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Il ne sembla pas surpris de la voir et elle-même était trop abasourdie pour que sa présence lui semble suspecte. Elle ouvrit la portière passager afin qu’il puisse monter à bord. Si la puanteur du sang et de la matière verte le choqua, il n’en montra rien. Elle eut envie de le serrer dans ses bras, mais elle était toute gluante du sang de sim. Soulagée, stupéfaite, elle commença à raconter en bredouillant l’attaque à Antofagasta.

Elle s’attendait à ce qu’il l’interrompe pour l’interroger ou s’expliquer. Il n’en fit rien et son expression effrayante finit par réduire Cassie au silence. Ce vide aux yeux de chouette : apitoiement, peur ou pire encore ? Elle eut l’idée de lui demander ce qui lui était arrivé dans la ville souterraine des simulacres.

Il semblait avoir du mal à parler. « Cassie, finit-il par dire, comment tu t’es retrouvée ici ?

— C’est Leo qui m’a amenée », ne réussit-elle qu’à répondre. Elle leva une main ensanglantée, paume vers le haut, comme si cela expliquait tout.

« Tu sais ce que c’est, ici ?

— Oui !

— Qu’est-ce que tu viens faire ?

— Réduire cet endroit en cendres ! C’est ce que tu veux aussi, non ? »

Bizarrement, il mit longtemps à répondre.

« Tout a un prix, dit-il.

— De quoi tu parles ?

— Ce que nous faisons ici a des conséquences ailleurs. Ce que nous détruisons ici n’est pas tout ce que nous détruisons. »

S’adressait-il seulement à elle ? La joie des retrouvailles commença à se racornir en une espèce de peur. Sa main gauche quitta le volant pour se poser sur le manche du couteau, toujours couvert du sang de Leo. Cassie pouvait-elle seulement être certaine que son oncle Ethan était un humain ? « J’ai ce camion plein de dynamite et Leo a dit qu’il fallait absolument s’en servir de la bonne manière… il m’a dit à quels endroits la placer, mais je ne me souviens pas bien — c’est difficile de se souvenir —, en plus, je ne sais pas s’il disait la vérité…

— Je peux te montrer les endroits. Ceux où ils gardent leur carburant, où ils produisent leur courant, où ils font grandir leurs choses. On peut tout brûler. Tout ce qui est important.

— Tu vas vraiment m’aider ? »

Son regard se porta derrière la vitre mouchetée de sang, comme s’il regardait très loin. « On va s’aider l’un l’autre. »

31

Antofagasta

Nerissa tira Thomas vers le premier étage de la maison de Werner Beck. Elle l’empêcha de redescendre se jeter dans la bataille, soit pour protéger sa sœur, soit pour prouver qu’il n’avait pas peur… Il se serait mis en danger dans un cas comme dans l’autre, mais Nerissa avait assez de force pour le serrer contre elle et l’obliger à monter jusqu’au palier. Elle ne se retourna qu’une seule fois, en entendant un coup de feu, vit Beth Vance s’effondrer sur les marches avec du sang qui jaillissait de son crâne ouvert. Elle espéra que Thomas n’avait rien vu, mais elle n’en était pas sûre : il opposa soudain moins de résistance quand elle le poussa dans une chambre en claquant la porte derrière eux.

Cette chambre disposait d’une salle de bains attenante dans laquelle ils se réfugièrent, l’oreille tendue aux bruits de l’intrusion. L’instinct héroïque qui s’était emparé de Thomas avait disparu. Le garçon alla se blottir, bras serrés autour des genoux, dans l’interstice entre les WC et la baignoire. Nerissa s’appuya à la porte, douloureusement consciente que leur cachette n’en était absolument pas une, mais un cul-de-sac qui deviendrait cercueil si les sims parvenaient à se rendre maîtres des lieux.

Après s’être multipliés, les coups de feu cessèrent toutefois. Elle jeta un coup d’œil à sa montre. Elle essaya de contrôler sa respiration. Elle dit à Thomas de faire le moins de bruit possible. Elle garda l’œil fixé sur l’aiguille des minutes. Cinq s’écoulèrent sans qu’elle entende rien, à part le craquement de la charpente dans la fraîcheur naissante de la fin d’après-midi. Sept minutes. Dix. Elle perçut au loin le hululement des sirènes de police.

Elle se risqua à ouvrir la porte de la salle de bains. La fin de journée avait rempli la chambre d’ombres. « Reste là », ordonna-t-elle à Thomas, qui la suivit néanmoins dans le couloir.

Aucun bruit en bas. Elle prit le risque énorme d’appeler Cassie à haute voix. Une réponse, même très faible, lui aurait fait affronter les marches éclaboussées de sang. Mais elle n’en eut aucune. Si Cassie en avait réchappé, elle devait déjà avoir pris la fuite. C’était la seule chose sensée à faire. Les sirènes de police s’étaient nettement rapprochées.

Les sims étaient arrivés par la porte d’entrée et les coups de feu devaient avoir attiré du monde dans la rue : fuir par-devant serait impossible. Dans la chambre, une porte-fenêtre donnait sur un balcon minuscule au-dessus de la ruelle : Nerissa passa la tête dehors pour se faire une idée. C’était assez haut… mais en s’accrochant par les mains de l’autre côté de la balustrade en fer forgé, cela devrait aller. Elle pourrait ensuite aider Thomas.

Elle lui expliqua son plan. Il avait le visage d’une pâleur de parchemin et l’air abasourdi, mais il hocha la tête comme s’il comprenait.

Elle vérifia qu’elle avait bien son portefeuille, dans lequel elle conservait des papiers d’identité authentiques ou non ainsi qu’une réserve de dollars américains et de pesos chiliens. La ruelle ne resterait sans doute pas longtemps déserte. Nerissa passa derrière la balustrade, se suspendit aux piquets ornementaux en métal et lâcha prise. Elle se tordit la cheville en se réceptionnant sur le trottoir. La douleur la transperça du mollet à la hanche, mais elle s’obligea à se relever. « À toi », lança-t-elle à Thomas.

Il la regarda du balcon, le visage crispé par la peur et le doute.

« Je t’attraperai si tu tombes. Tu me fais confiance ? »

Le garçon hocha la tête.

« Très bien. Viens… Il faut se dépêcher. »

Il tomba dans ses bras et elle sentit sa cheville se dérober à nouveau. Tous deux s’effondrèrent sur le trottoir crasseux, mais sans mal.

« Tiens-toi à moi », dit-elle en se relevant.

Thomas glissa sa main brûlante de fièvre dans la paume de sa tante. Nerissa s’éloignait en boitillant quand un aide serveur du restaurant situé trois maisons plus loin sortit dans la ruelle : « ¿ Estás bien ? ¿ Necesita ayuda ?

— Estamos bien, gracias », cria-t-elle par-dessus son épaule juste avant de tourner au coin.

Ils prirent un bus urbain dans le quartier des affaires d’Antofagasta, en descendirent quand Nerissa repéra un Holiday Inn qui semblait accueillir une clientèle américaine. Ses mains égratignées et son jean déchiré lui valurent des coups d’œil en coin du personnel dans le hall, mais les billets qu’elle déposa sur le comptoir de la réception prévinrent toute question embarrassante.

Une fois dans leur chambre, elle débarbouilla Thomas — qui se laissa faire en la regardant d’un air impassible — et l’incita à s’allonger. Il obtempéra sans une plainte ni un mot.

Elle alluma le téléviseur, baissa le volume et tira une chaise devant l’écran. Elle se méfiait toujours autant de la télévision et de la radio, mais ne disposait d’aucune autre source d’informations. TVN ouvrit son journal local du soir par un reportage sur l’attaque, présentée comme une affaire de meurtre multiple pouvant être liée à la drogue. La police rechignait à divulguer le nombre de victimes, sûrement à cause de la nature problématique des cadavres des sims. Il y avait eu, précisa le bulletin, « trois victimes confirmées, deux hommes et une femme ». Si la femme était Beth Vance, les deux hommes devaient être Eugene Dowd et Leo ou Werner Beck.