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Il ne quitta pas des yeux le couloir devant eux. « Quoi ?

— Avant que tu me trouves. Avant que j’arrive. Comment t’es venu là ? Tu faisais quoi ?

— Ils m’ont capturé sur la route, j’étais prisonnier.

— Mais pourquoi ils ne t’ont pas tué ?

— Ils m’ont dit qu’ils voulaient que je les aide.

— À quoi, à les protéger ?

— Ils ne voulaient pas que je fasse ce qu’on est en train de faire.

— Et ils s’imaginaient que tu serais d’accord pour ne pas le faire ?

— Ils ont pensé qu’il y avait une chance, je suppose.

— Pourquoi ? Ils t’ont menacé ? Ils t’ont promis un truc ? »

L’oncle Ethan continua à conduire sans répondre. Ils retrouvèrent le ciel nocturne. La fleur de verre et d’acier du mécanisme de lancement, la bordure de cratère en déchets industriels, les sims inconscients et le vent abrasif.

L’oncle Ethan gara la camionnette chargée des dernières briques explosives au pied de la tour de lancement, directement sous les énormes pétales chromés. « On les met à l’intérieur ? » Au niveau du sol, la tour semblait uniformément compacte. « Il n’y a pas de porte.

— Et on n’a pas le temps. »

Cassie leva son bracelet-montre vers le plafonnier de la cabine. L’oncle Ethan avait raison. Il ne restait que dix minutes avant l’explosion des charges au sous-sol, ce qui ne suffirait pas pour brancher le troisième minuteur et se mettre à l’abri. « On fait quoi, alors ?

— On trouve un véhicule vide pour ficher le camp. »

Ils abandonnèrent la camionnette. Un des pick-up blancs omniprésents était stationné à quelques mètres de là. L’oncle Ethan en sortit le corps flasque d’un sim avant de démarrer.

Cassie prit place sur le siège passager pendant que son oncle retournait à la camionnette dévisser le bouchon du réservoir. Il ôta ensuite sa chemise, en tordit une manche qu’il imbiba d’essence, puis ouvrit le capot pour fourrer la chemise dans le compartiment moteur. Elle comprit qu’il voulait mettre le feu à la camionnette afin que la dynamite explose sans détonateur. Ensuite, il hésita.

Pas d’allumettes, se dit Cassie. Pas de briquet. L’oncle Ethan ne fumait pas. Eugene Dowd aurait eu un briquet sur lui. S’il n’avait pas été abattu à Antofagasta.

L’oncle Ethan débrancha un câble de l’allumage et s’en servit pour produire une étincelle près du tissu gorgé d’essence… une fois, deux, jusqu’à ce qu’une grande flamme jaune jaillisse dans les ténèbres. Il recula en toussant.

Cassie jeta un coup d’œil à sa montre au moment où il se mettait au volant. Moins de cinq minutes. Ça suffirait. L’oncle Ethan embraya et ils partirent. Ils se trouvaient à peu près à mi-chemin du talus de déchets quand les sims commencèrent à se relever.

Tous ensemble, comme dans une sorte de chorégraphie, de ballet cauchemardesque, les sims se remirent debout et partirent en courant vers la tour de lancement. L’oncle Ethan dut faire une embardée pour en éviter un groupe. Le pick-up chassa et cala ; l’oncle Ethan jura en essayant de redémarrer. Un des sims à six pattes bondit sur le plateau de leur véhicule pour repartir aussitôt d’un autre bond, les laissant osciller sur la suspension. On va se faire tuer, songea Cassie.

Mais les sims étaient trop pressés d’arriver à la tour pour leur prêter attention. Ils avaient le visage calme et indifférent… ils ne font plus semblant d’être humains. Elle se retourna, constata avec horreur qu’ils convergeaient sur la camionnette pour essayer d’en étouffer les flammes en se jetant dessus. Mais le feu faisait rage et ils s’embrasaient aussitôt, que ce soit leurs vêtements, leurs membres, leur peau humaine et extraterrestre ou leur matière verte à l’intérieur.

L’oncle Ethan parvint à relancer le moteur. Cassie consulta sa montre. « C’est l’heure.

— Je sais.

— Il ne se passe rien. »

Il ne répondit pas.

« Ils ont peut-être désarmé les détonateurs.

— Je sais, Cassie.

— Mais… »

Elle sentit l’explosion avant de l’entendre. Le sol tressauta et lança un nuage de poussière vers le ciel. La détonation fut étouffée et prolongée, comme le tonnerre. Une deuxième explosion suivit. Des sirènes hurlèrent dans toute l’enceinte, puis se turent. Les lampadaires clignotèrent, s’éteignirent. L’obscurité soudaine dissimula tout, sauf les flammes qui ondulaient sur la camionnette derrière eux. Le vent emporta peu à peu la poussière, ce qui permit à la lumière qui arrivait par l’est dans le ciel d’éclairer la route suivie par l’oncle Ethan.

Ils parvinrent au talus au moment où les flammes atteignaient les dernières charges incendiaires. Cassie vit l’explosion : des étoiles filantes d’un blanc aveuglant, suivies d’une onde de choc qui secoua le pick-up. L’oncle Ethan freina. « Baisse la tête.

— Pourquoi ?

— Les éclats. »

Des fragments de métal et de verre tombèrent sur le toit. Quelque chose de plus gros heurta le pare-brise avant de rouler au sol en fumant. Les yeux bien fermés, Cassie agrippa la main de son oncle jusqu’à la fin de l’averse de débris.

Derrière eux, la tour de lancement se dressait au pied de volutes de fumée de plus en plus épaisses. Ses pétales chromés étaient tordus, l’un manquait, elle en vit un autre se briser et s’effondrer. Et tous les sims étaient tombés à nouveau. Le ciel était assez clair, à présent, pour qu’elle voie les corps, dont beaucoup amassés (elle pensa à des feuilles mortes en automne) au pied de la tour de lancement. Il n’y en avait pas plus de quelques-uns sur le talus, mais l’un d’eux s’était écroulé assez près du pick-up. Elle vit avec surprise son oncle descendre pour franchir les quelques mètres de déchets et de gravier qui les séparaient du corps immobile.

Elle se précipita à sa suite et resta derrière son épaule tandis qu’il s’agenouillait en posant la main sur la gorge du sim, à la recherche d’un pouls.

« Il est mort ?

— Pas encore. »

Pas encore. Mais il agonisait, manifestement. Il suffoqua, le dos cambré, et l’oncle Ethan recula d’un pas. La créature prit trois profondes respirations ronflantes. Ses yeux s’ouvrirent, mais ses pupilles, énormes, ne bougèrent pas. Une autre respiration. Encore une autre. Puis il exhala entre ses dents serrées un sifflement discordant. Et n’inspira plus.

L’aube était proche, le désert avait pris une netteté blafarde. Des bassins salifères et un horizon qu’ondulaient des collines de basalte noir. Le vent balayant cette crête de détritus.

On est seuls, maintenant, se dit Cassie.

Son oncle se pencha une fois encore sur le sim. Le toucha d’un geste presque tendre. Elle lut sur son visage que la créature était vraiment morte. Ce qui l’habitait avait disparu pour de bon.

Son oncle semblait toutefois sombre, presque triste. « Je suis désolé », murmura-t-il.

Ce qui scandalisa Cassie. « Tu lui fais tes excuses ? »

Il se releva, se frotta les mains. « Je ne suis pas désolé pour eux. » Il la regarda bien en face… ou plutôt, trouva Cassie, il regarda derrière elle, comme s’il y avait là quelque chose de terrible que personne d’autre ne voyait. « Je suis désolé pour nous tous. » Dans son dos, de la fumée sortait des installations en feu. « Fichons le camp, maintenant. Au fait, Cassie… tu sais qu’on ne peut pas parler de ça. Personne ne doit savoir, ni maintenant ni jamais, que nous étions ici. »