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La sim l’accompagna jusqu’à un véhicule stationné dans le couloir en béton devant sa cellule. Cette galerie était assez large pour permettre aux camionnettes, aux petits pick-up et à un certain nombre de voiturettes biplaces de circuler dans les deux sens. Les piétons, au corps humain ou à six membres, se pressaient le long des murs. La plupart de ceux à corps humain étaient de jeunes adultes des deux sexes : on ne voyait parmi eux qu’un petit nombre d’adolescents et de vigoureux seniors. Ethan supposa qu’on logeait ailleurs les très jeunes et qu’on chargeait les plus âgés d’un travail moins difficile, puis qu’on finissait par les autoriser à mourir. (Il pensa à la légère fumée noire qui montait de certains bunkers de la zone.) Ni les sims humains ni ceux d’apparence extraterrestre ne faisaient attention à lui ou ne parlaient entre eux. Seul le grondement des moteurs résonnait dans le couloir.

Pas de menottes, ce jour-là : on le laissa s’installer les mains libres dans la voiturette. Il aurait pu s’enfuir, s’il avait voulu. Mais il ne serait pas allé très loin.

« Werner Beck appelle cet endroit des installations de reproduction, dit la sim. Ce n’est pas tout à fait exact. L’hypercolonie est là depuis des siècles, durant lesquels elle n’a cessé de procréer, et par là je veux dire reproduire des cellules individuelles ou donner naissance à des simulacres. Si vous préférez une métaphore entomologique, il serait plus correct de dire que ce qui se passe ici dans l’Atacama est une espèce d’essaimage. »

Elle embraya. Elle avait de petites mains très propres. Tous les sims ont l’air propre, ici, remarqua Ethan. Il s’imagina des douches communes, mille barres de savon identiques.

« L’hypercolonie a colonisé de nombreux mondes habités sur une durée immense. Je ne sais ni combien de mondes, ni pendant combien d’années. Certaines parties de son passé sont dissimulées. Votre représentation de l’hypercolonie est exacte : elle ne peut pas se connaître de la manière dont un humain se connaît. Mais elle contient des descriptions d’elle-même formulées par d’autres espèces. Par exemple, l’une d’elles suppose que l’hypercolonie est le résultat de l’évolution d’organismes autoréplicants qui se sont adaptés à l’environnement de l’espace interplanétaire. Dans de nombreuses autres, elle agit en symbiose avec des civilisations qui construisent des machines. Peut-être a-t-elle été en partie conçue par l’une de ces civilisations… en d’autres termes, elle pourrait être un cultivar qui s’est échappé dans la nature. Et elle est souvent décrite comme fondamentalement bienfaisante. Elle prévient ou minimise les problèmes dont souffrent inévitablement ses civilisations partenaires : guerre, pauvreté superflue, superstition insupportable. »

Elle mêla la voiturette à la circulation. Ethan se retrouva les yeux posés sur un énième pick-up Ford blanc, avec un espace vierge à l’emplacement de la plaque minéralogique. Des ventilateurs au-dessus de leurs têtes évacuaient les gaz d’échappement. « Essaimez, alors. Résolvez le problème.

— Mais c’est ça que vous ne comprenez pas : l’hypercolonie d’origine a déjà essaimé. Elle a réussi à lancer une multitude de réplicateurs fertiles sur des trajectoires conduisant à des étoiles proches. C’était son ultime acte marquant. Ce qu’il reste de la ruche est faible et agonisant. Vulnérable à l’infection par d’autres organismes, tout comme un animal vieillissant l’est à des attaques virales et bactériologiques. »

Le couloir commença à monter doucement. Ethan se demanda s’il reverrait le ciel avant de mourir.

« Il existe, répartie dans la galaxie, toute une écologie d’organismes de ce genre qui sont attirés par la chaleur et les ressources des étoiles jeunes. L’hypercolonie n’était que l’un d’eux et elle est à présent épuisée. Elle veut mourir.

— Faites donc.

— Vous ne comprenez toujours pas. Ce que vous voyez, l’entité que je représente, n’est pas l’hypercolonie telle qu’elle était au départ. Considérez-nous comme les nouveaux gérants. Il y a plus de trois ans que nous avons mis la main sur la plupart des fonctions essentielles de l’hypercolonie.

— Vous l’avez parasitée.

— Exactement. Nous avons parasité la ruche agonisante. Nous avons pris le contrôle de son mécanisme de reproduction et nous nous en servons pour notre propre reproduction. Nous fabriquons nos propres réplicateurs. Nous les envoyons aux trousses de l’essaim. Nous infectons de nouvelles colonies partout où elles se développent. C’est ainsi que fonctionne notre cycle de reproduction. Et il nous faut plus de temps pour le mener à bien. »

Y avait-il un seul mot de vrai dans tout cela ? Ce que le sim avait raconté était assurément possible : Ethan pouvait citer de mémoire d’innombrables exemples de modèles similaires dans le monde invertébré.

« Je sais bien que vous ne me croyez pas vraiment. Mais vous pouvez voir le mécanisme vous-même. Je peux vous montrer comment il fonctionne.

— Pour quoi faire ?

— Franchement, parce que nous avons besoin de votre aide.

— Bien sûr, oui.

— Je ne plaisante pas. Nous espérons vous convaincre de nous aider.

— Si je vous comprends bien, vous voulez prolonger la vie de la colonie afin de vous en servir pour vos propres besoins. Pourquoi je vous aiderais à faire ça ?

— Si vous y réfléchissez, vous connaissez peut-être déjà la réponse à cette question. »

28

Antofagasta/l’Atacama

Il n’y avait personne dans la ruelle. Une enfilade de petits commerces masquait le soleil de fin d’après-midi, si bien que leurs misérables portes de derrière et leur peinture écaillée baignaient dans une ombre de plus en plus épaisse. Leo jeta un coup d’œil de chaque côté, puis tira Cassie vers la gauche. Elle le suivit sans un mot, en lui serrant la main si fort qu’elle devait lui faire mal. Le bruit le plus insignifiant, comme celui de ses chaussures sur l’asphalte ou celui d’une poubelle qu’elle frôlait de la hanche, semblait à la fois assourdi et beaucoup trop fort, comme une explosion qu’on entend sous l’eau.

Elle n’arrivait pas à penser. Pourquoi n’y arrivait-elle pas ? Elle n’avait plus dans la tête qu’une succession de brèves images retraçant les minutes précédentes. Ses pensées semblaient des oiseaux emportés par le vent au-dessus de l’océan : ils sont affolés et épuisés, mais ne peuvent se poser nulle part.

Leo s’engouffra dans le bâtiment adjacent à la maison, un parking couvert. Cassie remarqua qu’il se déplaçait avec détermination, qu’il la tirait vers des escaliers en explorant du regard la forêt de piliers en béton, la main le long de la cuisse pour dissimuler le pistolet avec son corps. Elle vit sur son jean les taches de matière rouge et verte laissées par le sim mort. Il sentait la sueur, la poudre brûlée et les feuilles écrasées. Elle resta tout près de lui quand il gravit rapidement les marches en colimaçon, même si elle avait du mal à reprendre son souffle.

Ils arrivèrent au troisième et dernier étage, à ciel ouvert. Le vent entre les rangées des voitures en stationnement avait une légère odeur d’essence. Dans le ciel d’un bleu surréaliste, le soleil allait bientôt se coucher. Leo tenait toujours la main de Cassie, ou vice versa, et il la tira jusqu’à un véhicule donné, une camionnette sans aucune inscription qu’elle reconnut avec un temps de retard comme celle louée et utilisée par Werner Beck. Leo lâcha Cassie et sortit des clés de sa poche.