maison. Lorsqu’il quitta à toutes jambes le couvert des arbres, le premier coup de feu d’Ethan lui fendit le crâne, créant une cascade de matière verte veinée de sang.