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« ¿ Es usted un geólogo ?

 Soy un geólogo por cuenta propia », répondit-il en laissant l’homme imaginer en quoi pouvait consister un géologue à son compte. Il signa le registre sous un faux nom.

Il dormit plus longtemps qu’il n’en avait eu l’intention, rêvant d’un passage sur la guêpe glyptapanteles dans un de ses livres. Cette espèce pond ses œufs dans le corps de chenilles arpenteuses et ses larves fraîchement écloses se nourrissent de l’insecte en vie… comportement parasitaire typique, avec pour désagréable particularité que les larves, quand elles détectent l’approche d’un possible prédateur, provoquent chez leur hôte des convulsions de douleur. Obligée de simuler l’agressivité, leur victime défend ainsi ses meurtrières alors même qu’elles sont en train de la dévorer. Dans son rêve, Ethan n’agissait pas, mais regardait sans émotion aucune le cycle se répéter encore et encore. Ce n’est qu’en se réveillant qu’il fut pris d’horreur.

À mauvais escient, se dit-il sous la douche. Sa compassion était de l’anthropomorphisme, une projection. La chenille n’était guère qu’un moteur protéinique qui se conformait à une suite de comportements prédéterminés. Un robot de chair. Tout comme moi, sauf que dans l’espèce à laquelle appartenait Ethan, l’évolution avait produit un moi conscient à base de chimie et d’imprévu. Je ressens, donc j’ai en horreur.

Il avait gâché malgré lui la majeure partie de la journée au lit, aussi comptait-il utiliser au mieux le temps qu’il lui restait. Le soir commençait à tomber quand il traversa la ville pour en gagner la périphérie industrielle, avec ses entrepôts et ses stations de carburant, ses voies de triage près desquelles les conteneurs et les citernes de propane, serrés les uns contre les autres, semblaient les yourtes abandonnées de géants nomades. En s’arrêtant quelques instants sur la route, il vit des mécaniciens s’occuper d’un aiguillage récalcitrant à la lueur de lampes à halogénure lumineuses comme de petits soleils.

Difficile de ne pas céder au découragement. Ce que voulait faire Beck était d’une portée considérable et il y avait tant de manières que cela tourne mal. Impossible de savoir combien d’agents (humains ou sims) l’hypercolonie avait placés à San Pedro de Atacama, ni ce qu’elle avait déjà découvert ou deviné du plan de Beck. Mais peut-être ces doutes faisaient-ils simplement partie de ce qu’Ethan commençait à reconnaître comme un début de dépression, les loups du désespoir refermant leur cercle sur lui. Il ne put s’empêcher de penser à Nerissa : entre eux, une porte longtemps close s’était rouverte et il l’avait laissée se fermer à nouveau. Tout cela pour quoi ? Cette manifestation insensée d’arrogance de l’humanité ?

Il conduisit sans destination précise et ne s’aperçut qu’une fois à de nombreux kilomètres de la ville qu’il suivait la route décrite par Beck, celle conduisant à la zone de reproduction de l’hypercolonie. Qui se trouvait environ quatre-vingts kilomètres plus loin dans le désert et dont Ethan n’avait pas l’intention de s’approcher vraiment davantage. Mais il n’y avait personne sur la route et rouler lui faisait du bien. Une demi-lune veillait tel un dieu attentif sur les salants. Ethan était invulnérable dans sa tristesse. Il laissa l’asphalte continuer à défiler sous ses roues.

Il s’arrêta sur le bas-côté quand il se rendit compte qu’il avait ajouté presque vingt-cinq kilomètres au compteur. Il faisait froid, aussi brancha-t-il le chauffage en se remémorant une fois de plus qu’il se trouvait sur le haut plateau de Puna de Atacama et que seule une fine couche d’atmosphère le séparait du vide de l’espace. Il chercha sur l’horizon la colonne lumineuse décrite par Beck, mais ne vit s’y produire que la lente rotation des étoiles.

Il frissonna et fit demi-tour. La circulation avait été rare, quelques camions et remorques à plate-forme surbaissée qui l’avaient croisé dans un grondement, mais des phares apparurent dans son rétroviseur alors qu’il repartait. Deux pick-up blancs banalisés : le premier, imité peu après par le second, remonta à sa hauteur avant de le dépasser à toute allure. Ethan regarda avec soulagement leurs feux arrière décroître au loin.

Ils n’étaient pas venus pour lui. Mais l’endroit n’était pas sûr. Ethan quitta la route des yeux le temps de sortir de la boîte à gants le pistolet chargé que Beck s’était procuré et lui avait fait emporter. Il posa l’arme sur le siège passager, sans intention de s’en servir, mais cela le rassurait qu’elle soit à portée de main.

Il repensa à son rêve, aux larves de glyptapanteles qui faisaient se contorsionner frénétiquement leur hôte. L’analogie en valait une autre pour ce qui était en train de se produire, à en croire Winston Bayliss : l’hypercolonie, qui élevait ses petits dans la nutritive chaleur de la culture humaine, avait été attaquée par un prédateur concurrent et tout aussi étranger qu’elle à l’humanité. Le prédateur comme sa proie essayaient d’utiliser des êtres humains dans leur combat. Et si tout cela était vrai, quels intérêts servirait la guerre de Beck ? Mais prendre cette question au sérieux signifiait s’abstenir de faire quoi que ce soit… une espèce de paralysie induite, et peut-être s’agissait-il justement du résultat espéré par l’hypercolonie.

Nous voyons dans un miroir, obscurément, comme disait Nerissa. Une citation biblique. Du Nouveau Testament, si la mémoire d’Ethan était bonne. Dans la lettre aux Corinthiens ? Nerissa aurait su.

Dans le verre sombre de son rétroviseur, il vit d’autres phares approcher rapidement. Il eut beau peser un peu plus sur l’accélérateur, ils continuèrent à gagner du terrain.

Nous voyons dans un miroir, obscurément… Je n’ai à présent qu’une connaissance partielle, mais je connaîtrai un jour comme je suis connu… Il y avait quelque chose devant lui sur la route éclairée par la lune, mais dans l’ombre d’une émergence verticale de granit. Il ralentit jusqu’à bien distinguer l’obstacle, qu’il mit du temps à reconnaître : c’était les pick-up qui l’avaient dépassé, un sur chaque file, tous deux pointés à présent dans sa direction, tous deux immobiles et sans aucune lumière. Ils allumèrent leurs phares au moment où, d’un coup de volant, il allait passer sur le bas-côté. Aveuglé, il fut obligé d’écraser le frein pour ne pas sortir de la route.

Il parvint à s’arrêter. Le pistolet glissa du siège et tomba par terre. Il le cherchait à tâtons quand un homme tapa sur sa vitre avec une torche électrique. « Professeur Iverson ? »

Les doigts d’Ethan se refermèrent sur la crosse. Il se redressa. L’homme, en chemise de travail et jean, était coiffé d’une casquette de base-ball. Il avait le visage terne et ses yeux reflétaient la lumière de la lune. Ethan lui tira dessus à travers la vitre.

Le verre de sécurité explosa en une pluie de fragments. Le temps qu’Ethan rouvre les yeux, l’homme — le sim — était tombé hors de vue. Mais l’odeur de matière verte se mêlait à la puanteur de poudre brûlée, étourdissant Ethan de souvenirs de chlorophylle, de vinaigre, de pain moisi et de feuilles écrasées…