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Aucune importance, soutenait-il. Du moment que l’équipement radio et le matériel incendiaire étaient livrés dans le désert, quelques hommes, voire seulement trois ou quatre, suffiraient à mener l’attaque à bien. Si tout se passait comme prévu.

C’était sur ce plan qu’Ethan avait parié son existence.

Au rez-de-chaussée, Nerissa trouva Beth Vance seule dans la salle commune qui jouxtait la cuisine. Elle n’avait pas encore assimilé que son père était toujours vivant.

Un sim seul et sans armes avait abordé John Vance le jour où Cassie et Thomas s’étaient enfuis de Buffalo. Ils avaient vu qu’on sortait un cadavre de l’immeuble où habitaient Beth et son père, mais il s’agissait des restes du sim : John avait préféré lui tirer dessus plutôt qu’engager la conversation. Il se cachait depuis, Nerissa ignorait où, mais quelqu’un à Buffalo pourrait lui permettre de renouer le contact avec Beth quand ils rentreraient.

La jeune femme leva les yeux vers Nerissa, le visage impénétrable. « Tu étais avec mon père quand il a tué le sim ?

— On pourra en parler demain.

— Je préférerais tout de suite.

— D’accord. Comme tu veux. La réponse est non : j’étais déjà repartie chez moi.

— Mais tu as passé la nuit ?

— Oui.

— Je le savais. Il m’avait dit qu’il voyait quelqu’un. Mais pas qui. » Elle jeta un nouveau coup d’œil à Nerissa avant de détourner le regard. « Ce n’était pas la première fois. Sauf qu’il ne sort pas avec des femmes de la Society, d’habitude. En général, il ne sort qu’une fois avec une femme. C’est pour ça que j’étais chez Leo, d’ailleurs. Mon père se fichait de l’endroit où je passais le week-end, du moment que ce n’était pas chez nous.

— Possible. Et possible que j’aie fait une erreur en sortant avec lui. Mais je suis sûre qu’il s’inquiète pour toi.

— Pas suffisamment pour partir à ma recherche. Comme tu l’as fait pour Cassie et Thomas.

— Ce n’est pas comparable. Il ne sait rien de Werner Beck ni de Leo. Ton père ne s’est jamais intéressé aux activités de la Society. »

Paradoxalement, c’était une des raisons pour lesquelles elle avait accepté de passer la nuit avec lui. Comme John, elle n’aurait jamais connu la Society sans son mariage, comme lui, la manière dont elle leur avait gâché la vie continuait à la mettre en colère.

« Ouais, c’est vrai, dit Beth. Il n’aime déjà pas que j’aille aux réunions de survivants. Sans doute qu’on n’aurait pas eu le moindre rapport avec la Society s’il n’avait pas eu besoin de l’allocation. Elle n’était pas très élevée, mais elle changeait la donne. Il te plaît, mon père ?

— On est amis, mais je pense que ça n’allait nulle part.

— Il n’est pas ton genre, hein ?

— On n’était peut-être tout simplement pas ce qu’on croyait être.

— Il est vraiment chiant, des fois. Je ne retournerai pas chez lui.

— Quoi ?

— Ne prends pas l’air stupéfait comme ça. Je le connais mieux que toi. Je rentrerai aux States, mais pas pour vivre avec lui.

— Mais pourquoi ?

— Il ne m’a jamais, tu sais, touchée ni rien. Mais il aime regarder. Et dire des choses. »

Nerissa mit quelques secondes à trouver des mots. « Je suis désolée.

— T’inquiète. Les gens ne sont pas toujours ce qu’on croit. Mais j’imagine que tu le sais. »

Nerissa dormit par à-coups près de la porte de la chambre : elle sursautait à chaque bruit que produisait la maison en négociant avec la fraîcheur de la nuit. Et, ayant enfin sombré dans un sommeil plus profond, elle se réveilla honteusement en retard. Il fallait qu’elle parle à Beck des dispositions à prendre pour son retour aux États-Unis… elle était bien déterminée à ne pas passer une nuit de plus sous ce toit, elle logerait à l’hôtel avec les gamins si nécessaire… mais le temps qu’elle s’habille et qu’elle descende, Beck était déjà sorti avec Leo faire une course. Ils reviendraient avant le dîner, lui indiqua Cassie.

Midi arriva. Derrière les fenêtres, l’air lui-même semblait pâle et brûlant. Beth broyait du noir dans la pénombre de la salle commune en compagnie d’un Eugene Dowd tout aussi maussade. Assise dans la cuisine, Cassie regarda Nerissa réchauffer des empanadas précuits achetés au magasin d’en face. Elle voulut discuter de ce que le sim Winston Bayliss avait dit dans la ferme d’Ethan, de cette éventualité que l’hypercolonie ait été infectée par une entité rivale. Était-ce possible ? Peut-être, répondit Nerissa. Beck avait affirmé détenir quelques éléments de preuve. Mais la parole de l’hypercolonie avait tout autant de valeur que celle du diable. Rien de ce qu’elle racontait n’était digne de confiance.

« Mais quand même, si c’est vrai, ça pourrait nous aider.

— J’en doute, Cassie. Ça ne ferait que rendre les sims plus imprévisibles. » Et plus dangereux, comme un animal blessé et acculé. Elle repensa à Ethan, en ce troisième jour de son voyage dans le désert.

Beck et Leo revinrent dans la chaleur lourde de la fin d’après-midi. Beck entra avec les épaules en arrière et la tête penchée à un angle prétentieux, visiblement ravi de lui-même. « Nous nous sommes procuré un petit camion rempli de matériel incendiaire, annonça-t-il à Dowd. On peut partir dès que le matériel radio est prêt. »

Nerissa en fut un peu surprise : rien d’autre dans le plan de Beck ne s’était déroulé aussi facilement. Mais acheter des explosifs au marché noir dans une ville qui subvenait aux besoins d’une importante industrie d’extraction de minerai ne posait peut-être pas d’énormes difficultés.

Contrairement à son père, Leo arborait une expression sombre pleine de mépris. « Montre-leur ce que tu as acheté d’autre », dit-il d’une voix sans timbre.

Son père lui décocha un regard hostile, puis ouvrit le sac qu’il tenait dans la main droite.

Il contenait une boîte en plastique blanc sans aucune inscription. Beck la posa sur la table de la cuisine pour ôter le couvercle. À l’intérieur, une protection en mousse sur mesure entourait une seringue graduée en verre et une dizaine d’aiguilles dans des sachets stériles en papier.

« Je vais vous expliquer », dit Beck.

25

San Pedro de Atacama

Ethan entra dans San Pedro de Atacama à l’aube et coupa le chauffage de l’automobile au moment où le soleil se détachait de l’horizon. Il se sentait fatigué et la tête lui tournait, probablement à cause de l’altitude. Le plateau d’Atacama était presque à 2 400 mètres au-dessus du niveau de la mer. À une dangereuse proximité des étoiles.

Et d’autres choses. Le gouvernement chilien décourageait le tourisme dans l’Atacama et, d’après Beck, les lignes aériennes commerciales contournaient délibérément cette partie du désert. (L’hypercolonie était parvenue à ce résultat, supposait-il, en utilisant sa boîte à outils habituelle : appels téléphoniques et messages radio discrètement et imperceptiblement modifiés ou redirigés, décisions d’importance apparemment secondaire ayant par effet domino la répercussion voulue, jamais d’intervention trop directe pour sembler suspecte ou laisser des traces manifestes…) La mine de cuivre de Chuquicamata, au nord-ouest, était la seule véritable industrie de la région. Le terminal ferroviaire et les entrepôts en périphérie servaient surtout à Chuquicamata et à quelques mines de moindre importance. La ville elle-même était un pueblo d’environ 1 500 habitants permanents, et il fut tout de suite évident que, si les soldats de Beck pouvaient passer inaperçus sur la route, ils seraient impossibles à loger discrètement à San Pedro de Atacama. Le seul hôtel, un bâtiment d’adobe à trois niveaux, comptait une douzaine de petites chambres réparties autour d’une cour centrale pourvue d’une fontaine en béton tarie. Ethan affirma au réceptionniste qu’il venait voir la Valle de la Luna.